Responsabilité conjointe du dirigeant de l’entreprise contrefactrice
Photo de Hipkicks (Pexels)

Responsabilité conjointe du dirigeant de l’entreprise contrefactrice

Illustration par l’analyse de l’affaire ASICS

La lutte contre la contrefaçon est une priorité pour les autorités chinoises depuis de nombreuses années, mais les contrefacteurs recourent désormais à des méthodes de plus en plus sophistiquées. Ainsi, il n’est pas rare qu’une entreprise ferme à la suite d’une condamnation pour violation de droits de PI, mais que son dirigeant et certains de ses employés parviennent à conserver les outils de la contrefaçon, ainsi que les fonds de l’entreprise pour ensuite créer une nouvelle entité afin de poursuivre leurs activités illégales. Ces dernières années, les autorités administratives et judiciaires ont intensifié leurs efforts pour lutter contre ces modèles de contrefaçon à grande échelle, notamment en tenant les dirigeants responsables des actes de contrefaçon, et en les déclarant solidairement responsables des infractions commises avec les entreprises. L’affaire ASICS illustre parfaitement cette tendance.

ASICS a été fondée au Japon et est devenue un leader dans la production d’articles de sport, notamment de chaussures. Grâce à des années de promotion intensive, les produits ASICS jouissent d’une grande notoriété en Chine. La société japonaise est titulaire de nombreuses marques en Chine, qui protègent notamment les bandes iconiques qui ornent les chaussures ASICS ainsi que des translittérations de la marque ASICS en caractères chinois.

Faits de l’affaire

Cependant, la société a fait face à des violations de ses droits de marque, notamment par une entreprise de chaussures de la province du Fujian (Fujian ChaoMou Shoes Company, ci-après désignée « Fujian ChaoMou ») qui a tenté d’enregistrer des marques similaires, comme les bandes noires (voir ci-dessous) ou encore la marque verbale « acicks », dans la classe 25 qui couvre les chaussures.

Grâce à des procédures d’opposition, ASICS a pu empêcher l’enregistrement de ces marques. Cependant, la société Fujian ChaoMou a continué à se développer et a ouvert de nombreux magasins sous la marque « AISASSA », commercialisant des chaussures portant des signes contrefaisants, qu’il s’agisse de logos similaires aux bandes d’ASICS ou de marques chinoises proches des translittérations adoptées par ASICS. Ces actions ont conduit à des sanctions administratives de la part des autorités chinoises.

Un individu clé dans cette affaire était M. Ling, qui a occupé des postes de responsabilité dans plusieurs entreprises, dont la société Fujian ChaoMou. Ces entreprises ont toutes été impliquées dans des infractions répétées aux droits de marque d’ASICS. Le comportement de M. Ling a soulevé des questions sur sa responsabilité personnelle dans les affaires de contrefaçon. M. Ling a été actionnaire et représentant de la société entre 2017 et 2019. De plus, malgré les sanctions judiciaires et administratives reçues par les différentes entreprises impliquées, il a été démontré que M. Ling avait continué à changer de sociétés tout en poursuivant les actes de contrefaçon.

Un comportement constitutif de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale

La Cour intermédiaire de Suzhou, saisie en première instance, a jugé que la société Fujian ChaoMou avait délibérément imité les bandes emblématiques présentes sur les produits d’ASICS et utilisé des marques chinoises similaires. Elle a estimé que cette stratégie visait à tirer profit de la réputation bien établie d’ASICS, créant ainsi de la confusion parmi les consommateurs. La Cour a donc décidé que ce comportement était à la fois constitutif de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale.

Responsabilité conjointe du dirigeant

De plus, elle a estimé que M. Ling et la société Fujian ChaoMou avaient agi de concert, et partageaient donc une intention commune de contrefaçon, les rendant responsables de manière conjointe.

Le profit tiré des produits contrefaisants a été évalué à au moins 6,6 millions de CNY, et les dommages-intérêts punitifs fixés à 13,5 millions de CNY, une somme reflétant la gravité des infractions. La cour a décidé que M. Ling était tenu de partager la responsabilité à hauteur de 2,5 millions de CNY. Ce jugement a été confirmé par la Cour supérieure du Jiangsu.

Conclusion

Cette affaire est un exemple typique de l’application du principe qui consiste à « percer le voile de la société » dans les litiges de PI en Chine. Ce principe vise à identifier et tenir responsables les individus qui sont derrière les sociétés contrefactrices.

Toutefois, dans la pratique judiciaire, il est parfois difficile de les tenir responsables, notamment en raison de leur statut d’actionnaires minoritaires, de leur faible apport en capital ou de l’absence de statut de représentant légal.

Dans cette affaire, les juges ont adopté une perspective plus large. Ils ont pris en compte le fait que M. Ling avait exercé des positions dans plusieurs entreprises, toutes ayant commis des infractions contre la même marque. Ils ont ainsi établi que cet individu était profondément impliqué dans les actes de contrefaçon, manifestant une intention subjective de violer les droits et utilisant la société comme un outil pour commettre ces infractions.

Cette affaire s’inscrit également dans le cadre d’une protection rigoureuse des droits de PI, en appliquant des dommages-intérêts punitifs tel que cela a été rendu possible lors de la révision de la loi des marques en 2019.

Article rédigé par Audrey DRUMMOND