Nous avons plusieurs fois fait état sur ce blog de la hausse des contentieux PI en Chine ces dernières années. Ce phénomène peut notamment s’expliquer par le fait que les titulaires de droits, qu’ils soient chinois ou étrangers, semblent faire de plus en plus confiance aux juridictions chinoises pour juger leur différend, et ce grâce à l’apparition de juridictions spécialisées en PI en Chine.
La spécialisation des cours de justice chinoise en propriété intellectuelle a débuté dans les années 1990 et se poursuit encore aujourd’hui. On peut identifier quatre étapes dans ce processus (la chambre d’appel de la cour suprême reste la quatrième étape, voir ci-après) : l’apparition de chambres spécialisées au sein de certains tribunaux, à partir des années 1990, puis la création de 3 juridictions spécialisées à Pékin, Shanghai et Guangzhou en 2014, et plus récemment l’établissement de tribunaux spécialisés dans d’autres régions développées de Chine en 2017 et 2018. Nous vous proposons de revenir sur ces étapes majeures de la spécialisation des juridictions chinoises en matière de PI.
Quelques mots sur l’organisation générale des juridictions en Chine
Tout d’abord, il convient de noter que les cours de la République Populaire de Chine sont organisées de manière centralisée. Conformément à la Constitution chinoise, les juridictions chinoises sont organisées sur quatre niveaux :
- les cours « de base » (Basic Courts) au niveau des cantons autonomes, villes et districts municipaux,
- les cours intermédiaires (Intermediate Courts) au niveau des préfectures, préfectures autonomes et municipalités,
- les hautes cours (High Courts) au niveau des provinces, régions autonomes et municipalités spéciales et,
- au plus haut niveau, la cour suprême nationale.
Les territoires de Hong-Kong, Taiwan et Macao quant à eux détiennent des systèmes judiciaires spécifiques en raison de leur statut historique. Nous ne traiterons pas de ces systèmes dans cet article.
Première étape, la création de chambres spécialisées en propriété intellectuelle
Dès la création du régime moderne du droit de propriété intellectuelle, au début des années 1990, la Chine a mis en place, au sein de cours et de tribunaux de niveaux régionaux et provinciaux déjà existants, des chambres spécialisées permanentes en matière de droit de propriété intellectuelle qui ne traitent que des affaires de propriété intellectuelle.
Dans certaines régions développées, un nombre limité des tribunaux de commune ont également créé des chambres spécialisées en propriété intellectuelle. Ces tribunaux de commune ont alors une compétence sur les affaires de marques et de droits d’auteur dont l’enjeu ne dépasse pas un certain montant.
Deuxième étape, la création des cours spécialisées en PI de Pékin, Shanghai et Guangzhou
La seconde étape de la prise en considération des affaires relatives à la PI dans l’organisation juridictionnelle chinoise, et l’une des réformes majeures du système de protection des droits de propriété intellectuelle en Chine, a été la création des cours et tribunaux spécialisés en matière de propriété intellectuelle, et notamment la création de trois cours spécialisées de propriété intellectuelle en 2014 à Pékin, Shanghai et Canton.
Ces trois cours spécialisées ont été créées par une décision du comité permanent du NPC (National People’s Congress) le 31 août 2014 dans le cadre d’une réforme nationale ayant pour but de développer l’innovation et de renforcer la protection judiciaire des droits de PI. Cette décision à valeur législative ainsi qu’une décision de la Cour suprême de Chine rendue peu après ont fixé les règles de compétences de ces cours spécialisées.
La compétence des cours spécialisées de PI
Nous avons tenté de synthétiser la compétence de ces cours dans le tableau ci-dessous.
Tout d’abord, en première instance et dans leurs zones géographiques respectives, les cours sont compétentes pour juger :
- les affaires civiles et administratives ayant pour objet les technologies, telles que les affaires concernant les brevets, les obtentions végétales, les topographies des circuits intégrés, les secrets de fabrique, les logiciels, etc.
- les affaires administratives ayant pour objet le droit d’auteur, les marques et la concurrence déloyale;
- les affaires relatives aux marques notoires.
De plus, elles sont également des juridictions d’appel pour juger les appels formés à l’encontre des :
- décisions des administrations de ces trois villes liées à tout type de droit de propriété intellectuelle,
- décisions des chambres de propriété intellectuelle des « Basic Courts » des districts de ces trois villes qui servent de première instance pour les affaires de marques et de droits d’auteur.
Par ailleurs, la Cour de propriété intellectuelle de Pékin s’est vue attribuer la compétence exclusive en ce qui concerne la révision des décisions du Comité de révision des brevets et du bureau de révision des marques (TRAB ou Trademark Review and Adjudication Board)[1]s’agissant des délivrances et des invalidations de brevets[2] et de marques.
A noter que les chambres spécialisées en propriété intellectuelle des cours d’appel de ces trois villes ont donc été supprimées étant donné que toutes les affaires de première instance sont désormais soit traitées par les chambres de propriété intellectuelle des districts de ces villes (pour les affaires n’impliquant pas la technologie) ou des cours de propriété intellectuelle (pour les affaires impliquant la technologie ou une marque notoire). De même, au stade de l’appel, les affaires sont traitées soit par les cours de propriété intellectuelle, soit par la chambre de propriété intellectuelle des Cours supérieures de ces trois villes.
Les retours suite à la création de ces cours sont très positifs
Nous revenions déjà dessus sur notre blog un an après leur création.
Troisième étape, la création de tribunaux spécialisés dans les régions hors de Pékin, Shanghai et Guangzhou
Afin de compléter cette organisation et traiter des affaires de PI hors de Pékin, Shanghai et Guangzhou, comme nous l’avions relevé dans notre article, 5 tribunaux spécialisés en propriété intellectuelle ont été créés en 2017 et 2018 dans les régions où l’économie est développée en Chine, incluant Wuhan, Chengdu, Suzhou, Nanjing, Shenzhen, Hefei, Fuzhou, Qingdao, Jinan, Ningbo, Xi’an, Changsha, Tianjin et Zhengzhou.
En règle générale, ces tribunaux spécialisés sont compétents pour juger :
- toutes les affaires de première instance impliquant technologies, marques notoire, anti-monopole de toute la province concernée ou certaines régions de la province si plusieurs tribunaux existent dans la même province,
- toutes les affaires de propriété intellectuelle qui n’impliquent pas les technologies ou marques notaires mais ont un enjeu au-delà d’un certain montant, (seuil à 3 million ou 8 millions de CNY selon le niveau de développement des régions concernées) ;
- les appels concernant les décisions de première instance (rendues par les « Basic courts ») en matière de la propriété intellectuelle.
Cette carte nous montre que les régions développées du sud-est de la Chine sont désormais toutes dotées de cours ou tribunaux spécialisés en propriété intellectuelle. Cette organisation semble permettre de répondre aux besoins des titulaires de droit puisque l’on sait que ces régions sont également celles où se concentrent les dépôts de droits de propriété intellectuelle.
L’apparition de ces juridictions spécialisées a eu plusieurs avantages. D’une part, elle a participé au renforcement de la compétence professionnelle des tribunaux, puisque ces chambres sont majoritairement composées de juges spécialisés. D’autre part, cette réforme a conféré un traitement préférentiel aux affaires de propriété intellectuelle, celles-ci étant désormais traitées séparément des autres affaires civiles, ce qui implique des ressources et des effectifs distincts du régime judiciaire commun. On a donc vu émerger ces dernières années, grâce aux juridictions spécialisées, une jurisprudence de plus en plus protectrice des titulaires de droit.
Quatrième étape, la nouvelle compétence de la Cour Suprême pour juger en deuxième instance les affaires de PI
Cette importance donnée aux affaires de PI en Chine se retrouve encore dans la récente décision du NPC concernant la centralisation de la gestion des appels des affaires de propriété intellectuelle à la Cour suprême nationale. Nous en avions fait état ici. A compter du 1er janvier 2019, il sera en effet possible de former appel auprès de la Cour suprême qui aura dorénavant la compétence de juger en deuxième instance les affaires civiles et administratives de propriété intellectuelle impliquant une assez forte technicité (telles que les affaires impliquant des brevets, variétés végétales, topographies de circuits intégrés, secrets technologiques, logiciels ou encore monopoles).
[1] Ce Comité est l’administration compétente sur les affaires de refus des demandes de marques et d’invalidation des marques.
[2] Ce Comité est l’administration compétente sur les affaires de refus des demandes de brevets et d’invalidation des brevets.
Article rédigé par Shujie FENG