Victoire de Valeo pour le premier procès en PI devant la Cour suprême de Chine

Valeo inaugure le nouveau système juridique chinois dans lequel la Cour suprême sert de juridiction de deuxième instance pour les affaires de forte technicité. Une victoire permettant de stopper la contrefaçon et de préciser la définition d’une caractéristique « fonctionnelle » dans un sens favorable aux titulaires de brevet.

Valeo
Photo par Wesley Eland sur Unsplash

Le 27 mars 2019, le tribunal de Propriété Intellectuelle de la Cour suprême a rendu un jugement : les appelants, deux équipementiers automobiles chinois, commettaient une violation du brevet possédé par le demandeur, la société française Valeo Systèmes d’Essuyage (appelée Valeo ci-après). Ce procès est le premier du tribunal de PI de la Cour suprême de Chine depuis son établissement, le 1er janvier 2019. (Source officielle).

Le procès en question concerne un différend entre les appelantes Xiamen Lukasi Car Accessories Co. Ltd. et Xiamen Fuke Car Accessories Co. Ltd., deux société chinoises fournisseurs d’accessoires automobiles, et l’intimée Valeo, ainsi que M. Shaoqiang Chen, le défendeur original, à propos d’un brevet d’invention délivré en Chine, intitulé « Essuie-glace de véhicule automobile et dispositif de connexion associé ».

Valeo avait accusé Xiamen Lukasi Car Accessories Co. Ltd. et Xiamen Fuke Car Accessories Co. Ltd. d’avoir fabriqué, vendu et promis de vendre des produits d’essuie-glace qui entrent dans la portée du brevet de Valeo et avait demandé 6 M RMB, environ 770 000 EUR, de dommages et intérêts. Valeo avait aussi accusé M. Chen d’avoir fabriqué et vendu des produits brevetés.

En janvier 2019, la Cour de PI de Shanghai rendit un jugement partiel en condamnant les deux sociétés chinoises et M. Chen pour violation des droits du brevet, en leur ordonnant de s’arrêter. Les deux sociétés firent ensuite appel devant la Cour suprême. Le tribunal de PI de la Cour suprême accepta cet appel et constitua une commission collégiale composée de cinq membres pour tenir une audience publique. A l’issue du procès, le tribunal de PI de la Cour suprême maintint le jugement original en condamnant les deux appelants pour violation des droits du brevet et en leur ordonnant de s’arrêter.

Le tribunal de PI de la Cour suprême de Chine

Le tribunal de PI de la Cour suprême est compétent depuis le 1er janvier 2019 pour les appels civils ou administratifs à propos de litiges en propriété intellectuelle très techniques et professionnels, comme les affaires de brevets. L’instauration de ce tribunal au sein de la Cour suprême constitue une décision importante pour la protection de la PI et un grand progrès dans le système juridique de la Chine (voir notre article « La Cour suprême nationale pourra être saisie en deuxième instance pour les affaires civiles et administratives de brevets et autres affaires de PI à partir du 1er janvier 2019 »).

Ce premier procès du tribunal de PI a été retransmis en direct sur le site web de la Cour suprême et plusieurs journalistes étaient dans l’auditoire.

Jugement partiel dans les procès de PI en Chine

Le jugement partiel de la Cour de PI de Shanghai était le premier du genre. La base juridique d’un tel jugement partiel vient de l’Article 153 de la loi de procédure civile de la République populaire de Chine : « si certains faits d’un procès jugé par la Cour sont déjà évidents, la Cour peut d’abord trancher cette(ces) partie(s) du procès ». Cependant, les jugements partiels ne peuvent être que très rares, vu la difficulté à déterminer tous les faits avant le jugement final.

Dans le procès Valeo, la Cour de PI de Shanghai avait estimé que la violation de brevet pouvait être déjà adéquatement établie sur les faits déterminés et qu’il était innovant et efficace d’appliquer l’Article 153 pour rendre un jugement partiel afin de faire cesser la violation de brevet en temps opportun.

Non seulement il s’agissait du premier jugement partiel rendu par la Cour de PI de Shanghai, mais le procès Valeo est aussi le premier appel de jugement partiel statué par la Cour suprême de Chine. Ces faits constituent une preuve importante, s’il en était besoin, que la Chine est en train de renforcer la protection de la propriété intellectuelle en appliquant le principe de « protéger la nouveauté par la nouveauté » et d’augmenter l’efficacité des jugements tout en diminuant les coûts judiciaires.

Évolution de la règle pour déterminer si une caractéristique est fonctionnelle en Chine

Une autre nouveauté dans ce procès est le changement de jugement pour une même caractéristique du brevet.

Actuellement, ni le droit des brevets, ni les Directives d’examen des brevets, ne précise la définition de caractéristique fonctionnelle. Néanmoins, dans la pratique judiciaire, on se conforme normalement à la définition tirée des « interprétations judiciaires dans les différends de brevet » publiée par la Cour suprême en 2016 (voir nos articles 1/2 et 2/2 sur ce texte) : « la caractéristique technique exprimée par l’effet ou la fonction dans les revendications, c’est-à-dire la caractéristique fonctionnelle, est une caractéristique qui limite uniquement la fonction ou l’effet de structure, de composant, d’étape, de condition ou de la relation entre eux dans une invention. »

En général, en se référant aux interprétations judiciaires ci-dessus, pour une caractéristique qui comprend un ou des effets ou une ou des fonctions, on détermine facilement qu’il s’agit d’une caractéristique fonctionnelle.

Cependant, avec l’évolution judiciaire en Chine, le principe pour déterminer si une caractéristique est fonctionnelle évolue. Le changement se révèle particulièrement dans ce procès Valeo. Dans les revendications du brevet, la caractéristique décisive « en position fermée, la boucle de sécurité s’étend vers l’élément de verrouillage pour empêcher une déformation élastique de l’élément de verrouillage et pour verrouiller le connecteur » a été différemment jugée dans la première et la deuxième instance.

Sur la base des interprétations judiciaires précédentes sur la caractéristique fonctionnelle, la première instance a déterminé qu’il s’agissait d’une caractéristique fonctionnelle. Toutefois, la deuxième instance a considéré qu’il s’agissait d’une caractéristique de « position ou structure + description fonctionnelle » en expliquant que, bien que comprenant la fonction, la caractéristique est essentiellement une caractéristique de position ou de structure et donc elle n’est pas une caractéristique fonctionnelle.

Ce changement judiciaire modifie la portée de cette caractéristique, qui était d’abord définie par les exemples de la description, mais qui est désormais définie complètement par la revendication. En conséquence, la portée de protection est devenue plus large, car une caractéristique définie par des exemples est normalement beaucoup plus restrictive que si on la lit uniquement dans la revendication.

Le jugement rendu par la Cour suprême lors du procès Valeo donne une perspective des pratiques judiciaires de PI en Chine : en réexaminant la définition de la caractéristique fonctionnelle, ce genre de procès serait plus favorable aux titulaires de brevet car des imitations ou des modifications simples ne devraient plus permettre d’éviter facilement la violation de brevet.

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