… vers davantage de coordination dans l’interprétation des revendications par les tribunaux
La Cour Suprême de Chine a précisé récemment que la même interprétation des revendications doit être appliquée dans la procédure d’invalidation d’une part, et dans la procédure de contrefaçon d’autre part. Cette gestion plus coordonnée des procédures d’invalidation et de contrefaçon permettra de réduire les disparités d’interprétation et apportera donc davantage d’homogénéité dans les décisions.
Le contentieux chinois se distingue du système que nous connaissons en France en particulier parce qu’il s’appuie sur le principe de séparation des questions de validité du brevet et de contrefaçon du brevet.
En effet en France, une action en contrefaçon de brevet se double en général d’une demande reconventionnelle en nullité du brevet, au sein de la même procédure. Cela signifie que le défendeur à l’action en contrefaçon réplique en général en mettant en question la validité du brevet qu’on lui oppose. S’il est jugé que le brevet est nul, il est alors jugé en conséquence qu’aucun acte de contrefaçon du brevet n’a été commis. Ainsi le même magistrat juge à la fois de la validité et de la contrefaçon.
En revanche en Chine, les questions de contrefaçon du brevet et de validité de ce même brevet sont habituellement jugées dans des procédures séparées. Ainsi, la validité du brevet est examinée par la Chambre de réexamen des brevets (PRB pour Patent Re-examination Board), tandis que la contrefaçon est jugée par un tribunal de la contrefaçon. En conséquence, le tribunal jugeant de la contrefaçon ne se prononce pas sur la validité du brevet.
Ce système peut aboutir à des situations aberrantes, dans lesquelles un brevet est jugé contrefait dans une procédure, alors qu’il est invalidé par une autre procédure.
Modifications récentes du contentieux
Pour répondre à ce problème, le système judiciaire chinois et l’office des brevets ont pris récemment de nouvelles mesures.
Ainsi la Cour suprême (CSP pour Supreme People’s Court) a émis un avis selon lequel une action en contrefaçon doit être rejetée s’il est constaté que le brevet a été invalidé par la Chambre de réexamen des brevets.
Pour sa part, la Chambre de réexamen des brevets a tenu depuis 2018 plusieurs audiences conjointes, avec des tribunaux locaux et des offices de brevet locaux, pour améliorer la coordination entre procédures d’invalidation et procédures de contrefaçon.
Enfin, comme commenté dans notre article du 13 novembre 2018, depuis le 1er janvier 2019, la gestion des appels dans les affaires de propriété intellectuelle est centralisée auprès de la Cour suprême. Ainsi, la Cour suprême juge à la fois les appels dans des affaires de validité de brevet et dans des affaires de contrefaçon de brevet.
Une première dans le contentieux de la contrefaçon de brevet en Chine
C’est ainsi que, le 5 décembre 2019, la Cour suprême chinoise a émis, pour la première fois, dans la même procédure, deux décisions statuant sur la validité du brevet pour l’une, et sur la contrefaçon pour l’autre.
Les faits sont les suivants.
La société Xiamen Power Electronic Technology Co. Ltd., ci-après dénommée Power Electronics, a assigné la société LG Electronics Appliances Co., Ltd, ci-après dénommée LG Electronics, devant le tribunal de Hangzhou, pour contrefaçon de son brevet chinois CN201220203855.0 (brevet ‘855).
En réaction, LG Electronics a intenté une action en nullité de ce même brevet ‘855 devant la Chambre de réexamen des brevets.
Le tribunal de Hangzhou a jugé l’absence de contrefaçon, et Power Electronics a fait appel de ce jugement devant la Cour suprême.
En parallèle, la Chambre de réexamen des brevets s’est prononcée en faveur de la validité du brevet ‘855. LG Electronics a fait appel de cette décision devant la Cour de propriété intellectuelle de Pékin. Au vu du rejet de l’appel, LG Electronics a enfin fait appel de cette deuxième décision devant la Cour suprême.
Ainsi, deux appels ont été formés devant la Cour suprême, portant sur le même brevet.
Comme LG Electronics arguait que Power Electronics procédait à une interprétation différente des revendications dans la procédure d’invalidation et dans la procédure de contrefaçon, la Cour suprême a décidé de faire une jonction des deux procédures.
Ainsi la Cour suprême a pu, dans sa décision portant sur la contrefaçon, prendre en compte ses propres conclusions sur la validité du brevet.
Cette affaire est tout de même un cas particulier, car la jonction des procédures a pu avoir lieu uniquement du fait que les deux appels ont été formés en même temps.
Cependant, ces décisions sont très importantes car la Cour suprême a ainsi clarifié que la même interprétation des revendications doit être appliquée dans la procédure d’invalidation d’une part, et dans la procédure de contrefaçon d’autre part. Par ailleurs, la Cour suprême a également fait savoir qu’une attention particulière serait portée sur le fait que les appels portant sur un même brevet seraient si possible jugés par un même juge.
Nous voyons ainsi qu’avec ces nouvelles mesures, la Chine se dote d’une gestion plus coordonnée des procédures d’invalidation et de contrefaçon. Ceci permettra de réduire les disparités d’interprétation, et de fournir des décisions plus homogènes.
Article rédigé par Agnès PICON