Nous avons rencontré et interrogé Hugo Garcia-Cotte, l’un des cofondateurs français de l’entreprise CYPHEME, inventrice d’une technologie permettant de détecter des produits contrefaits à l’aide d’un smartphone. Nous souhaitions apprendre comment marche ce produit innovant et à quel public il s’adresse, mais avons également été fascinés par la vision de cette jeune équipe franco-chinoise de l’intérêt et des particularités du marché chinois pour les entreprises occidentales.
Vous définissez CYPHEME comme « une intelligence artificielle capable de détecter un produit contrefait à l’aide d’un smartphone ». Pouvez-vous nous en dire plus sur son fonctionnement ?
Il s’agit d’une technologie qui permet d’apposer une étiquette infalsifiable sur des produits authentiques, couplée à une base de données qui répertorie les micro-structures aléatoires des étiquettes. Cette base est accessible via une application sur les smartphones. Il suffit donc que les clients prennent une photo de l’étiquette d’un produit : si sa micro-structure est répertoriée dans la base de données, cela signifie que le produit est authentique. L’ensemble du processus d’authentification est quasiment instantanée : en quelques secondes seulement, le client peut déterminer si le produit est contrefait ou non.
De quelle manière CYPHEME se démarque-t-il d’autres solutions permettant de lutter contre la contrefaçon ?
Plusieurs éléments font de CYPHEME une solution unique en son genre. D’une part, les étiquettes de CYPHEME sont impossibles à copier, contrairement aux solutions qui existent déjà sur le marché comme les hologrammes, les étiquettes de radio-identification (RFID) et les code-barres type code QR.
D’autre part, CYPHEME fait des consommateurs eux-mêmes les premiers alliés dans la lutte anti contrefaçon. Peu de marques comprennent qu’informer les consommateurs constitue une des meilleures façons de combattre la contrefaçon alors que de plus en plus d’acheteurs chinois sont prêts à mettre le prix pour avoir des produits authentiques et de qualité.
Enfin, l’application permet de géolocaliser les fausses étiquettes. Grâce à elle, nos clients sont en mesure de localiser et d’identifier des filières de contrefaçon.
A quelles entreprises s’adresse CYPHEME ? Quels types de produits peuvent être protégés par CYPHEME ?
CYPHEME est à la fois vendu à des gouvernements pour rendre infalsifiables des timbres fiscaux ou des cartes de rationnement par exemple, et sert aussi à des entreprises pour authentifier des produits de luxe tels que vins, cosmétiques ou encore tissus. La plupart des clients actuels sont des sociétés françaises qui exportent des produits à haute valeur ajoutée en Chine. L’étiquette peut être apposée sur tout type de support, même souple, par exemple sur un blister de médicament. Lait en poudre, plaquettes de freins, horlogerie ou matériel haut de gamme sont autant de marchés potentiels pour la technologie d’authentification.
Constatez-vous en général que les entreprises françaises agissent efficacement contre la contrefaçon de leurs produits, en particulier sur le marché chinois ?
Etonnamment, non. Face à la menace croissante des produits contrefaits, il faut souligner la présence d’un environnement juridique solide et nécessaire qui permet de lutter contre la contrefaçon. Nous avons constaté un bel effort de ce côté-là mais ça ne suffit malheureusement pas. Si aujourd’hui les entreprises ont à leur disposition tout un arsenal de lois et des outils légaux pour se protéger des préjudices liés à la contrefaçon, elles sont souvent à la traîne lorsqu’il s’agit de s’attaquer au problème en amont pour mieux protéger le consommateur final.
Beaucoup d’entreprises ignorent ouvertement le problème, d’autres choisissent de s’y atteler mais avec des moyens insuffisants et limités. Par exemple, certaines entreprises vont utiliser des codes QR apposés sur leurs produits. Ces codes-barres vont aider à suivre les produits le long de la chaîne de distribution mais sont peu utiles pour vérifier leur authenticité lorsqu’ils arrivent entre les mains du consommateur.
Au final, très peu de sociétés françaises ont une réelle stratégie anti-contrefaçon globale qui protège efficacement le consommateur. Les gouvernements par exemple, ont de leur côté compris l’ampleur du problème et protègent tous leurs documents. Il en va de même pour les sociétés chinoises qui sont friandes de solutions technologiques anti-contrefaçon. Du côté des sociétés françaises, c’est plus compliqué : elles commencent à peine à s’attaquer au problème.
Que pouvez-vous nous dire sur l’équipe franco-chinoise qui est à l’origine de CYPHEME ?
CYPHEME a été développé par 5 associés : trois français et deux chinois. Deux des cofondateurs français de CYPHEME sont doublement diplômés de l’université de Tsinghua à Pékin et de Centrale Supélec en France : l’équipe est réellement bi-culturelle.
Chez CYPHEME, on a donc choisi d’allier nos compétences et notre expertise de la meilleure façon qui soit : on a brassé le savoir-faire francais en terme d’intelligence artificielle et l’expertise chinoise au sujet de la sécurité cloud. C’est en somme la rencontre entre le meilleur de deux mondes !
CYPHEME cible l’Asie en général et la Chine en particulier (vous êtes installé dans la région de Shenzhen, la Silicon Valley chinoise). Pourquoi ?
Le lien avec la Chine précède même la création de CYPHEME. Aujourd’hui, le « Far West » n’est plus au Etats-Unis, c’est en Chine. C’est là qu’il y a les plus grandes opportunités ; là où les changements sont rapides. Vu sa taille, le marché chinois est devenu incontournable aujourd’hui et il est très peu connu des Français. Il y a aujourd’hui trois fois plus d’investisseurs en Chine qu’en Europe. C’est la réalité du monde dans lequel nous vivons.
Shenzhen a la réputation d’être la capitale de la contrefaçon, il était donc logique que CYPHEME vienne s’installer au plus près du front pour lutter efficacement.
CYPHEME intéresse sans doute de nombreuses entreprises françaises désirant protéger leurs produits sur le marché chinois mais votre expérience en tant qu’entreprise française implantée en Chine est également digne d’intérêt. Quels conseils donneriez-vous à d’autres startup qui souhaitent réussir leur implantation en Chine ?
Les partenaires chinois accordent beaucoup de valeur au bénéfice mutuel pour les deux parties. Ce n’est pas tant le contrat qui va déterminer la relation commerciale mais plutôt la stratégie “gagnant-gagnant” sur laquelle elle doit être fondée.
Pour réussir en Chine il faut certes un partenaire local mais il faut également —et surtout— un avantage compétitif et de la valeur ajoutée par rapport aux locaux. Par exemple, une startup française vendant des cosmétiques en Chine a un avantage compétitif énorme au vu de l’image de marque véhiculée par une telle industrie auprès de l’étranger. A l’inverse, une startup française qui crée un réseau social en Chine n’a pas d’avantage concurrentiel à apporter vis-à-vis des locaux. Chez CYPHEME, nous faisons à la fois de la protection de marque et de l’intelligence artificielle, deux domaines où la France est leader.