Par arrêt rendu le 24 septembre 2019, le Tribunal de l’Union Européenne a rejeté le recours initié par la société italienne Piaggio & C. contre la décision de l’EUIPO qui avait elle-même rejeté la demande en nullité formée contre le modèle de la société chinoise Zhejiang Zhongneng Industry Group.
Qui ne connaît pas la fameuse motocyclette Vespa, icône du design italien depuis 1946 ? Dès le lancement des premiers modèles, elle a en effet suscité l’intérêt dans le monde entier, et est devenue au fil des années un produit synonyme de jeunesse, de liberté, de féminité, de mobilité et de convivialité. Son succès est d’ailleurs relayé par son utilisation importante dans le cinéma.
Plus de 60 ans après, en 2010, la société chinoise Zhejiang Zhongneng Industry Group (Zhongneng) a obtenu de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) l’enregistrement du dessin ou modèle communautaire reproduit ci-dessous :
En 2014, la société italienne Piaggio & C. (Piaggio) a introduit auprès de l’EUIPO une demande de nullité de ce modèle, invoquant son propre modèle «VespaLX» qui reprend les lignes et les caractéristiques de forme de la mythique Vespa.
Par décision de 2015, confirmée en 2018 à la suite d’un recours administratif présenté par Piaggio, l’EUIPO a rejeté la demande de nullité.
Piaggio a introduit un recours contre cette décision, en vain. Le 24 septembre 2019, le Tribunal de l’Union européenne (TUE) a en effet confirmé la légalité de la décision de l’EUIPO.
Retour sur les trois motifs de recours employés par Piaggio.
Absence de caractère individuel
Pour rappel, la protection d’un dessin ou modèle de l’Union Européenne n’est assurée que dans la mesure où il est « nouveau » et présente un « caractère individuel ». Un dessin ou modèle présente un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement (autrement dit, il doit y avoir une absence de « déjà vu » par rapport au « patrimoine des dessins et modèles »).
Sur ce point, Piaggio avait choisi d’invoquer, parmi toutes antériorités au sein du patrimoine des dessins et modèles, le seul scooter Vespa LX reproduit ci-dessus.
Après avoir comparé le modèle attaqué et les reproductions du scooter Vespa LX, le Tribunal relève que le scooter de Zhejiang et le scooter Vespa LX produisent des impressions globales différentes (et que donc, le premier possède un caractère individuel par rapport au second).
Le raisonnement du Tribunal s’est fait en plusieurs étapes :
Définition de l’« utilisateur averti » (celui à la place duquel le Tribunal se place pour apprécier les ressemblances et différences des modèles en cause) : en l’espèce, il a été défini comme la personne qui utilise un scooter pour ses propres déplacements, qui connait les différents modèles de scooters existant dans le commerce et qui possède un certain degré de connaissance quant aux éléments qui les caractérisent. Cet utilisateur est donc doté d’une vigilance particulière s’agissant du design et de l’esthétique des produits concernés.
Définition du degré de liberté du créateur du dessin ou modèle contesté : compte tenu des contraintes techniques liées au type et à la fonction du véhicule (permettre au conducteur de conserver le buste droit, jambes pliées à 90°, etc.), cette liberté de création a été définie comme « moyenne ».
Comparaison des impressions globales produites par les dessins ou modèles en cause sur l’utilisateur averti : le Tribunal relève en substance que le scooter de Zhongneng est dominé par des lignes substantiellement anguleuses, tandis que le scooter Vespa LX privilégie des lignes arrondies. Les caractéristiques de forme propres au scooter Vespa LX ne se retrouvent pas non plus dans le scooter de Zhongneng, alors que les différences qui les séparent sont nombreuses et significatives et n’échapperont pas à l’attention de l’utilisateur averti, lequel encore une fois, est ici doté d’une vigilance particulière.
Violation d’une marque italienne tridimensionnelle non enregistrée
Piaggio invoquait également la violation d’une marque italienne non enregistrée portant sur la forme du scooter VespaLX.
Mais sur ce point, le Tribunal souligne également que le public pertinent susceptible d’acheter des scooters, ayant un niveau d’attention élevé (car les scooters sont des biens durables relativement coûteux), percevra le style, les lignes et l’aspect qui caractérisent le scooter Vespa LX comme différents, sur le plan visuel, de ceux du scooter de Zhongneng. En raison des impressions différentes dégagées par les deux scooters, il n’existe donc aucun risque de confusion dans l’esprit du public pertinent et donc pas d’atteinte à la marque invoquée.
Violation de droits d’auteur
Enfin, Piaggio invoquait une violation de son droit d’auteur, portant sur la forme de la Vespa, dont les caractéristiques remontent aux années 1945 et 1946, et qui est devenue une icône, symbole des habitudes et du design artistique italien. Ce droit d’auteur a été reconnu par le tribunal de Turin et le tribunal de Paris (selon lequel la forme de la Vespa est dotée d’un caractère arrondi, féminin et « vintage »).
Ce fondement n’aura pas davantage de succès. Procédant encore une fois à une comparaison des modèles en cause, le Tribunal relève que l’on ne retrouve pas, dans le modèle scooter Zhongneng (qui a des lignes droites et angulaires), la forme particulière de la Vespa, dotée d’un caractère arrondi, féminin et « vintage ». Le Tribunal confirme ainsi l’analyse de l’EUIPO excluant la violation des droits d’auteur de Piaggio sur le scooter Vespa LX.
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Cette affaire est intéressante en ce qu’elle illustre la délimitation entre le champ de protection d’un dessin ou modèle, d’une marque tridimensionnelle ou d’un droit d’auteur dans un secteur tel que celui des scooters. Elle rappelle aussi que lorsque la liberté du concepteur est limitée dans un certain domaine, des différences mineures entre les dessins en conflit (telles que celles qui distinguent les modèles de scooter Piaggio et Zhongneng) peuvent suffire à produire une impression générale différente.
Un pourvoi, limité aux questions de droit, peut être formé, devant la Cour, à l’encontre de la décision du Tribunal, dans un délai de deux mois et dix jours à compter de sa notification.
Article rédigé par Céline THIRAPOUNNHO