En août 2018, les réseaux sociaux chinois ont relayé une nouvelle intéressante : parmi les publications de dépôt affichées sur le site internet de l’Office chinois des marques (CTMO) se trouvait une demande de marque figurative représentant une émoticône très populaire en Chine. Elle représente un personnage qui rit aux larmes. En lisant cette nouvelle, il y a fort à parier que les internautes ont eu une expression très similaire à l’émoticône en question.
Qu’est-ce qu’une émoticône ?
Si vous communiquez sur les réseaux sociaux, vous êtes sûrement familiers des émoticônes. Vous en avez certainement envoyé ou reçu sur Facebook, Whatsapp, Twitter ou encore sur des forums internet. Il s’agit généralement d’une petite image, fixe ou animée, qui permet de communiquer, à l’écrit, une information comparable à une expression faciale.
Les émoticônes sont désormais partout sur la Toile et sont très appréciées des jeunes. Du fait de leur succès, certaines d’entre elles ont développé une forte valeur commerciale en Chine. De plus, elles sont faciles à télécharger depuis Internet, ce qui les rend vulnérables au piratage.
L’émoticône dont nous parlons aujourd’hui a été créée par une équipe de designers travaillant pour Wechat, le service de messagerie instantanée appartenant à la société Tencent. Les designers se sont inspirés d’une expression typique de Stephen Chow (ZHOU Xingchi, célèbre artiste hongkongais) dans ses films.
Selon les informations publiées dans le bulletin des marques, la demande de marque a été déposée en classe 25, qui inclut principalement les vêtements et les chaussures. Le déposant est Jin Zhaoping, un détaillant de vêtements originaire de la province du Zhejiang. Lorsque ce dernier a été contacté, il a contesté le piratage en expliquant ne pas utiliser l’image dans les mêmes domaines que Tencent.
En droit des marques, la Chine applique le principe du premier déposant (« first to file »). Pour cette raison, dans la mesure où personne d’autre ne l’avait déposée en classe 25, cette demande de marque a été approuvée à titre préliminaire par le CTMO. La publication de la marque dans le bulletin ouvre un délai de trois mois pendant lequel les tiers peuvent faire opposition. C’est bien entendu ce qu’a fait Tencent, la décision du CTMO est en attente.
Quelles mesures pouvons-nous prendre pour protéger une émoticône ?
Comme on peut le voir dans cette affaire, une émoticône peut être protégeable par le droit des marques en procédant à un dépôt de marque figurative. Cependant, la protection de marques est limitée aux classes désignées lors du dépôt, ici la classe 25. Le déposant a la possibilité de désigner l’intégralité des classes de produits et services mais cette stratégie a un coût. De plus, le titulaire d’une marque a l’obligation de l’utiliser dans l’ensemble des classes du dépôt. À défaut la marque sera vulnérable à une éventuelle action en annulation de tiers.
Tout d’abord, selon le droit d’auteur de la République populaire de Chine, une émoticône est également protégée en Chine en tant qu’œuvre de l’esprit par le droit d’auteur. Ainsi, la loi chinoise sur le droit d’auteur (copyright law of the People’s Republic of China) reconnaît notamment à l’auteur le droit à la paternité de l’œuvre, ce qui interdit aux tiers d’utiliser une œuvre sans l’autorisation de son auteur. Dans l’affaire en question, c’est l’équipe de designers de l’émoticône qui est détentrice du droit d’auteur. Comment prouver cette titularité ? La publication de l’œuvre permet de dater sa possession. Ainsi, en prouvant avoir été la première à la publier sur les réseaux internet, Tencent pourra démontrer la propriété de l’œuvre.
Le fait de publier une émoticône sur une plateforme internet permet donc de bénéficier d’une protection. Cependant, le risque d’être piraté augmente aussi. Il est donc recommandé de prendre d’autres mesures préventives de protection.
Une autre méthode consiste à procéder à l’enregistrement de droit d’auteur auprès du Copyright Protection Center of China. Cette procédure, rapide et peu coûteuse, permet de déposer la création à protéger et d’obtenir un certificat, qui constitue une preuve de possession de l’œuvre. L’enregistrement du droit d’auteur est un moyen efficace pour préserver les données originales de création et permet donc d’éviter les accidents tels que la perte des originaux et des preuves de possession. Cependant, si un tiers peut apporter des preuves de possession antérieures à la date du dépôt de droit d’auteur, c’est lui qui sera reconnu titulaire du droit d’auteur sur l’œuvre. Pour cette raison, il est indispensable de sauvegarder toutes les preuves de création, qu’il s’agisse du matériel original de création, de l’éventuel contrat de commission ou d’autres documents prouvant la création à une date donnée.
La protection des émoticônes est une question nouvelle et il est toujours intéressant de voir comment la propriété intellectuelle s’adapte et s’applique aux nouvelles créations. Nous attendons donc avec impatience la décision relative à l’opposition déposée par Tencent afin de connaître la position de l’office des marques sur cette affaire.
Article rédigé par ZHANG Jiayu du cabinet LLR China