Un enregistrement possible mais compliqué à obtenir
Comme nous l’avons déjà évoqué plusieurs fois sur ce blog, la Chine fait face actuellement à une véritable explosion du nombre de demandes de marque, ce qui fait qu’il est de plus en plus difficile d’obtenir l’enregistrement d’une marque traditionnelle, à savoir une marque verbale, figurative ou encore semi-figurative. Ce phénomène a poussé les déposants à se tourner vers des marques non traditionnelles, par exemple les marques sonores qui ont été acceptées comme marques enregistrables pour la première fois en 2018, ou encore les marques de couleur que nous allons étudier dans cet article.
Par ailleurs, de nombreuses études de marketing ont montré que les consommateurs reconnaissent mieux la couleur et la forme que le texte brut. Il est donc peu étonnant qu’on ait vu une recrudescence des demandes de marque de couleur en Chine.
Mais, tout d’abord, qu’est-ce qu’une marque de couleur ? Il s’agit d’une marque constituée d’une ou plusieurs couleurs sans autre élément figuratif ni élément verbal. Par exemple, pour citer des marques françaises, le bleu cyan de Decathlon, l’orange d’Hermès ou encore le rouge de SFR, qui ont tous fait l’objet d’un enregistrement en France.
Relevons que, dans le cadre des demandes de marque, les marques de couleur doivent obligatoirement faire l’objet d’une représentation et le sont généralement sous la forme de blocs de couleur. La représentation par blocs de couleur n’est pas la seule possibilité : une marque de couleur peut également être représentée apposée directement sur le produit concerné. Il s’agit alors d’une marque de position, un des exemples les plus connus étant la marque de position de Louboutin dont nous parlions justement il y a quelques mois sur ce blog.
Les marques de couleur sont-elles enregistrables en Chine ?
La Chine accepte l’enregistrement des marques de couleur depuis 2001. En effet, selon l’article 8 de la loi chinoise sur les marques (dans sa version 2019, qui est entrée en vigueur le 1er novembre) prévoit que « tout signe, capable de distinguer les produits et services d’une personne physique, morale ou de tout autre organisme de ceux d’un tiers, y compris les mots, dispositifs, lettres, chiffres, signes 3D, combinaisons de couleurs, sons… ainsi que la combinaison des éléments ci-dessus, peut faire l’objet d’une demande d’enregistrement à titre de marque ».
Ainsi, dans le formulaire de demande, le déposant peut indiquer clairement qu’il s’agit d’un dépôt d’une combinaison de couleurs en cochant la case adéquate.
De plus, les critères d’examen et de révision des marques publiés en 2016 organisent ce type de dépôt et prévoient la liste des informations à fournir par un déposant de marque de couleur, à savoir : une représentation en couleur de la marque et une description détaillée de la marque, ainsi que le nom et les numéros de Pantone des couleurs, et une description explicite sur l’utilisation faite de la marque dans son activité commerciale.
Les conditions à remplir : la combinaison de couleurs et la condition de distinctivité
Mais revenons d’abord à l’article 8 de la loi chinoise sur les marques. A sa lecture, on peut constater qu’il faut obligatoirement que la marque soit constituée d’une combinaison de deux couleurs ou plus. Par conséquent, et conformément aux critères d’examen et de révision des marques de 2016, les couleurs uniques déposées en tant que marques ne peuvent pas être enregistrées, du fait qu’elles sont considérées comme dépourvues de caractère distinctif. A noter cependant que, dans l’affaire Louboutin mentionnée plus haut, la Haute Cour de Pékin a a considéré que l’apposition d’une couleur à un endroit spécifique d’un produit pouvait constituer une marque susceptible d’être enregistrée conformément à l’article 8 de la loi sur les marques. Cette affaire a été renvoyée devant le TRAB (Trademark Review and Adjudication Board) qui devra se prononcer sur le caractère distinctif de cette marque de position.
A contrario, ce n’est pas parce qu’une marque est constituée de plusieurs couleurs qu’elle sera forcément considérée comme distinctive. L’article 8 de la loi chinoise sur les marques indique que les marques constituées par une combinaison de couleurs doivent également remplir la condition de distinctivité. Et cette condition est généralement compliquée à remplir par le déposant, qui va devoir prouver que sa marque de couleur est un signe qui permet de distinguer ses produits ou services de ceux des tiers, alors qu’au contraire, la couleur est généralement perçue par le public comme un élément de décoration.
Ainsi, de nombreuses affaires se sont soldées par des décisions de rejet, les instances administratives jugeant que les signes en question étaient trop simples pour constituer une marque capable de distinguer la source des produits ou services. Cependant, certains déposants ont réussi à obtenir l’enregistrement de leur marque de couleur. Quelle a été leur stratégie pour y parvenir ?
Prouver le caractère distinctif acquis par l’usage
En soumettant des preuves relatives au caractère distinctif acquis par l’usage, certains déposants ont pu obtenir l’enregistrement de marques de couleur conformément à l’article 11 de la loi sur les marques.
Ainsi, dans l’affaire Duracell, la société Gillette a obtenu en 2006 l’enregistrement de la combinaison des couleurs « noir et laiton » désignant le produit de batterie dans la classe 9. Après une décision de refus émise par le CTMO (China Trademark Office) qui qualifiait la marque de marque 3D, le déposant a réussi à prouver, en fournissant de nombreux éléments de preuve, que la combinaison de couleurs avait obtenu un caractère distinctif suite à son utilisation sur ses produits pendant de nombreuses années ainsi qu’à la publicité de la marque, qui en a fait un symbole du produit du déposant. Il s’agissait alors de la première affaire dans laquelle une marque de couleur avait été enregistrée.
Dans les années qui ont suivi, les combinaisons de couleurs « marron et beige » d’UPS, « violet et orange » ou encore « vert et jaune » de John Deere ont également pu être enregistrées en tant que marques. Même s’il est plus aisé qu’auparavant d’obtenir l’enregistrement d’une marque de couleur en Chine, la procédure pour atteindre ce résultat peut être longue et coûteuse pour les déposants, notamment parce que les preuves de distinctivité par l’usage ne peuvent être apportées qu’au stade de la demande de révision, après le refus provisoire de la marque par le CTMO.
Plus récemment, en 2018, la société allemande Andreas Stihl a obtenu l’enregistrement de la combinaison de couleurs « orange et gris » désignant les tronçonneuses en classe 7 suite à une procédure qui dura plus de trois ans. Après le rejet de sa demande par le CTMO, puis par le TRAB, le déposant a dû faire appel auprès de la Cour de PI de Pékin, qui lui a donné raison. Pour accepter cet enregistrement, la Cour a décidé que, même si la marque n’était pas intrinsèquement distinctive, elle avait acquis une distinctivité par l’usage et fonctionnait comme un identificateur d’origine des produits du déposant. La Cour s’est également appuyée sur le fait que le TRAB avait précédemment accepté l’enregistrement d’une marque de position combinant les deux mêmes couleurs apposées sur les produits du déposant, ce qui signifiait que le TRAB avait jugé cette combinaison de couleurs distinctive. Dans ce cas d’espèce, la description fournie avec le formulaire de demande de marque précisait en effet comment la combinaison de couleurs était apposée aux produits et les deux marques concernaient donc les mêmes couleurs et la même position sur le produit.
Afin de réussir à prouver le caractère distinctif par l’usage, le déposant de la marque devra être en mesure de fournir un certain nombre de preuves, concernant notamment la part de marché du produit en Chine, son classement, le nombre de ventes et la publicité extensive et continue, etc. La principale difficulté pour le déposant va consister à prouver que la réputation a été acquise par la combinaison de couleurs, indépendamment d’une éventuelle marque verbale également utilisée sur le produit et l’emballage. La fourniture d’une étude de marché pourra être nécessaire pour convaincre le juge sur ce point.
Quid de la protection de la marque de couleur après l’enregistrement ?
Les tribunaux chinois ont eu l’occasion de se prononcer dans des cas de contrefaçon relatifs à des marques de couleur. L’affaire John Deere est l’une des plus connues. Après l’obtention de l’enregistrement en 2009 de la combinaison « vert et jaune » désignant notamment les moissonneuses, la société John Deere découvre que des concurrents, et notamment la société Jiufang Taihe, utilisent des couleurs similaires apposées sur les mêmes parties des véhicules que celles décrites dans sa demande de marque (à savoir, la couleur verte sur la carrosserie et la couleur jaune à l’intérieur des roues). La Cour intermédiaire de Pékin, puis la Haute Cour de Pékin ont statué tour à tour que le défendeur avait commis des actes de contrefaçon. La Haute Cour de Pékin a en effet indiqué que, bien que les défendeurs aient apposé leur propre marque sur les produits, leur utilisation d’une combinaison de couleurs extrêmement similaire à celle enregistrée par John Deere et dont l’apposition était identique/similaire sur les produits identiques/similaires entraînait une confusion parmi les consommateurs concernés quant à l’origine des produits. Cette affaire nous montre l’avantage que peut avoir le dépôt d’une marque de couleur, qui permet ici à son titulaire d’obtenir une meilleure protection que s’il avait déposé une marque traditionnelle.
De la même manière, dans l’affaire Fluke Corporation, la société Fluke, fabricant d’équipements de tests industriels, n’était pas parvenue à obtenir l’enregistrement de sa marque de couleur, mais uniquement d’une marque figurative composée notamment des couleurs qu’elle souhaitait protéger. Face à l’apposition de ces mêmes couleurs sur des produits similaires par Shenzhen Futaike Apparatus Technology, elle a attaqué cette société sur la base de sa marque figurative mais elle a perdu son procès en 2014. La Cour a décidé que l’apparence des produits du défendeur ne violait pas le droit de marque de Fluke, du fait qu’une marque figurative ne pouvait empêcher l’utilisation par des tiers de l’apparence générale en 3D d’un produit.
Par conséquent, malgré un enregistrement difficile et long à obtenir, le dépôt de marques de couleur présente des avantages incontestables. Relevons que pour protéger l’aspect extérieur d’un produit, d’autres options existent en Chine, à savoir le copyright, qui permet notamment de protéger des motifs décoratifs sur un produit, son emballage, ainsi que les manuels d’utilisation et les publicités, ou encore le « design patent » qui protège la forme esthétique d’un produit.
Article rédigé par Audrey DRUMMOND