Pour illustrer notre article sur la protection d’une interface graphique utilisateur GUI en Chine, voici le cas de la toute première action lancée après la mise en place du nouveau système de 2014, par la société chinoise Qihoo 360, leader dans les logiciels.
Qihoo 360 a déposé une plainte auprès de la Cour spécialisée en propriété intellectuelle de Pékin contre Jiangmin New Science & Technology le 22 avril 2016, affirmant que Jiangmin a enfreint trois brevets de dessin couvrant des interfaces graphiques appartenant à Qihoo 360.
Qihoo 360, fondée en Septembre 2005 à Pékin et cotée en bourse sur le New York Stock Exchange depuis 2011, est le leader des fournisseurs de logiciels de sécurité Internet et de services Internet en Chine. Après l’entrée en vigueur de la protection des GUI en Chine, Qihoo 360 a déposé de nombreuses demandes de brevet de dessin protégeant ses GUI à partir d’août 2014, et a ensuite obtenu leurs délivrances devant le SIPO (Office chinois des brevets). Pour l’anecdote, Qihoo 360 est même titulaire du premier brevet de dessin octroyé pour une GUI par le SIPO. Parmi les brevets de dessin obtenus se trouvent les trois brevets dessin invoqués dans la présente affaire.
Jiangmin, une société fournissant des services antivirus pour les utilisateurs d’ordinateurs, a lancé un nouveau produit logiciel appelé Jiangmin Optimization Expert, intégrant des GUI accusées d’enfreindre trois des brevets de dessin appartenant à Qihoo 360.
En réponse à cette action lancée par Qihoo 360, le défendeur Jiangmin a déposé six demandes d’invalidation contre les trois brevets impliqués de Qihoo 360, auprès de la Commission de révision des brevets du SIPO, une première fois en mai 2016 et une seconde fois en août 2016. Jiangmin a par ailleurs demandé au tribunal de suspendre le jugement de l’affaire en attendant le résultat des actions en invalidation. Selon la pratique locale, le tribunal a le pouvoir d’accepter ou de rejeter une telle demande du défendeur, au cas par cas. Le tribunal a noté que Qihoo 360 avait fourni le rapport d’évaluation (un examen demandé par le déposant et effectué par le SIPO pour la brevetabilité d’une demande de brevet de dessin) des brevets pour les trois brevets impliqués, qui ont conclu que les brevets de dessins concernés étaient supposés valables. Il a donc rejeté la demande de sursis à statuer de Jiangmin et a entendu l’affaire le 21 septembre 2016.
Ensuite, la Commission de révision des brevets de SIPO a tenu une audience publique le 28 octobre 2016 pour ce premier cas en Chine impliquant des litiges sur la conception des GUI.
Jusqu’à présent, aucune décision finale n’a encore été rendue par la Cour de PI ou la commission de révision du SIPO. En tant que le premier litige lié aux GUI en Chine, il a beaucoup attiré l’attention de la communauté de la propriété intellectuelle et des acteurs principaux dans le domaine IT et Internet.
Selon nous, l’audience d’invalidation devant la Commission de révision est relativement classique parce que le point essentiel de l’affaire est de savoir si les brevets de dessins impliqués font partie de l’art antérieur. En effet, il semblerait que Qihoo 360 ait lancé une version Beta de son logiciel sur internet pour le tester avant le dépôt des trois brevets de conception, dans lequel il impliquait des GUI similaires à ceux des trois brevets de dessin. Un cas d’auto-antériorisation souvent utilisé pour invalider un brevet faute de nouveauté.
Par contre, le jugement de la Cour devrait éclairer les questions relatives à la façon de déterminer une contrefaçon de GUI, les dommages et intérêts, et la façon d’utiliser des preuves sur Internet dans un tel contexte, sachant que ces questions n’ont aucune jurisprudence en la matière.
Première question : l’objet de la protection
L’objet des trois brevets de dessin de Qihoo 360 est « l’ordinateur avec le GUI », alors que Jiangmin fournit seulement aux utilisateurs des logiciels impliquant des GUIs similaires à ceux revendiqués dans les trois brevets de dessin, et non des dispositifs avec le GUI. Les GUIs sont donc affichés uniquement dans l’ordinateur de l’utilisateur final. Ainsi, Jiangmin peut utiliser l’interface graphique utilisateur brevetée, mais il ne peut pas vendre, offrir en vente ou importer des ordinateurs incorporant le dessin breveté. En effet, l’objet qui peut être protégé selon les Directives d’examen de brevets révisées en 2014, est un produit comprenant des GUIs. En l’espèce, la question est de savoir si un logiciel lui-même pourrait constituer un tel produit protégé par les brevets. Le jugement du tribunal nous donnera un exemple de référence.
Deuxième question : les dommages et intérêts
Qihoo 360 a demandé une indemnité de 10 millions de RMB (environ 1,25 millions d’euros) pour les contrefaçons présumées des trois brevets de dessin, en plus d’une demande d’arrêt de l’acte présumé contrefaisant. Conformément à l’article 65 de la loi chinoise sur les brevets, le montant de l’indemnisation des dommages causés par une contrefaçon de brevet doit être apprécié en fonction des pertes réelles subies par le propriétaire en raison de l’infraction, des bénéfices obtenus par le contrefacteur ou par référence au multiple approprié des redevances en vertu d’une licence contractuelle (voir notre article « Quels dommages et intérêts lors d’une contrefaçon de brevet en Chine ? »). Cependant, Qihoo 360 et Jiangmin fournissent tous les deux aux utilisateurs finaux des logiciels gratuits impliquant des GUIs, de sorte qu’il semble qu’aucune perte réelle et aucun bénéfice gagné à partir des logiciels ne peuvent être déterminés. En outre, il n’existe aucun enregistrement de redevances dans le cadre de licence contractuelle pour un GUI en Chine. Dans de telles circonstances, même si Jiangmin est déterminé à enfreindre les brevets de conception détenus par Qihoo 360, il semble difficile de déterminer la compensation des dommages causés par l’infraction d’une manière opérationnelle.
Troisième question : l’objet de la protection
Enfin, la plupart des preuves fournies par les deux parties devant le tribunal et la Commission de révision sont issues d’éléments obtenus sur internet, pour lesquels il est souvent difficile de connaître le contenu exact disponible à une date donnée. Cette affaire devrait donner des indications concernant la pratique judiciaire dans le domaine.
Article rédigé par Xin YUAN