La CNIPA invalide une série de marques reproduisant l’image de Bruce Lee et détenue par une chaîne chinoise de fastfood.
Après plus de dix ans de poursuites pour contrefaçon de marque, le conflit entre les descendants de Bruce Lee et la chaîne de restauration rapide « Zenkongfu » (en anglais « real kungfu ») a atteint des progrès substantiels. En effet, l’Office chinois des marques a publié des décisions d’invalidation concernant 20 marques déposées par Zenkongfu au motif que ces marques sont quasiment identiques au portrait de Bruce Lee, ce qui peut induire le public en erreur. Nous vous invitons à revenir sur ce cas.
Examen de l’affaire
Le 13 août 2008, Guangzhou Zhenkongfu Catering Management Co., Ltd. a déposé une demande pour la marque semi-figurative contestée, qui reproduit une image ressemblant à l’artiste martial Bruce Lee, représentant un homme aux cheveux noirs dans une pose de kung-fu, portant un haut jaune qui n’est pas sans rappeler le célèbre survêtement jaune qu’il portait dans le film « Le Jeu de la Mort ».
L’enregistrement de la marque a été accordé le 28 septembre 2010, pour notamment les services de restauration en classe 43 jusqu’au 27 septembre 2030.
Les descendants de Bruce Lee, par le biais de la société Bruce Lee Cultural Information Consulting (Shanghai) Co., Ltd., dirigée par la fille de Bruce Lee, a déposé une demande d’invalidation de la marque le 10 septembre 2021. Le TRAB, bureau de révision des marques, a rendu sa décision du 25 août 2022 invalidant la marque litigieuse. Pour les mêmes motifs, 19 autres marques, qui contenaient ce même portrait de Bruce Lee, ont également été invalidées.
Le point de vue du TRAB
Dans sa décision, le TRAB indique que Bruce Lee est largement considéré par de nombreux commentateurs et autres artistes martiaux comme l’artiste martial le plus influent des temps modernes et comme une icône culturelle. Il est le premier promoteur mondial du Kung Fu chinois et le premier acteur chinois à Hollywood. Il est connu comme le « roi du Kung Fu ». Avant l’enregistrement de la marque contestée, Bruce Lee était une personnalité publique jouissant d’une grande popularité et d’une grande influence.
Par ailleurs, le TRAB estime que la marque contestée est quasiment identique au portrait et aux mouvements classiques de Bruce Lee. Elle décide donc que l’utilisation de la marque contestée dans des services désignés est susceptible d’induire les consommateurs en erreur quant à l’origine des services, les amenant à croire que Bruce Lee est, d’une manière ou d’une autre, associé à la chaîne de restauration. Cela constitue une « publicité exagérée et trompeuse » telle que prévue par l’article 10.1 (7) de la Loi sur les marques de 2001.
Par contre, le TRAB ne suit pas le raisonnement des demandeurs concernant la violation de l’article 10.1 (8) de la loi chinoise de 2001sur les marques et décide que la marque litigieuse ne contient pas d’éléments susceptibles d’avoir un impact négatif sur l’intérêt public et l’ordre public. Il est étonnant que cet article n’ait pas été visé puisque c’est cette disposition qui sert généralement à refuser les marques identiques ou similaires aux noms ou portraits de personnalités publiques dans le domaine politique, économique, culturel, religieux et ethnique.
Points clés de la décision
1. Le droit au portrait ne peut être revendiqué dans ce cas
Une revendication de droits antérieurs (y compris le droit à l’image, ou portrait right en droit chinois) ne peut être revendiquée que si la marque contestée a été enregistrée depuis moins de 5 ans. Dans cette affaire, la marque litigieuse est enregistrée depuis plus de cinq ans. Ainsi, bien que la marque contestée porte atteinte au droit à l’image de Bruce Lee, les demandeurs n’ont pas pu invoquer une violation du droit à l’image.
2. La possibilité d’enregistrer le nom et le portrait en tant que marque
D’une manière générale, il est interdit d’enregistrer le nom ou le portrait d’une personne en tant que marque sans l’autorisation de cette personne. Dans le cas contraire, et si la marque a tout de même été enregistrée par l’Office, elle est vulnérable à une action en invalidation sur la base du droit au nom ou au droit à l’image dans un délai de 5 ans à compter de l’enregistrement. Même si le délai de prescription est expiré, la marque pourra tout de même être considérée comme un « enregistrement par des moyens trompeurs » et donc susceptible d’être invalidée à tout moment sur la base de l’article 10.1 (7) de la loi chinoise sur les marques.
De plus, comme indiqué précédemment, les noms ou portraits de personnalités publiques des domaines politique, économique, culturel, religieux et ethnique ne peuvent être déposés comme marques et ce même par la personnalité en question. En effet, selon l’article 10.1 (8) de la loi chinoise sur les marques, les marques préjudiciables à la moralité socialiste, aux mœurs ou ayant d’autres influences néfastes ne peuvent pas être utilisées comme marques. Conformément à l’interprétation de la Cour Suprême concernant le jugement des affaires administratives pour l’autorisation et la détermination des marques, l’utilisation de marques identiques ou similaires aux noms ou portraits de personnalités publiques dans les domaines politique, économique, culturel, religieux et ethnique peut avoir des influences négatives sur l’intérêt public ou l’ordre public.
Pour cette raison, l’utilisation et l’enregistrement de ces marques sont interdits. Dans notre affaire, il est étonnant que le TRAB n’ait pas visé l’article 10.1 (8) qui paraît pourtant particulièrement adapté aux circonstances.
Suites de l’affaire
Malgré la prescription de l’action basée sur le droit à l’image de Bruce Lee, la CNIPA est tout de même parvenue à prononcer l’invalidation des marques. Cependant, selon la base de données de l’Office chinois des marques, l’entreprise ZhenGongFu a formé un appel contre ces décisions d’invalidation auprès des cours chinoises.
Relevons qu’une action en violation de droit à l’image est également en cours devant l’une des cours intermédiaires de Shanghai. La bataille entre les descendants de Bruce Lee et ZhenGongFu se jouera donc désormais devant les autorités judiciaires.
Article rédigé par Fujuan DAI