Dans le monde de la propriété industrielle, nous connaissons le phénomène du Patent Troll, mais celui du Trademark Troll est moins répandu.
Pour rappel, ce terme qualifie la personne, physique ou morale, qui dépose un brevet ou, en l’occurrence, une marque sans avoir réellement l’intention de l’exploiter, dans le but de l’opposer à des tiers et de les menacer d’une action en contrefaçon pour les convaincre de prendre une licence, bien entendu payante, sur le titre en question, voire de l’acquérir.
Leur principale caractéristique est donc de ne produire aucun bien ni service. La concession de licence et le les actions en contrefaçon constituent leur principale activité économique.
Dans le domaine des marques, trois situations peuvent se présenter :
- les auteurs de ces dépôts anticipent généralement dans un ou plusieurs pays l’arrivée probable d’une marque déjà connue dans son pays d’origine.
Il s’agit là de « couper l’herbe sous le pied » du titulaire légitime des droits sur la marque; - dans d’autres cas, le Troll va déposer des marques qu’il n’utilisera pas mais qu’il opposera à celui qui aura choisi le même signe pour ses activités;
- enfin, une troisième pratique consiste pour le titulaire d’une marque renommée à essayer d’étendre la protection qu’il a obtenue par son enregistrement au-delà de l’activité couverte par le titre qu’il a déposé. Cette pratique peut être tout à fait légale, en accord avec la législation qui prévoit une protection élargie des marques renommées, mais, parfois, il s’agit d’un abus de droit ou, tout du moins, d’une tentative d’abus.
Cela dépend, évidemment, du degré de renommée de la marque antérieure qui devrait permettre de déterminer si l’action entreprise par son titulaire est abusive ou non. En d’autres termes, la renommée de cette marque est-elle si importante qu’elle peut permettre à son titulaire d’attaquer un tiers qui utilise, ou même dépose, une marque identique pour une activité totalement différente ?
La réponse non conflictuelle à ces Trademark Trolls est d’obtenir une licence ou, parfois, la rétrocession de la marque déposée antérieurement.
L’autre réponse possible à la menace d’une action en contrefaçon est d’agir devant les tribunaux contre le Trademark Troll, ce qui sera consommateur d’énergie, onéreux et, malheureusement, aléatoire.
Compte-tenu de ces pratiques de Trademark Trolls, comment faire pour éviter d’être l’objet de telles attaques ?
Dans un premier temps, bien sûr, il faut essayer de déposer rapidement sa marque dans les pays probables d’extension de son activité afin de contrecarrer une possible tentative de dépôt par un Trademark Troll.
A l’évidence, pour la Chine, les translittérations des marques en caractères latins doivent être déposées afin de ne pas être bloqué par un Trademark Troll qui aurait fait enregistrer ces caractères chinois avant le déposant légitime.
Dans le cas où ces dépôts préventifs n’auraient pas été faits, il semble que la Chine admette maintenant de pouvoir attaquer les Trademark Trolls sur la base de la mauvaise foi.
En effet, la Cour Suprême chinoise a émis en 2011 une directive autorisant à invoquer la notion d’enregistrement de mauvaise foi à titre de défense dans le cadre d’une action en contrefaçon.
C’est ainsi qu’a été infirmée une décision du TRAB (Trademark Review and Adjudication Board) qui avait maintenu une marque POND’S et caractères chinois déposée par une personne physique nonobstant les droits du titulaire légitime de cette marque en caractères latins, la société Unilever. Celle-ci a invoqué dans son recours l’usage de sa marque depuis 1994 pour des cosmétiques pour le visage, alors que le Trademark Troll avait déposé en Chine la marque POND’S et caractères chinois en 2003.
Toutefois, les titulaires légitimes n’arrivent pas toujours à obtenir gain de cause. Ainsi en est-il de la célèbre société Castel Frères SAS qui avait pourtant vendu du vin en Chine depuis 1998 et qui n’a pas pu jusqu’à maintenant faire annuler la marque en caractères chinois KA SI TE, translitération de CASTEL, déposée par un Trademark Troll, Li Dao Zhi. La société Castel avait rendu ce nom célèbre en Chine par son usage puis a déposé la marque en 2002 et en a obtenu l’enregistrement en 2007. Toutefois, le Trademark Troll avait lui-même déposé la marque avant Castel en 2000. Malgré toutes les actions et les recours de Castel, celle-ci fut finalement condamnée à arrêter l’usage de sa marque chinoise et à payer au Trademark Troll cinq millions de dollars. Il semble, cependant, que la Cour Suprême saisie par Castel aurait suspendu l’amende et serait prête à revoir l’affaire…
La conclusion, au vu de telles affaires, est d’être extrêmement prudent et de déposer dès que possible dans les pays étrangers où des projets de commercialisation sont envisagés afin de se préserver le plus en amont possible et d’obtenir des droits de marque avant les Trademark Trolls. Cela est d’autant plus vrai lorsque le système légal des pays en cause privilégie le « premier déposant », comme en Chine, car l’utilisateur légitime de la marque qui ne l’aura pas déposée risque de se voir écarté par le dépôt effectué par un Trademark Troll.
Certes, la loi chinoise devrait être modifiée pour prendre mieux en compte le phénomène des Trademark Trolls mais il semble qu’elle ne pourra pas être rétroactive et qu’elle visera surtout à écarter les droits de celui qui les aura déposés de mauvaise foi, uniquement dans les cas où le titulaire légitime pourra démontrer qu’il avait eu des relations commerciales avec le Trademark Troll avant le dépôt frauduleux. Cela reste donc une situation bien précise qui ne couvre pas tous les cas de figure, loin s’en faut !
Article rédigé par Gilles ESCUDIER