Le 24 juin dernier, Qualcomm, leader mondial dans la fabrication de puces de smartphones, a porté plainte contre Meizu, un important fabricant chinois de smartphones, devant les récentes cours spécialisées en propriété intellectuelle de Pékin et Shanghai. Qualcomm invoque une violation de sa propriété intellectuelle dans le domaine des télécommunications, concernant notamment (et à nouveau) ses brevets essentiels en technologie 3G et 4G.
L’ouverture de cette procédure judiciaire devant les cours chinoises mérite une attention particulière puisqu’il y a fort à parier qu’elle instituera un précédent important en matière de litiges de brevets essentiels en Chine.
Rappelons tout d’abord ce qu’est un brevet essentiel : il s’agit d’un brevet nécessaire à l’utilisation d’un standard de technologie. Le titulaire d’un brevet essentiel est tenu de concéder une licence globale respectant les principes de licence « FRAND » (fair, reasonable and non discriminatory).
Par ailleurs, avant d’entrer dans le détail de ce litige, quelques éléments pour expliquer son contexte stratégique. D’un côté, Qualcomm qui divise son activité en deux grands segments : QCT (Qualcomm CDMA Technologies), qui fabrique principalement des semi-conducteurs sans fil et QTL (Qualcomm Licensing Technology), dont l’activité principale concerne la concession de licences sur les brevets de Qualcomm aux fabricants de téléphones portables. Selon ses résultats financiers pour 2015, Qualcomm a réalisé environ deux tiers de ses bénéfices grâce aux licences de brevet, dont plus de 50% venaient de Chine.
De l’autre côté, Meizu, fabricant de smartphones chinois qui, selon de récentes études de marché, a exporté 500 millions de smartphones durant le premier trimestre de 2016, et a ainsi pris la huitième place des fabricants chinois de smartphones. En 2015, Meizu a vendu 20 millions de smartphones, soit une hausse de 350% par rapport à l’année 2014, et a reçu 590 millions d’USD d’investissements stratégiques de la part d’Alibaba, le numéro 1 chinois de l’e-commerce.
Lors du dépôt de sa plainte, Qualcomm a expliqué que Meizu avait choisi d’utiliser les technologies Qualcomm sans licence. L’entreprise américaine a indiqué que le comportement de Meizu était non seulement illégal, mais portait également préjudice, d’une part aux autres licenciés qui s’acquittaient de leurs redevances dans le respect du droit des brevets, et d’autre part à l’écosystème mobile en général et aux consommateurs. Meizu a reconnu, de son côté, avoir utilisé des brevets de Qualcomm sans payer de redevance. Elle a cependant annoncé être prête à payer des redevances respectant les principes des licences « FRAND ». Meizu a donc justifié son comportement par le fait que Qualcomm aurait abusé de sa position dominante au cours des négociations sur les redevances, ses demandes violant les principes de licences « FRAND » et n’étant pas transparentes.
La cour spécialisée en propriété intellectuelle de Pékin a accepté le dépôt de la plainte le jour même. Par la suite, Qualcomm a présenté 17 allégations contre Meizu devant la cour spécialisée en propriété intellectuelle de Shanghai, le 30 juin 2016.
Cette procédure judiciaire mérite toute notre attention pour plusieurs raisons.
– Tout d’abord, la demande de dommages et intérêts de la part de Qualcomm est considérable puisqu’elle se chiffre à 520 millions RMB (soit plus de 70 millions d’euros). Rappelons que les litiges en contrefaçon de brevet en Chine impliquent généralement des sommes de quelques millions de RMB.
– De plus, comme nous l’avons déjà évoqué sur ce blog, la Chine a créé fin 2014 trois cours spécialisées en propriété intellectuelle (basées respectivement à Pékin, Shanghai et Canton, voir notre article sur le sujet). L’affaire Qualcomm vs Meizu va donner l’opportunité à la cour spécialisée de Pékin de rendre l’une de ses premières décisions en matière de litiges de brevets dans le domaine des télécommunications impliquant une entreprise chinoise et une entreprise étrangère. Dans le même temps, la cour spécialisée de Pékin va également être amenée à intervenir dans l’affaire Huawei vs Samsung (voir également notre article sur le sujet). En effet, le géant chinois des télécommunications, troisième plus grand fabricant de smartphones au monde, a agi en justice contre Samsung en Chine et aux États-Unis, affirmant que l’entreprise sud-coréenne aurait violé 11 de ses brevets relatifs à des technologies mobiles. Quel équilibre la cour de Pékin trouvera-t-elle dans le cadre de ces deux affaires pour servir de référence en matière de brevets de technologies mobiles ?
– Par ailleurs, cette affaire s’inscrit dans un contexte particulier, puisqu’elle fait suite à la décision rendue l’année dernière par l’autorité de la concurrence chinoise, la NDRC (National Development and Reform Commission) concernant les conditions de licence des brevets essentiels de Qualcomm (voir notre article sur le sujet, « Position de la Chine sur les brevets de smartphones »). Pour rappel, entre 2014 et 2015, Qualcomm avait été condamnée à payer une amende de plus de 6 milliards RMB et à procéder à une modification de ses conditions de licence en Chine pour les rendre compatibles à l’interprétation de la NDRC des principes de licence FRAND. A partir de ces nouvelles conditions, Qualcomm a signé des accords de licence de brevet avec un certain nombre de clients chinois, y compris Huawei et Xiaomi. Qualcomm a donc indiqué à la cour de Pékin que les conditions offertes à Meizu étaient conformes à la décision rendue en 2015 par la NDRC. Dans ce contexte, on peut se demander si la cour de Pékin, détenteur du pouvoir judiciaire, appliquera la décision de la NDRC, instance du pouvoir exécutif. En effet, les décisions de la NDRC n’ont pas le statut de lois ou de règlements en Chine, et les cours de justice doivent prendre leurs décisions sur la base de la loi. Quelle base juridique et quelle interprétation des principes de licence « FRAND » seront utilisées par la cour de Pékin pour répondre aux plaintes de Qualcomm ?
– Enfin, il convient d’évoquer l’un des arguments développés par Meizu à l’encontre de Qualcomm concernant l’opacité du montant des licences de brevets. En effet, personne ne connaît le montant des redevances réellement payées par les fabricants dans le cadre des accords de licences de brevets négociés avec Qualcomm. Les redevances fixées par la NDRC en 2015 correspondent uniquement à des montants maximum et les packages proposés par Qualcomm à ces clients sont gardés secret. La cour de Pékin va donc devoir décider si les redevances de licence FRAND de brevet essentiel doivent être ou non transparentes et homogènes. Sachant qu’il reste encore une centaine de fabricants de smartphones chinois qui n’ont pas encore signé d’accord de licences de brevets avec Qualcomm, l’entreprise américaine se servira probablement de cette décision comme d’une base pour négocier ses futurs accords de redevances.
Les enjeux de cette affaire sont donc extrêmement importants, pour Qualcomm bien sûr mais également pour l’ensemble des acteurs du marché des smartphones en Chine. La position de la cour de Pékin concernant l’interprétation juridique et l’application de la règlementation relative aux brevets essentiels est attendue avec impatience.
Article rédigé par Xin YUAN