Réussir ses négociations avec les Chinois

Pour toute entreprise occidentale qui se développe en Chine, la négociation avec des partenaires chinois est une étape obligée tout au longMaurice Herschtal du parcours, et souvent critique. Voici une interview d’un expert sur le sujet, Maurice Herschtal, consultant en stratégie au sein du groupe Sino-Bridge et co-auteur du livre « Réussir ses négociations avec les Chinois« , publié récemment sur les mécanismes de la négociation en Chine.

– Pouvez-vous présenter en quelques mots votre expérience en Chine ?

Les douze années que j’ai passées en Chine m’ont fait découvrir une autre planète !

Pour être précis, j’ai dirigé pendant quatre ans à Hong Kong la filiale d’un groupe suisse leader dans la chimie fine, pour développer les ventes sur le marché chinois ; ensuite huit ans à Changzhou et à Shanghai, à la tête d’une filiale du groupe français IMERYS en tant que directeur d’usine et responsable du réseau commercial en Asie. Ces diverses expériences m’ont amené à faire face à tout un éventail de situations : management d’équipes multiculturelles, gestion des problèmes de sécurité et de maintenance, négociations serrées avec des clients et des fournisseurs aguerris, marchandage interminable des détails des contrats, relations avec les autorités locales etc.

Cela m’a aidé à prendre conscience que les méthodes de management classiques pour lesquelles j’avais été formaté, et qui m’avaient si bien réussi jusque-là en France, ne donnaient pas toujours les résultats espérés. Il m’a fallu sortir des sentiers battus pour mieux adapter mon approche.

J’ai compris que la Chine est un pays de paradoxes qui défient notre bonne vieille logique cartésienne et nous obligent à une remise en cause permanente de nos conceptions.

– Si vous deviez donner quelques conseils à des entreprises occidentales qui se développent en Chine, quels seraient-ils ?

La vigilance doit être la règle avec les gens qu’on ne connaît pas, et il vaut mieux être un peu trop paranoïaque que trop naïf.

Certains pensent qu’ils peuvent se débrouiller tout seul en Chine : c’est comme essayer de traverser un champ de mines les yeux bandés ; la bonne étoile ne suffit pas et un bon guide connaissant le terrain est indispensable.

Il est important de prendre la peine de s’adapter à la culture locale. La culture d’entreprise n’est pas universelle et ne s’exporte pas facilement. Les produits et la communication doivent être repensés en fonction du marché local; la marque, la réputation et la qualité sont les sésames qui vont ouvrir le marché chinois.

Mieux vaut aussi savoir rester humble et se remettre en question : ne pas s’imaginer que que « si cela marche bien à Paris, il n’y a pas de raison que ça ne marche pas en Chine » comme me l’a dit un expatrié fraîchement arrivé.

La flexibilité est atout majeur; tout le monde n’est pas fait pour ce pays : psychorigide s’abstenir !

– Avez-vous rencontré des situations dans lesquelles la protection de la propriété intellectuelle / de son savoir-faire a été un gage de succès pour l’entreprise ?

Protéger son produit, son savoir-faire ou sa marque est un exercice délicat dans un pays qui abrite les meilleurs spécialistes de la contrefaçon.

Les articles de luxe sont des cibles de choix : montres, bijoux, parfums, vins et alcools etc. ; mais la copie ne se limite pas à eux seuls, et tous les produits qui ont une certaine notoriété sur le marché et qui peuvent être fabriqués en assez grand volume courent le risque d’être copiés : cela peut aller des cosmétiques aux confiseries (comme le nougat ou le chocolat), en passant par la mode, les DVD, les eaux minérales, les médicaments ou les laits pour bébés… La liste est infinie.

Les produits industriels ne sont pas épargnés non plus, surtout dans le domaine des machines, des pièces détachées et de l’électronique.

Une bonne protection juridique est un atout indéniable : déposer la marque dés que possible, faire enregistrer les brevets (en mandarin) pour ce qui est brevetable. Beaucoup ignorent la possibilité du « utility model patent » [Note de la Rédaction : voir nos articles sur le sujet, notamment celui-ci] qui est une forme de brevet simplifié et moins coûteux, très utilisé par les Chinois. Il permet de protéger une application, sans être obligatoirement détenteur du brevet d’origine.

Même si des lacunes subsistent,  il faut reconnaître que le système juridique s’est nettement amélioré depuis une décennie. Un de nos clients importants a ainsi pu décourager son concurrent déloyal en le menaçant d’un procès public. Mais tous n’’ont pas cette chance, si on se réfère au cas Lacoste…

Les Chinois ont eux-mêmes pris conscience de l’importance des brevets, surtout quand il s’agit de protéger leurs propres innovations ! Un restaurateur chinois a même voulu breveter ses « xiao long bao » (petits raviolis shanghaïens) par crainte de les voir copiés par les étrangers.

Dans tous les cas, l’aide d’un cabinet spécialisé est indispensable pour que les documents soient une protection sérieuse devant les tribunaux chinois.

En complément des stratégies précédentes, sont gagnants ceux qui savent s’appuyer sur une marque reconnue, une notoriété assurée par une qualité sans faille, un SAV efficace et des références reconnues. C’est le meilleur gage de succès.

On croit souvent à tort qu’un prix bas est le critère essentiel pour les Chinois, mais en fait ce qu’ils attendant avant tout c’est la qualité et comme m’a dit un jour une amie de Shanghai « si c’est bon marché, ç’est sûrement un ‘fake’ ! ».

Un manager chinois m’a fait remarquer : « être copié est très flatteur, cela prouve que votre produit est apprécié ici ». Maigre consolation ! Rien ne vaut une bonne protection.

– Observez-vous des erreurs sur le terrain concernant la protection de la propriété intellectuelle / du savoir-faire de l’entreprise ?

J’ai pu constater certaines erreurs qui pourraient être évitées avec un minimum de précautions et de discernement.

Il nous est arrivé de “former la concurrence “ en fournissant des brochures trop détaillées.

Certains laissent circuler sur internet par négligence des documents professionnels ou des rapports techniques.

Autre exemple : un commercial a distribué des échantillons d’un produit nouveau lors d’un salon spécialisé ; quelques mois plus tard le produit figurait en bonne place dans les catalogues de ses concurrents chinois.

Certains managers sont si fiers de leurs innovations qu’ils en oublient toute prudence lorsque leurs clients chinois sont invités à visiter l’usine. J’ai été témoin de visites dans des ateliers où étaient développés les derniers-nés de la R&D; il y avait des maquettes des installations (pour la formation des stagiaires), sur les murs on pouvait voir les flow-sheets des procédés, et des étiquettes mentionnaient les noms des clients finaux… Les membres de la délégation invitée avaient tous leur smartphones à la main !

On a parfois tendance à donner trop d’explications à nos interlocuteurs chinois qui ont l’habitude de poser beaucoup de questions. J’avais pour ma part pris le parti d’éviter de faire participer certains techniciens trop bavards aux réunions clients.

– Avez-vous des conseils à donner sur la mise en œuvre du secret en Chine ?

Dans le domaine industriel qui m’est le plus familier, plusieurs stratégies peuvent être mises en œuvre pour protéger efficacement le savoir-faire : pour une société fabriquant localement, une solution consiste à fractionner les processus, faire exécuter les différentes étapes dans des ateliers (ou des usines) séparés et faire appel à des sous-traitants qui ne se connaissent pas (dans différentes provinces). L’étape finale (assemblage, finition, marquage inviolable) peut être idéalement effectuée en Europe pour plus de sécurité. C’est assez coûteux, mais efficace.

On peut aussi prévoir ce que nous appelions « la boîte noire » ; il s’agit d’un ingrédient secret ou d’un élément-clé réalisé par la maison-mère et importé au fur et à mesure des demandes de la production. On m’a parlé de certains concepteurs de logiciels qui programment même des algorithmes permettant de bloquer le système ou la machine en cas de contrefaçon. [Note de la Rédaction, voir également notre article sur le secret publié précédemment]

– Comment résumeriez-vous l’application des contrats en Chine ?

Nous avons du contrat une conception très différente. Ceci est la source de nombreux malentendus et (de) frustrations.

Pour les Chinois, le contrat est  « vivant » et peut évoluer au cours du temps, lorsque les conditions changent.

« Dans l’esprit chinois le contrat se présente plutôt comme une déclaration d’intention, une plateforme de départ qui confirme la volonté des deux parties de réaliser une opération commune. Il marque surtout la volonté de consolider de part et d’autre la relation naissante. C’est cette relation qui va gouverner les affaires et conditionner le comportement des protagonistes tout au long de l’exécution de l’accord. » Extrait du livre « Réussir ses négociations avec les Chinois » Chap.8 Le contrat , génèse d’une relation.

Pour nous Occidentaux c’est un document gravé dans le marbre, un engagement indéfectible et intangible ; toute modification est considérée comme une rupture de l’engagement et souvent perçue comme déloyale et malhonnête, et devant être confiée au service contentieux.

Quant aux Chinois, ils ont l’habitude de remettre en cause le contrat en demandant de renégocier certains termes, s’ils s’estiment désavantagés par un contexte qui se serait modifié. Or, si les relations sont bonnes et à condition que notre partenaire soit de bonne foi, on a  tout intérêt à discuter un nouvel arrangement afin de poursuivre l’accord, plutôt que de confier le dossier aux avocats, ce qui tuerait définitivement la relation.

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Le livre « Réussir ses négociations avec les Chinois » présente, à travers de nombreuses anecdotes et expériences terrain, les neuf étapes clés Négociationde la négociation qui aideront les lecteurs à être mieux armé et à augmenter leurs chances de succès :

  • L’établissement d’un climat de confiance,
  • La négociation et ses jeux de face,
  • Les guanxi : utilité et mode d’emploi
  • Les dîners d’affaires, cadeaux et autres pratiques
  • Le temps dans les négociations
  • Compromis ou guérilla ? Le jeu subtil des concessions
  • Les tactiques et les ruses lors des négociations
  • L’esprit du contrat en Chine
  • La préparation de l’équipe et les surprises à éviter.

Chaque étape est enrichie de conseils, de tests et de mises en situation.

Le livre est disponible en librairies et sur le lien ici ou ici.

Propos recueillis par Clémence VALLEE-THIOLLIER, du cabinet LLRllr_new