Leçons de l’affaire CROCS
En octobre 2023, le Tribunal supérieur du Fujian a rendu un jugement en deuxième instance dans l’affaire opposant la société Crocs Trading (Shanghai) Co., Ltd. (ci-après dénommée CROCS) à cinq défendeurs, des sociétés ou individus chinois. Ce jugement ordonne à ces derniers de cesser immédiatement leur violation des droits de marque de CROCS et de l’indemniser à hauteur d’un million de RMB (environ 130 000 euros).
Condamnation des contrefacteurs en première instance
Dans cette affaire, l’un des défendeurs, M. Pan, avait tenté d’enregistrer NBCROSS, CORSS ainsi que d’autres marques similaires ou identiques à la marque CROCS n°3761787 détenue par CROCS. Il fabriquait et commercialisait des chaussures portant ces marques et dont l’apparence et le style des chaussures imitaient également de manière malveillante celles de CROCS, dont la silhouette arrondie et les perforations sur le dessus sont bien connues du public. En outre, M. Pan avait également autorisé l’utilisation de ces marques par les autres défendeurs, et fabriqué et vendu conjointement des produits contrefaits avec eux.
La société plaignante, la société Crocs Trading (Shanghai) Co., Ltd., est la filiale chinoise de la société américaine CROCS, INC. Elle détient la marque chinoise CROCS n° 3761787 et vend ses « CROCS » par l’intermédiaire d’un réseau de revendeurs en Chine depuis 2006. La société mère CROCS, INC. détient également un brevet de design protégeant l’apparence de ses produits, ce qui lui permet de revendiquer une décoration distinctive pour ses produits.
Dans le jugement de première instance, le Tribunal intermédiaire de la ville de Quanzhou a décidé que les actes des cinq défendeurs dans cette affaire constituaient une contrefaçon de marque. De plus, il a aussi fondé sa décision sur l’article 6 de la loi chinoise contre la concurrence déloyale. Cet article précise que les opérateurs ne peuvent utiliser sans autorisation des signes identiques ou similaires aux noms, emballages ou décorations de produits […] ayant une certaine influence, induisant le public en erreur quant à leur origine ou leur lien avec d’autres produits. Ainsi, le tribunal a décidé que les actes des cinq défendeurs violaient également les droits associés à la décoration unique des chaussures CROCS, et constituaient donc des actes de concurrence déloyale.
Saisi de l’affaire en deuxième instance, le Tribunal supérieur du Fujian a confirmé la contrefaçon de marque, mais a annulé la décision du tribunal de première instance concernant la concurrence déloyale.
Annulation partielle en deuxième instance
Dans son jugement, le tribunal a tout d’abord rappelé que, selon la loi et les interprétations judiciaires applicables en Chine, pour qu’une forme de produit soit reconnue comme « ayant une certaine influence » et donc constitutive d’une « décoration » protégeable par la loi, elle doit remplir les conditions suivantes :
– Le produit fabriqué sous cette forme doit être un produit connu ;
– La forme et la structure du produit ne doivent pas relever d’une « conception fonctionnelle nécessaire » ;
– La forme et la structure du produit doivent posséder un caractère distinctif.
Le tribunal a ensuite indiqué que, dans l’affaire CROCS, la structure de forme est indissociable du corps du produit, et donc que le public pertinent est souvent plus susceptible de la considérer comme un composant du corps du produit, et ne la reliera généralement pas directement à un fabricant particulier. Dans ce cas, la décoration de produits doit répondre à des exigences plus strictes, qui comprennent généralement au moins les conditions suivantes :
– La forme doit présenter des caractéristiques distinctives qui la distinguent des conceptions courantes ;
– Grâce à son utilisation sur le marché, le public pertinent doit avoir associé la forme à un fabricant ou un fournisseur spécifique.
Le tribunal a alors décidé que les preuves fournies par le plaignant ne suffisaient pas à démontrer que le public concerné associait la forme et la décoration de cette série de chaussures à la société plaignante. Bien que cette dernière ait fourni un précédent jugement, daté de 2015, dans lequel la forme de ses produits avait été protégée par la loi sur la concurrence déloyale, les juges l’ont jugé trop ancien pour servir de référence pertinente. De plus, les preuves fournies par les défendeurs indiquaient que les produits du plaignant sont devenus relativement courants sur le marché et que des tiers non impliqués dans l’affaire ont réussi à enregistrer des brevets de design basés sur des améliorations de ses caractéristiques.
Le tribunal a également noté que, si la décoration revendiquée par Crocs avait un caractère unique à ses débuts, il n’existe aucune preuve démontrant que Crocs a activement défendu ses droits, ce qui a contribué à rendre cette décoration plus générique et lui a fait perdre son caractère distinctif inhérent. Ainsi, le tribunal a conclu que la décoration revendiquée par Crocs ne satisfaisait pas aux exigences de décoration ayant une certaine influence telles que stipulées dans la loi anti-concurrence déloyale et ne devait donc pas être protégée sur ce fondement juridique.
En conclusion
La décision du Tribunal supérieur du Fujian souligne l’importance de la perception du public et de l’unicité d’une marque dans l’évaluation des droits de propriété intellectuelle. Bien que la marque « CROCS » ait acquis une certaine notoriété, la perte de ses caractéristiques distinctives, due à l’évolution du marché et à l’absence de protection active, a conduit à un refus de protection sous la loi sur la concurrence déloyale. Cette affaire rappelle aux entreprises l’importance de maintenir et de défendre leurs droits de propriété intellectuelle de manière proactive, afin d’éviter que leurs créations ne deviennent trop communes ou confondues avec des produits concurrents.
Par Jiayu ZHANG du cabinet Easytimes IP.