Une grande banque chinoise défiée par la Cour américaine

Un juge new-yorkais a ordonné récemment à une banque chinoise, « Bank of China », de lui fournir des informations détaillées sur les comptes bancaires de personnes accusées d’avoir vendu des contrefaçons de sacs et portefeuilles de la marque Gucci aux Etats-Unis, pour une valeur estimée à plusieurs millions de dollars. Cette décision pourrait avoir une influence sur la capacité de la Cour américaine à récolter des informations sur des activités illégales auprès des banques chinoises.

Selon les enquêtes américaines et européennes sur ce sujet, les banques chinoises sont parfois des refuges pour le blanchiment massif et les contrefacteurs, ces derniers se servant régulièrement de ces grandes banques pour détourner les profits réalisés sur le sol américain vers des pays éloignés et difficilement atteignables par la justice occidentale.

Les banques chinoises, quant à elles, se sont fortement opposées à cette décision, considérant que la demande consistant à rendre publiques les informations de leurs clients est une atteinte à leur souveraineté.

Selon le juge américain Richard Sullivan, la Cour américaine a la compétence pour faire ordonner une telle mesure à Bank of China, cette dernière ayant quatre agences aux Etats-Unis et prétendant être le meilleur choix pour les transferts de dollars américains de et vers la Chine. Par ailleurs, il a mentionné dans sa décision du 29 septembre 2015 que «demander à Gucci de déclencher une telle procédure en Chine serait très long et surtout, risquerait de n’aboutir à aucun résultat».

Il est clair qu’une telle décision, si elle était confirmée en appel, pourrait être intéressante pour toutes les victimes, sur le sol américain, de contrefaçons venant de Chine. En effet, alors que l’obtention de preuves de la contrefaçon peut être une étape critique dans un procès en contrefaçon, de telles preuves peuvent s’avérer délicates à obtenir en Chine lorsque le titulaire de droits se trouve aux Etats-Unis, tout particulièrement les preuves concernant des données comptables, qui sont connues pour être difficiles à obtenir. Aussi, les informations que pourraient fournir les banques chinoises deviendraient des données précieuses, non seulement faciles à obtenir, mais en outre éclairantes concernant les revenus du contrefacteur présumé.

Néanmoins, relevons d’une part que la décision est susceptible d’appel, d’autre part que l’on peut s’attendre à ce que Bank of China soit réticente à donner une suite, car les banques chinoises essayeront de fournir le minimum d’informations.

L’actualité récente semble en fait donner raison à ces craintes : un juge américain a déclaré le 24 novembre 2015 que Bank of China risquait une amende du fait qu’elle refuse de fournir les informations. En effet, Bank of China soutient qu’elle ne peut le faire, sans quoi elle ferait infraction au droit chinois de la vie privée. Bank of China soulève par ailleurs une incompétence du tribunal de Manhattan.

Un risque serait donc que la décision de la Cour américaine, favorable aux ayants droit, ne brille nulle part ailleurs que sur le papier. Mais il y a fort à parier que la justice américaine ne restera pas sans réponse non plus.

Attendons donc la suite.

Article rédigé par Yifan ZHANG, du cabinet LLRllr_new

Litiges brevets en Chine : précisions par la Cour Suprême

La Cour Suprême de Chine a apporté début 2015 quelques précisions concernant les litiges de brevets, notamment la contrefaçon de dessins, l’équivalence, ou encore les indemnités des contrefaçon. Ces précisions, présentées dans le présent article, confirment et clarifient des changements apportés par la modification substantielle de la loi des brevets en 2008.

Plus précisément, le 29 janvier 2015, la Cour Suprême de Chine (ou SPC, « Supreme People’s Court ») a publié une décision visant à réviser le « Règlement » ou « Interprétation Judiciaire«  (« Judicial interpretation ») concernant les litiges de brevet. Relevons qu’il s’agit ici d’un type particulier d’interprétation de la loi par la Cour Suprême et qu’il existe un autre type d’interprétation judiciaire. Cette nouvelle Interprétation Judiciaire a pris effet à partir du 1er février 2015.

Le type d’Interprétation Judiciaire sur les litiges de brevet dont il est question ici a été créée en 2001 et a eu sa première mise à jour en 2013. Ainsi la révision de janvier 2015 est la deuxième en deux ans, elle comprend principalement des modifications selon deux aspects : des adaptations en raison des modifications apportées sur la loi des brevets en 2008, intégrant notamment des clarifications concernant des numéros des articles et des formulations ; ainsi que des changements de règles sur le rapport d’évaluation sur la brevetabilité et sur le calcul des indemnités de contrefaçon, afin de se conformer à la loi de brevet actuellement en vigueur et à ses interprétations judiciaires.

Voici ci-dessous quelques explications sur ce qui peut être retenu de cette révision.

1) Offre en vente pour les cas de dessin (« design patent »)

Désormais dans la présente révision, l’acte d’offre en vente est ajouté parmi les actes de contrefaçon pour un brevet du type « dessin », de façon à se conformer à la loi de brevet actuellement en vigueur. Rappelons ici qu’en Chine, les titres permettant de protéger les formes de créations esthétiques sont mentionnées parmi les types de brevets, il s’agit des « design patents ».

Ceci signifie que le titulaire d’un brevet de dessin (« design patent ») dispose désormais d’un plus grand nombre de juridictions compétentes pour juger un cas de contrefaçon, puisqu’il peut poursuivre un contrefacteur présumé sur le lieu de la contrefaçon, qui inclut désormais les lieux d’offre en vente. Ceci permet en particulier de sélectionner des tribunaux ayant une expérience reconnue dans la propriété intellectuelle.

2) Rapport d’évaluation sur la brevetabilité

La révision permet d’acter les changements intervenus lors de la nouvelle loi des brevets en 2008 concernant les actions basées sur les modèles d’utilité. Ainsi :

  • Pour un modèle d’utilité (« utility model patent ») déposé avant le 1er octobre 2009 (non-inclus), le titulaire peut fournir en cas de litige un « rapport de recherche » réalisé par l’Office National de la Propriété Intellectuelle (SIPO).
  • Pour  un modèle d’utilité ou un dessin (« design patent ») déposé après le 1er octobre 2009, le titulaire peut fournir en cas de litige un « rapport d’évaluation sur la brevetabilité » réalisé par le SIPO.

En d’autres termes, pour les titres déposés après 2009, non seulement on remplace le « rapport de recherche » par un « rapport d’évaluation sur brevetabilité », mais on peut par ailleurs fournir un tel rapport également pour les litiges basés sur un dessin.

Par ailleurs, la révision précise la conséquence juridique lorsque le titulaire ne soumet pas le rapport de recherche ou un rapport d’évaluation sur brevetabilité malgré la demande des tribunaux, impliquant généralement un sursis à statuer.

3) Equivalence – Principe de couverture complète

Concernant la contrefaçon de brevet, la révision confirme l’adoption, depuis 2008, du principe de couverture complète, qui consiste à examiner toutes les caractéristiques techniques mentionnées dans les revendications et ne plus distinguer les caractéristiques essentielles de celles considérées comme non-essentielles. En conséquence, la révision modifie l’article concernant la définition de la portée de la protection d’un droit de brevet, en précisant que la portée de la protection doit être définie par toutes les caractéristiques techniques citées dans les revendications revendiquées, en intégrant la portée définie par les caractéristiques équivalentes d’une ou des caractéristiques techniques.

Par ailleurs, il est indiqué que les caractéristiques équivalentes correspondent à des caractéristiques

  • remplissant substantiellement la même fonction,
  • substantiellement de la même façon,
  • produisant substantiellement le même effet que les caractéristiques revendiquées, et
  • qui peuvent être envisagées facilement par un homme du métier sans effort inventif au moment où les actes de contrefaçon ont lieu.

C’est ce dernier point concernant la date de l’appréciation de l’évidence qui est nouveau.

4) Calcul des indemnités de contrefaçon

Concernant les dommages & intérêts en cas de contrefaçon, les textes anciennement en vigueur indiquaient que « le montant des indemnités est généralement déterminé en allant de 5 000 CNY à 300 000 CNY, et ne peut pas dépasser 500 000 CNY ». La nouvelle loi des brevets de 2008, entrée en vigueur en 2009, a changé ce type de montant en indiquant que, s’il est difficile d’estimer les dommages, des dommages statutaires peuvent être alloués par les tribunaux, dont le montant varie entre 10 000 CNY et 1 000 000 CNY.

Ainsi, la règle qui figurait dans l’Interprétation Judiciaire est supprimée pour être mise en conformité avec la loi des brevets de 2008, elle est remplacée par « le montant des indemnités est déterminé au titre de l’Article 65 Para. 2 de la loi des brevets, en fonction de facteurs tels que le type de brevet [entre brevet d’invention, de modèle d’utilité, de dessin], la nature et les circonstances des actes de contrefaçon ainsi que la nature, la portée et la durée de licences existantes sur le brevet etc. ».

Relevons que le montant des indemnités doit prendre en compte les pertes subies par le breveté en raison de la contrefaçon, en considérant le nombre de ventes perdues multiplié par le bénéfice raisonnable réalisé sur chaque produit breveté. Lorsqu’il est difficile d’estimer le nombre de ventes perdues par le breveté, il est possible de considérer que les ventes perdues correspondent au nombre de produits contrefaisants vendus.

Par ailleurs, il est prévu que le tribunal puisse allouer, en plus des dommages calculés, les dépenses raisonnables faites par le breveté pour stopper les actes de contrefaçon. Ceci implique des indemnités qui peuvent être supérieures aux montants précédents.

 

En conclusion, la révision de la présente Interprétation Judiciaire sur les litiges de brevets permet de confirmer les modifications apportées par le changement de loi des brevets en 2008, en apportant en outre quelques précisions concernant la contrefaçon de dessins, qui se rapproche davantage de celle des modèles d’utilité ; l’appréciation de l’équivalence ; ou le calcul des indemnités de contrefaçon.

Sources :

[1] La Cour Suprême du Peuple en Chine. La décision sur modifier « Certains règlements de la Cour Suprême du Peuple sur les lois applicables au jugement de dispute de brevet » (最高人民法院关于修改《最高人民法院关于审理专利纠纷案件适用法律问题的若干规定》的决定). 2015-01-29.

[2] Shuzhen Luo. La Cour Suprême du Peuple publie l’Interprétation Judiciaire sur dispute de brevet modifiée (最高法院公布修改后的专利纠纷司法解释) [N]. Journal Quotidien de Cour du Peule, 2015-01-30 (1).

Cours chinoises spécialisées en PI, premiers retours

Voici quelques premiers retours donnés au cours du PIAC sur les trois nouvelles Cours spécialisées en propriété intellectuelle, ces nouveaux tribunaux qui ont été créés il y a presque un an à Pékin, Shanghai et Canton pour améliorer la qualité des jugements en Chine relatifs à propriété intellectuelle.

Des membres de chacune des trois Cours sont intervenus pour fournir des chiffres concernant la charge de travail par Cour. Ils ont par ailleurs insisté sur la difficulté d’évaluer les dommages et intérêts par manque de preuves.

C’est la Cour de Pékin qui a reçu le plus de cas à ce jour avec, depuis novembre 2014, 6 595 cas en total, dont 75% sont des cas administratifs (concernant les décisions en brevets et en marques, du fait que les Offices se trouvent à Pékin). 39.4% des décisions de première instance concernent des entités étrangères. Apparemment, 115 cas ont été conclus sur des brevets d’invention (« invention patents »), 47 cas sur des modèles d’utilité (« utility model patents »), et 184 cas sur des dessins (« design patents »). 

La Cour de Shanghai a commencé son activité plus tard que Pékin, depuis avril 2015, et a donc conclu moins de cas que Pékin. Au 1er septembre 2015, elle a accepté un total de 315 cas en matière de brevets, incluant 75 cas de contrefaçon sur des brevets d’invention, 65 cas sur des modèles d’utilité, 140 sur des dessins, 20 cas relatifs à la propriété d’un droit de brevet, 11 cas relatifs à des contrats sur des brevets, etc. A ce jour, 63 cas ont été conclus.

La Cour de Shanghai est composée d’une dizaine de juges, entourés d’assistants, et répartis dans deux tribunaux, le tribunal n°1 est dédié plutôt aux affaires de droits d’auteur et de brevets, alors que le tribunal n°2 s’occupe plutôt des questions de logiciels et technologies confidentielles. 

La Cour de Canton (Guanzhou en chinois) a un fonctionnement similaire à celui des Cours de Pékin et Shanghai. La Cour regroupe 13 juges dont 3 présidents, soit au total en comptant les assistants environ 50 personnes dans la Cour, qui est en outre en train de recruter 10 autres juges en raison de la grande charge de travail.PIAC juge Cours PI Canton

Concernant le nombre de cas traités, la Cour de Canton a accepté 1676  cas en matière de brevets (regroupant les brevets d’invention, les modèles d’utilité et les dessins), notamment 175 cas sur des brevets d’invention, 270 sur des modèles d’utilité, 1155 sur des dessins, 75 sur des question de propriété du droit au brevet.

Les différents membres de ces Cours semblent unanimes pour insister sur la difficulté de disposer de preuves suffisantes pour établir les dommages et intérêts. En effet, les juges chinois rappellent que si le plaignant ne parvient pas à prouver l’étendue de la contrefaçon, le juge ne pourra pas allouer les dommages et intérêts correspondant à la réalité de la contrefaçon. Or souvent, la comptabilité des entreprises accusées de contrefaçon n’est pas suffisamment transparente pour permettre une juste estimation des dommages.

Outre les questions de comptabilité et de masse contrefaisante, un certain nombre de facteurs sont pris en compte pour évaluer les dommages et intérêts, un article devrait être publié prochainement sur ce sujet.