Nouvelles règles !
Les praticiens de la propriété intellectuelle en Chine déploraient depuis plusieurs années la pratique des autorités administratives et judiciaires des marques, qui consistait, jusqu’à il y a peu, à donner la priorité à la rapidité de l’examen, au détriment des intérêts des déposants de marque. Ainsi, les autorités refusaient quasi-systématiquement d’accorder des suspension de procédure lors de l’examen d’une demande de marque alors même que leur décision dépendait du résultat d’actions connexes menées par les déposants contre des marques antérieures.
Cette pratique, qui a débuté en 2020, obligeait les déposants de marques à choisir entre former des recours judiciaires coûteux pour garder leur demande de marque en vigueur, ou re-déposer des demandes de marque afin de conserver une antériorité, stratégie moins coûteuse mais plus risquée.
Heureusement, cette pratique est enfin en train d’évoluer. Ainsi, en juin 2023, l’Office chinois des marques (CTMO) a publié un document intitulé « Interprétation des normes de suspension des affaires de réexamen » (ci-après l’Interprétation).
Relevons que ce document est en adéquation avec les termes du dernier projet de révision de la loi des marques (dont vous pouvez retrouver notre analyse ici), qui interdit notamment les demandes répétées de marques.
L’Interprétation liste deux types de situations, celles qui doivent systématiquement donner lieu à une suspension de la procédure, et celles dans lesquelles la procédure peut être suspendue par l’Office en fonction des circonstances spécifiques de l’affaire.
I. Suspension de la procédure, de quoi parle-t-on exactement ?
La majorité des cas dans lesquels une suspension de procédure peut désormais être octroyée concerne l’hypothèse d’un refus provisoire de marque. En effet, lorsqu’un déposant de marque se voit notifier une décision de rejet provisoire de sa demande par le CTMO en raison de la citation de marques antérieures similaires (concernant des produits ou services similaires), plusieurs solutions sont à sa disposition pour éliminer ces marques antérieures bloquantes.
Celles-ci incluent :
- l’opposition contre la demande antérieure (si la marque antérieure n’est pas encore enregistrée et est publiée pour opposition) ;
- l’action en déchéance pour non-usage (si la marque antérieure est enregistrée depuis au moins trois ans) ;
- l’action en annulation de la marque antérieure pour cause de caractère générique ;
- l’action en invalidation de la marque antérieure (si la marque antérieure est enregistrée depuis moins de cinq ans).
Recours auprès du TRAB
Parallèlement, le titulaire de la marque doit former un recours contre la décision du CTMO auprès du bureau d’appel de l’Office des marques (le TRAB ou Trademark Review and Adjudication Board) afin de maintenir la validité de la demande pendant que les actions contre les marques antérieures citées se poursuivent. Cependant, le délai d’examen du recours devant le TRAB dure généralement entre six à huit mois à compter de la date de dépôt du recours, cette procédure est donc beaucoup plus courte que celle des actions contre les marques citées (et a même été sensiblement raccourcie au cours des dernières années). Ainsi, il faut compter au minimum 7 mois pour une action en déchéance, et jusqu’à parfois 16 mois pour une action en invalidation, entre le dépôt de l’action et l’obtention de la confirmation de l’annulation de la marque antérieure.
Dans une telle situation, il apparaît donc raisonnable que l’examen du TRAB puisse être suspendu en attendant les résultats des actions connexes. C’est chose faite avec cette nouvelle Interprétation du CTMO.
Nous ne rentrerons pas dans les détails des différentes situations dans lesquelles la suspension peut ou doit être octroyée. Relevons cependant que, pour ce qui concerne les procédures d’enregistrement de marque, la suspension n’est possible que dans le cadre d’une demande de réexamen, c’est-à-dire lors de la procédure devant le TRAB. La suspension n’est donc toujours pas possible lors de l’examen effectué par l’Office des marques, au premier niveau, alors qu’elle pourrait être utile si le déposant, grâce à une recherche d’antériorité, a déjà identifié une marque bloquante et a déposé une action pour obtenir son annulation, simultanément au dépôt de la demande de marque.
II. Comment demander une suspension de procédure ?
En cas de suspension de procédure demandée dans le cadre d’une demande de réexamen, l’Interprétation exige que le demandeur fasse une demande claire de suspension. La demande de suspension doit alors être soumise dans des conditions spécifiées par l’Interprétation. Ainsi :
- le demandeur doit faire sa demande de suspension dans le délai de soumission du dossier complémentaire, à savoir au plus tard trois mois à compter de la date de dépôt de la demande de réexamen.
- la demande de suspension doit indiquer le numéro d’enregistrement de la marque citée, la procédure à laquelle la marque citée est soumise (à savoir, déchéance, opposition ou invalidation) et l’impact du statut final de la marque citée sur l’affaire.
Par ailleurs, en principe, quiconque demande la suspension de l’examen doit également demander la levée de la suspension de procédure. Cela signifie qu’une fois que le statut des droits des marques citées est déterminé, le demandeur doit soumettre au TRAB les éléments de preuve correspondants (par exemple, la décision de déchéance, d’opposition ou d’invalidation des marques citées). Si l’examinateur reçoit les preuves supplémentaires du demandeur et confirme que la suspension a été levée, l’examen reprendra.
Relevons également que, dans certains cas, la suspension de procédure peut être décidée par l’examinateur sans que le demandeur ne la demande.
Conclusion
D’une façon générale, l’adoption de ce texte est donc une évolution très positive, qui va enfin permettre aux déposants de marques de demander formellement la suspension des procédures – et ce, en ayant bon espoir que ces demandes soient accordées. Ces nouvelles règles sont d’ores et déjà appliquées par le TRAB avec succès.
En complément de l’adoption de l’Interprétation, nous espérons que le CTMO envisagera également des mesures supplémentaires pour faciliter la consolidation et l’accélération des actions connexes. Il s’agit là d’un élément clé pour parvenir à un traitement plus efficace de ces affaires et pour aider les titulaires de marque victimes de dépôts de mauvaise foi à récupérer leurs droits de façon plus rapide et moins onéreuse.
Lien vers l’Interprétation du CTMO accessible ici.
Article rédigé par Xuehui WANG