Panorama de la contrefaçon de brevet par équivalence en Chine et comparaison avec l’approche française (partie 1/2)
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Panorama de la contrefaçon de brevet par équivalence en Chine et comparaison avec l’approche française (partie 1/2)

Nous vous proposons aujourd’hui la première partie d’un article qui a été initialement rédigé dans le cadre de la collaboration entre ChinePI et le blog « BLIP, le blog de la propriété intellectuelle ! » (lien : https://blip.education).

 

À l’instar de nombreux pays, la contrefaçon de brevet en Chine n’est pas caractérisée uniquement par la contrefaçon littérale (constituée par une reproduction servile des revendications). La Chine reconnaît en particulier un second type de contrefaçon, la contrefaçon par équivalence, qui élargit dans une certaine mesure la portée de la protection conférée par un brevet. La prise en compte de l’équivalence peut s’avérer extrêmement importante comme outil de lutte contre la contrefaçon ou pour garantir la liberté d’exploitation.

Nous vous présentons ici une synthèse sur la façon dont l’équivalence est appréciée en Chine : tout d’abord les dispositions juridiques, puis la méthode préconisée, suivie de points de vigilance et d’une conclusion tournée vers une comparaison avec l’approche française.

I – Que disent les textes chinois sur l’équivalence ?

L’appréciation de l’équivalence n’existe pas dans la loi chinoise des brevets (dont nous rappelons que la dernière révision a eu lieu en 2020 et est entrée en vigueur le 1er juin 2021), ni dans les règles d’application de la loi.

– L’équivalence a été évoquée pour la première fois en 2001 via une interprétation de l’article 17 par la Cour Suprême (“Plusieurs dispositions de la Cour populaire suprême sur des questions concernant l’application de la loi dans le procès des litiges en matière de brevets“) 

Article 17 – “L’étendue de la protection conférée par le brevet d’invention ou de modèle d’utilité est déterminée par le contenu des revendications, et la description et les dessins peuvent servir à interpréter les revendications”, comme mentionné au premier paragraphe de l’article 56 de la loi sur les brevets, doit s’interpréter comme suit:  “l’étendue de la protection conférée par le brevet est déterminée par les caractéristiques techniques essentielles expressément énoncées dans les revendications, y compris la portée déterminée par les caractéristiques équivalentes aux caractéristiques techniques essentielles.”

Les caractéristiques équivalentes font référence à des caractéristiques qui réalisent sensiblement les mêmes fonctions et produisent sensiblement les mêmes effets par sensiblement les mêmes moyens que les caractéristiques décrites dans les revendications, et peuvent être pensées par l’homme du métier sans travail créatif.

Ainsi, les caractéristiques équivalentes semblent être appréciées en Chine de manière relativement similaire à l’approche française, en comparant les fonctions et leurs effets. Toutefois, à la différence de la France, le critère de nouveauté de la fonction n’est pas évoqué. Il est en revanche mentionné, d’une façon analogue, a priori, à la pratique allemande, que les caractéristiques dont l’équivalence est étudiée ne doivent pas être issues d’un travail créatif (assimilable au fait qu’elles ne doivent pas faire l’objet d’activité inventive probablement).

– Suite à la révision de l’interprétation judiciaire de 2001 en 2015, l’article précité a été légèrement modifié avec l’ajout d’une petite précision : “Les caractéristiques équivalentes font référence …, et peuvent être pensées par l’homme du métier sans travail créatif quand les actes de contrefaçon faisant l’objet de la plainte se produisent“.

– Entre-temps, une autre interprétation judiciaire (“Interprétation de la Cour populaire suprême sur plusieurs questions concernant l’application de la loi dans les procès de litiges en contrefaçon de brevet”, ci-après “Interprétation I“), incluant quelques principes importants relatifs à l’application de la doctrine des équivalents, avait été effectuée en 2009, avant d’entrer en vigueur le 1er janvier 2010. Il s’agissait notamment des articles 5, 6 et 7 suivants :

(Principe de donation) Article 5 – Le tribunal populaire ne soutient pas le comportement suivant : une solution technique qui est seulement décrite dans la description ou les dessins, mais qui n’est pas énoncée dans les revendications, est incluse dans l’étendue de la protection du droit de brevet par le breveté dans un litige en contrefaçon de brevet.

(Principe d’estoppel) Article 6 – Le tribunal populaire ne soutient pas le comportement suivant : une solution technique abandonnée par le demandeur de brevet ou le breveté, au moyen des modifications des revendications ou de la description ou bien d’observations déposées au cours de la procédure de délivrance ou d’invalidation du brevet, est à nouveau incluse par le breveté dans l’étendue de la protection du droit de brevet dans un litige en contrefaçon de brevet.

(Principe de couverture complète) Article 7 – Le tribunal populaire, pour déterminer si la solution technique présumée contrefaisante entre dans la portée de protection du droit de brevet, examine toutes les caractéristiques techniques énoncées dans la revendication invoquée par le titulaire du droit.

Si la solution technique présumée contrefaisante contient des caractéristiques techniques identiques ou équivalentes à toutes les caractéristiques techniques énoncées dans la revendication, le tribunal populaire décide qu’elle tombe dans l’étendue de la protection du droit de brevet ; si, par rapport à toutes les caractéristiques techniques énoncées dans la revendication, la solution technique présumée contrefaisante ne présente pas au moins une caractéristique technique, ou si au moins une caractéristique technique n’est pas identique ou équivalente, le tribunal populaire décide qu’elle n’entre pas dans l’étendue de la protection du droit de brevet.

– Six ans plus tard, un complément de cette Interprétation I, connu sous le nom d’”Interprétation II“, est entré en vigueur, le 1er avril 2016. Cette nouvelle interprétation judiciaire a apporté, entre autres, davantage de précisions sur l’application de l’équivalence pour des cas particuliers. Il s’agit notamment des articles suivants :

(précisions sur le principe d’estoppel) Article 6 – Le tribunal populaire peut interpréter les revendications du brevet concerné en utilisant d’autres brevets qui ont une relation de demande divisionnaire avec le brevet concerné, leurs dossiers d’examen de brevet et les documents effectifs de la délivrance et de la confirmation du droit du brevet.

Les “dossiers d’examen de brevet” comprennent les documents écrits soumis par le demandeur de brevet ou le titulaire du brevet dans le cadre des procédures d’examen, de réexamen et d’invalidation de brevet, les lettres officielles, les comptes rendus de réunion, les comptes rendus d’audience et les décisions effectives rendues dans le cadre des procédures de réexamen et d’invalidation de brevet, etc.

(dispositions liées aux caractéristiques fonctionnelles) Article 8 – Par “caractéristiques fonctionnelles”, on entend les caractéristiques techniques qui définissent des structures, des composants, des étapes, des conditions ou leurs relations, etc., par leurs fonctions ou leurs effets dans l’invention, à l’exception de celles pour lesquelles l’homme du métier peut déterminer directement et sans ambiguïté les modes de réalisation spécifiques permettant d’obtenir les fonctions ou effets mentionnés ci-dessus uniquement en lisant les revendications.

Si, par rapport aux caractéristiques techniques décrites dans la description et les dessins qui sont indispensables pour réaliser les fonctions ou effets mentionnés au paragraphe précédent, les caractéristiques techniques correspondantes de la solution technique présumée contrefaisante permettent de réaliser les mêmes fonctions et obtenir les même effets par sensiblement les mêmes moyens et peuvent être pensées par l’homme du métier sans travail créatif quand les actes de contrefaçon faisant l’objet de la plainte se produisent, le tribunal populaire déterminera que les caractéristiques techniques correspondantes et les caractéristiques fonctionnelles sont identiques ou équivalentes.

(dispositions relatives aux expressions de limitation) Article 12 – Le tribunal populaire ne soutient pas le comportement suivant : dans le cas où des expressions telles que “au moins” ou “pas plus que” sont utilisées dans une revendication pour définir une caractéristique numérique et l’homme du métier, après avoir lu le jeu de revendications, la description et les dessins, considère que la solution technique du brevet souligne particulièrement l’effet limitatif des expressions sur la caractéristique technique, le breveté soutient qu’une caractéristique numérique qui n’est pas identique à celle précitée est une caractéristique équivalente.  

II – Quelle méthode pour déterminer une contrefaçon par équivalence en Chine ?

  • Approche : « 3 sensiblement + 1 évident »

L’article 17, tel qu’ayant été interprété en 2001 ou en 2015, a établi une approche générale pour déterminer une contrefaçon par équivalence : l’approche dite des “3 sensiblement + 1 évident”, composée de quatre éléments à prendre en compte, ou de quatre questions auxquelles répondre :

  1. i) Est-ce que la caractéristique en question de la solution technique arguée de contrefaçon utilise sensiblement les mêmes moyensque la caractéristique correspondante énoncée dans la revendication invoquée par le titulaire ?
  2. ii) Est-ce que la caractéristique en question de la solution technique arguée de contrefaçon réalise sensiblement la même fonctionque la caractéristique correspondante énoncée dans la revendication invoquée par le titulaire ?

iii) Est-ce que la caractéristique en question de la solution technique arguée de contrefaçon produit sensiblement le même effet que la caractéristique correspondante énoncée dans la revendication invoquée par le titulaire ?

  1. iv) Est-ce que la caractéristique en question de la solution technique arguée de contrefaçon peut être pensée par l’homme du métier sans travail créatif(c’est-à-dire de manière évidente)au moment où les actes de contrefaçon faisant l’objet de la plainte se produisent ?
  • Des nuances à prendre en considération

Il est à noter que cette approche est applicable aux caractéristiques non fonctionnelles ; l’approche utilisée pour les caractéristiques fonctionnelles est légèrement différente. L’article 8 de l’”Interprétation II la nomme l’approche “1 sensiblement + 2 identiques + 1 évident”.

De plus, relevons que les quatre questions n’ont pas le même poids. En général, la question i) est la plus fondamentale et est examinée généralement en premier lieu. Si la réponse à cette question est positive, alors on passe aux questions ii) et iii), et ensuite à la iv). Si, au contraire, la réponse est négative, on s’arrête car il n’y a plus de raison d’examiner les trois autres questions. Cependant, les interprétations judiciaires ne donnent pas d’explication sur les expressions, cruciales au jugement, que sont “sensiblement les mêmes moyens”, “sensiblement la même fonction”, “sensiblement le même effet” et “peut être pensée par l’homme du métier sans travail créatif”.

  • Des pistes pour apprécier les « sensiblement »

On peut déceler quelques précisions uniquement dans “les Directives de détermination de la contrefaçon de brevet (2017)” (ci-après “Directives 2017“) émises par la Cour supérieure de Pékin. Attention, ces Directives 2017, qui ne constituent pas des interprétations judiciaires, ne sont pas contraignantes pour les tribunaux situés hors de Pékin, et elles ne servent que de guide non obligatoire même pour les tribunaux de la région. Néanmoins, étant donné que ces Directives ont été rédigées sur la base de l’expérience acquise dans les litiges en contrefaçon de brevet par les tribunaux de Pékin, elles permettent de mieux saisir les quatre éléments suscités, et offrent au moins une indication générale des critères qui pourraient être adoptés par les cours chinoises lors de la détermination de la contrefaçon par équivalence. Voici les précisions relatives aux “3 sensiblement +1 évident” prévues dans les Directives 2017 :

Article 46 – Par “sensiblement les mêmes moyens“, on entend qu’il n’y a pas de différence substantielle en termes de contenu technique entre la caractéristique de la solution technique présumée contrefaisante et la caractéristique correspondante de la revendication.

Article 47 – Par “sensiblement la même fonction“, on entend que la caractéristique de la solution technique présumée contrefaisante et celle correspondante de la revendication jouent sensiblement le même rôle dans leurs solutions techniques respectives. Si la caractéristique de la solution technique présumée contrefaisante a d’autres fonctions par rapport à celle correspondante de la revendication, ces autres fonctions ne seront pas prises en compte.

Article 48 – Par “sensiblement le même effet“, on entend que la caractéristique de la solution technique présumée contrefaisante et celle correspondante de la revendication procurent des effets techniques sensiblement équivalents dans leurs solutions techniques respectives. Si la caractéristique de la solution technique présumée contrefaisante a d’autres effets techniques par rapport à celle correspondante de la revendication, ces autres effets ne seront pas pris en compte.

Article 49 – Par “peut être pensée par l’homme du métier sans travail créatif“, on entend que l’homme du métier pourrait facilement penser à inter-changer la caractéristique de la solution technique présumée contrefaisante et celle correspondante de la revendication. Les facteurs suivants peuvent être pris en compte dans le jugement spécifique : est-ce que les deux caractéristiques appartiennent à la même catégorie technique ou à une catégorie technique similaire ; est-ce que les principes de fonctionnement utilisés par les deux caractéristiques sont les mêmes ; est-ce qu’il existe une simple relation de substitution directe entre les deux caractéristiques, c’est-à-dire est-ce que le remplacement entre les deux caractéristiques nécessite une refonte des autres parties, sachant que le simple ajustement de la taille et de la position de l’interface ne constitue pas une refonte.

  • Des questions qui subsistent

Ces articles 46 à 49 viennent nous éclairer un peu plus quant à la réponse à apporter aux questions i) à iv) de l’approche des “3 sensiblement + 1 évident”. Toutefois, des zones d’ombre demeurent ; que veut dire, par exemple, “différence substantielle en termes de contenu technique” ?

Tout comme dans le cadre de l’évaluation de l’activité inventive d’une invention, le jugement à réaliser pour répondre aux quatre questions est plus ou moins subjectif, et il s’effectue plutôt au cas par cas en pratique. Relevons toutefois qu’il semble qu’entre les quatre questions de l’approche des “3 sensiblement + 1 évident”, il est souvent plus difficile de répondre à la première et la dernière, car elles semblent plus susceptibles de donner lieu à des réponses différentes, tandis que les parties (le breveté, le contrefacteur présumé et le juge) devraient plus facilement être en mesure de se mettre d’accord sur les réponses à donner à la deuxième et à la troisième questions.

  • La caractéristique considérée, un point clé ?

Avant d’appliquer l’approche “3 sensiblement +1 évident”, il faut bien entendu effectuer une comparaison minutieuse entre l’objet de la revendication invoquée par le titulaire et la solution technique arguée de contrefaçon, afin de déterminer si toutes les caractéristiques de la revendication sont reproduites littéralement.

Attention à ce point. Par “caractéristique”, on entend une unité technique permettant de réaliser une fonction technique relativement indépendante. Il ne convient donc pas de regrouper plusieurs unités techniques pour constituer une caractéristique. Dans la pratique, le breveté et le contrefacteur présumé ne sont pas forcément du même avis à ce sujet. Dans certains cas complexes, la manière de regrouper les éléments impacte directement les réponses aux questions i) à iv) ci-dessus, et, partant, la conclusion sur la contrefaçon. Il s’agit d’une question clé et il peut être opportun de travailler cela dans une direction favorable le cas échéant.

Si la réponse sur la reproduction littérale par toutes les caractéristiques est “oui”, alors on peut conclure qu’il s’agit d’une contrefaçon littérale. Dans le cas contraire, il faut déterminer si la solution arguée de contrefaçon contient des caractéristiques pouvant être considérées comme étant équivalentes aux caractéristiques du brevet non reproduites littéralement. C’est à ce moment-là qu’on doit faire appel à l’approche “3 sensiblement + 1 évident”.

Dans le cas où l’on finit par constater qu’il existe au moins une caractéristique ni identique ni équivalente dans la solution arguée de contrefaçon, on peut conclure que la contrefaçon n’est pas fondée.

 

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Article rédigé par Mei TAO, Clémence VALLÉE-THIOLLIER