Offre à la vente de médicaments contrefaisants
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Offre à la vente de médicaments contrefaisants

L’exception Bolar ne s’applique pas

Le 30 mars 2023, la Cour suprême de Chine a publié la liste des affaires typiques traitées par le tribunal de la propriété intellectuelle de la Cour suprême pour l’année 2022. Cette liste consiste en 20 affaires sélectionnées parmi les 3468 affaires de propriété intellectuelle qu’elle a conclues en 2022. Pour rappel, depuis sa création en janvier 2019, ce tribunal sert de juridiction de seconde instance pour les affaires civiles et administratives de propriété intellectuelle impliquant une forte technicité, comme les brevets, les variétés végétales, les topographies de circuits intégrés, les secrets technologiques, les logiciels d’ordinateur, les monopoles, etc.

Dans notre article, nous vous proposons une analyse de deux de ces affaires, référencées sous les numéros (2021) SPC Zhixingzhong No. 451, (2021) SPC Zhixingzhong No. 702. Il s’agit d’affaires administratives portant sur l’offre à la vente de médicaments contrefaisants et la question de savoir si ce type d’acte rentre dans le champ d’application de l’exception Bolar.

Présentation des deux affaires

Les deux affaires en question concernent le brevet d’invention chinois n° ZL 00818966.8 intitulé « Substituted oxazolidinones and their application in the field of blood coagulation« , dont le titulaire est Bayer AG (ci-après dénommé « Bayer »).

Nanjing Hencer Pharmaceutical Co. (ci-après dénommée « Hencer ») et Nanjing Lifenergy R&D Co. (ci-après dénommée « Lifenergy ») ont présenté, sur leurs sites internet officiels et lors du salon CPHI China 2018, des comprimés de « Rivaroxaban » et son ingrédient pharmaceutique actif, ainsi que des boîtes d’emballage et des flacons portant la marque enregistrée de Hencer.

Bayer a déposé une plainte en contrefaçon de brevet auprès de l’Office de la propriété intellectuelle de Nanjing, dans la province du Jiangsu, et ce dernier a ordonné aux deux sociétés Hencer et Lifenergy de cesser leurs actes de contrefaçon. Ces deux sociétés, n’étant pas satisfaites de la décision, ont formé un recours auprès du tribunal populaire intermédiaire de la ville de Nanjing. Après l’examen, ce dernier a décidé de rejeter les demandes des plaignants. Hencer et Lifenergy ont donc fait appel auprès de la Cour suprême, qui a finalement rejeté l’appel et confirmé le jugement de première instance.

Positions des cours et arguments des contrefacteurs allégués

Selon la cour de première instance, les produits exposés par Hencer et Lifenergy tombaient dans le champ de protection du brevet de Bayer et les actes de ces deux entreprises constituaient bien une contrefaçon de brevet par offre à la vente. Par ailleurs, la cour a jugé que l’exception Bolar prévue par l’article 75 de la loi chinoise des brevets pour les médicaments et les dispositifs médicaux ne s’appliquait pas à ces actes d’offre à la vente.

Pour rappel, l’article 75 de la loi sur des brevets (révisée en 2020) prévoit que :

« Un brevet n’est pas considéré comme contrefait si l’une des circonstances suivantes s’applique :


(e) la fabrication, l’utilisation ou l’importation de médicaments brevetés ou de dispositifs médicaux brevetés dans le but de fournir les informations nécessaires à l’obtention d’une autorisation administrative, ainsi que la fabrication ou l’importation de médicaments brevetés ou de dispositifs médicaux brevetés exclusivement pour son compte.
 »

Hencer et Lifenergy ont contesté la décision rendue par la cour de première instance auprès de la Cour suprême en avançant notamment les arguments suivants :

  1. i) le fait de présenter le produit en question sur les sites internet et lors du salon n’avait pour but que d’informer les entreprises qui prévoyaient de développer le rivaroxaban générique et, l’absence d’indication de prix et de quantité disponible du produit en question impliquait que ce dernier n’était pas dans un état de commercialisation. De plus, leur promotion du produit n’était pas réalisée dans un objectif de vente. Leurs actes ne constituaient donc pas une offre à la vente.
  2. ii) même si la qualification d’offre à la vente était retenue, leurs actes relevaient des exceptions prévues par la loi sur les brevets pour les produits pharmaceutiques et les dispositifs médicaux en matière d’approbation administrative et ne devaient pas être considérés comme une violation de droits de brevet.

En deuxième instance, la Cour suprême a considéré les éléments suivants :

– l’acte d’offre à la vente peut s’adresser à des cibles spécifiques ou non, l’envoi ciblé d’une offre à la vente d’un produit à une cible spécifique étant également une offre à la vente. L’acte d’offre à la vente peut consister en une offre ou une invitation à faire une offre. Une offre à la vente est réputée exister lorsque l’intention de vendre le produit est claire et précise. L’absence de certaines conditions relatives à l’établissement du contrat de vente, telles que le prix, la quantité fournie et le numéro de lot du produit, n’affecte pas la détermination de l’acte d’offre à la vente ;

– en l’espèce, sans l’autorisation du titulaire du brevet, Hencer et Lifenergy ont manifesté l’intention de vendre les produits en question à un public non spécifié par l’intermédiaire de leurs sites internet et dans le cadre de salons, ce qui constitue bien un acte de contrefaçon par offre à la vente ;

– l’article 75 de la loi chinoise sur les brevets prévoyant l’exception Bolar concerne deux types d’entités : soit l’entité qui met en œuvre elle-même le brevet afin d’obtenir les informations requises pour l’approbation administrative des médicaments génériques et des dispositifs médicaux, soit l’entité qui met en œuvre le brevet afin d’obtenir l’approbation administrative pour l’entité précitée. Lorsque cette dernière invoque une défense fondée sur l’exception Bolar, l’existence effective de la première entité est un préalable et une condition.

– selon la loi chinoise sur les brevets, les actes régis par l’article 75 concernent les actes de fabrication, d’utilisation et d’importation dans le but de fournir les informations requises pour l’approbation administrative déposée par une entité elle-même, ainsi que les actes de fabrication et d’importation effectués par une autre entité, exclusivement dans le but de demander l’approbation administrative pour la première entité. Cette liste ne comprend pas l’acte d’offre à la vente.

– En l’espèce, Hencer et Lifenergy n’ont pas apporté la preuve de l’existence d’un demandeur particulier à l’autorisation administrative pour fabriquer des médicaments à base de rivaroxaban et leur acte d’offre à la vente va au-delà de la portée des actes prévus par l’article 75 de la loi chinoise sur les brevets. Par conséquent, la Cour suprême confirme que l’exception Bolar ne s’applique pas dans cette affaire.

Apport des décisions de la Cour suprême

Les décisions rendues dans ces deux affaires démontrent clairement la philosophie judiciaire applicable en Chine selon laquelle le droit des brevets est fondé sur le principe de la protection des droits légaux, la non-violation légale étant l’exception. Ainsi, toutes les exceptions doivent être interprétées de manière stricte.

Dans l’application des dispositions pertinentes de l’exception Bolar à l’approbation administrative des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux, il est nécessaire non seulement de protéger l’accessibilité des produits pharmaceutiques et des dispositifs médicaux au public après l’expiration des droits de brevet, mais aussi d’éviter d’affaiblir la protection des droits et intérêts légitimes du titulaire du brevet. Il importe d’équilibrer soigneusement les intérêts du titulaire du brevet, des génériqueurs et du public conformément à la loi.

Article rédigé par Mei TAO