Analyse de l’affaire de Casio GA-110
En Chine, l’apparence d’un produit peut être protégée de multiples façons. Ainsi, lorsque Casio y a lancé sa montre GA-110, la société a choisi de la protéger par un design patent (brevet de dessin, équivalent à notre dessin-et-modèle). Cependant, après l’expiration du brevet, Casio s’est retrouvée confrontée à des contrefaçons vendues sur les plateformes de vente en ligne. Comment lutter contre ces copies une fois le brevet expiré ? Comme de nombreuses entreprises, la société Casio s’est tournée vers la protection, plus complexe à obtenir, de la concurrence déloyale.
En effet, l’article 5 de la loi chinoise contre la concurrence déloyale prévoit l’interdiction de l’usurpation de l’apparence commerciale d’un produit. Plus précisément, cette disposition stipule que l’utilisation, sans autorisation, du nom, de l’emballage ou de la décoration d’un produit ayant une certaine influence, engendrant une confusion pour le public concerné, constitue un acte de concurrence déloyale. Il s’agit là d’une protection équivalente à celui du trade dress ou habillage commercial.
Selon l’Interprétation de la Cour Suprême sur l’application de la loi dans les affaires civiles de concurrence déloyale, pour évaluer si le nom, l’emballage ou la décoration d’un produit bénéficie d’une « certaine influence », deux critères doivent être pris en compte :
– le produit a acquis une importante réputation en Chine et est connu par le public pertinent, en prenant en compte notamment des facteurs tels que la période, le territoire et le volume des ventes et de la promotion en Chine ;
– le nom, l’emballage ou la décoration concerné présente des éléments distinctifs qui permettent de distinguer la source du produit.
Dans une décision rendue en août 2024, la Cour supérieure de la province du Guangdong a donné raison à Casio Computer Co., Ltd., dans son litige contre les sociétés chinoises Shenzhen Tesgo Watch Co Ltd et Guangzhou TeYuan Watch Industry Co Ltd, condamnant ces dernières pour utilisation non autorisée de la « décoration d’un produit ayant une certaine influence ». Nous vous proposons de revenir sur cette affaire qui illustre les arguments et démonstrations nécessaires pour qualifier la « décoration de produits ayant un certaine influence », et ainsi obtenir gain de cause sur le terrain de la concurrence déloyale.
I. Décision de première instance
Lors de la première instance, le tribunal a estimé que, bien que le brevet de design de la montre GA-110 de Casio ait expiré et soit désormais dans le domaine public, permettant à chacun de l’utiliser, l’utilisation de ce design sur d’autres produits risquait d’induire le public en erreur quant à l’origine des produits, et cette utilisation ultérieure à l’expiration du brevet est à même d’exploiter la réputation du fabricant et constituer ainsi un acte de concurrence déloyale.
Dans cette affaire, Casio a présenté de nombreuses preuves démontrant que sa montre GA-110 avait été vendue pendant une longue période, sur une large zone géographique, avec un volume de ventes élevé, et avait bénéficié d’une importante promotion. Le tribunal a considéré que les caractéristiques de la montre étaient distinctives et qu’elle jouissait d’une notoriété significative sur le marché, permettant au public de distinguer l’origine des produits, constituant ainsi ce qu’on appelle une « décoration de produit ayant une certaine influence ». Par conséquent, les actes des défendeurs relevaient de la concurrence déloyale.
Ainsi, le tribunal a jugé que les défendeurs, Guangzhou TeYuan Watch Industry Co Ltd et Shenzhen Tesgo Watch Co., Ltd., devaient immédiatement cesser d’utiliser la décoration de produit ayant une certaine influence de Casio et devaient l’indemniser à hauteur de 3 millions de RMB (environ 381K euros).
Casio et l’un des défendeurs, Shenzhen Tesgo Watch Co., Ltd., n’étant pas satisfaits du jugement de première instance, ont fait appel devant la Cour supérieure de la province du Guangdong.
II. Décision d’appel
La cour d’appel a estimé que les points litigieux de cette affaire se concentraient autour de deux questions principales : d’une part, la question de savoir si la décoration de la montre GA-110 de Casio en question constituait une « décoration de produit ayant une certaine influence », protégée par la loi contre la concurrence déloyale, et, d’autre part, la question de savoir si les actes de Shenzhen Tesgo Watch Co Ltd étaient constitutifs de concurrence déloyale.
1. L’apparence de la montre GA-110 de Casio constitue-t-elle une « décoration de produit ayant une certaine influence » telle que protégée par la loi contre la concurrence déloyale ?
La cour a indiqué que la protection d’un design en tant que « décoration d’un produit connu » ne repose pas sur la forme elle-même, mais sur la notoriété du produit et la réputation du fournisseur. Les preuves soumises par Casio ont été jugées suffisantes par la cour pour prouver ces deux critères. De plus, les ventes élevées en Chine continentale ont permis de prouver que le produit bénéficiait bien d’une « certaine influence ».
La cour a aussi soutenu que les caractéristiques du design en question se distinguent clairement des autres montres sur le marché, ne relevant pas d’un design générique de montre, ni d’un design conçu pour atteindre un effet technique. Par conséquent, ce design présente une distinctivité élevée.
La cour a enfin relevé qu’après l’expiration du brevet de design protégeant la montre, le demandeur a continué de vendre ce produit, et ces activités commerciales ont contribué à maintenir activement l’influence de cette décoration. De plus, entre 2015 et 2019, le demandeur a intenté plusieurs actions civiles pour défendre ses droits en se fondant sur ses brevets de design associés à la décoration en cause, ce qui empêche de conclure que cette décoration est devenue générique et a perdu sa distinctivité.
Point intéressant, parmi les preuves fournies par Casio et qui ont été prises en considération par la cour, apparaissent des captures d’écran des commentaires des consommateurs sur les plateformes de vente en ligne. Au sujet des copies de montres Casio, certains consommateurs indiquaient à plusieurs reprises des commentaires du style « si vous l’aimez vraiment, économisez pour acheter l’original » ou encore « alternative bon marché à Casio ». Cela a permis de prouver que, même en présence de nombreux produits avec des décorations similaires, cette décoration n’est pas considérée par les consommateurs comme une décoration courante dans l’industrie des montres, et que ces derniers faisaient bien le lien entre la décoration et la marque Casio.
Ainsi, le tribunal d’appel a jugé que le design de la montre Casio constituait une décoration de produit ayant une certaine influence protégée par la loi contre la concurrence déloyale.
2. Les actes de Shenzhen Tesgo Watch Co Ltd constituent-ils des actes de concurrence déloyale ?
Pour déterminer si le défendeur Shenzhen Tesgo Watch Co., Ltd., a commis des actes de concurrence déloyale, il était essentiel de déterminer si ses actions avaient engendré une confusion parmi le public concerné. La cour a pris en compte le fait que, dans la section des commentaires de la boutique en ligne Tmall « Tesgo flagship store » de Shenzhen Tesgo Watch Co Ltd, certains clients, lorsqu’ils discutaient de l’authenticité des produits, laissaient des réponses indiquant ne pas être certains de l’authenticité de ces produits (commentaires du type « le produit est peut-être authentique, je ne suis pas sûr »). Cela démontrait qu’une partie des consommateurs ne parvenait pas à distinguer les produits contrefaits de ceux du demandeur, ce qui témoigne qu’il y avait bien une confusion. Par conséquent, l’argument de Tesgo selon lequel ses actes n’ont pas causé de confusion ou de méprise du public concerné et ne constituent donc pas des actes de concurrence déloyale a été rejeté.
La Cour supérieure de la province du Guangdong a donc estimé que le jugement de première instance avait correctement établi les faits et appliqué la loi, et qu’il devait donc être confirmé. En conséquence, l’appel a été rejeté et le jugement initial a été maintenu.
En conséquence, la cour a confirmé les dommages et intérêts à hauteur de 3 millions de RMB (environ 381K euros), calculés en fonction de l’impact des actes des défendeurs, de leur intention malveillante et de leur historique de ventes. Point intéressant, la cour a rejeté l’argument des défendeurs visant à exclure les données de ventes gonflées, une pratique consistant à créer de fausses commandes pour manipuler les classements en ligne, du calcul des dommages et intérêts, soulignant que les entreprises doivent être tenues responsables de telles pratiques trompeuses.
En conclusion
De plus en plus de titulaires de droits, lorsqu’ils ne parviennent pas à obtenir gain de cause sur la base de leurs droits de propriété intellectuelle, se tournent vers la loi sur la concurrence déloyale pour obtenir une réparation face à des contrefacteurs. Cela nécessite un effort de démonstration conséquent mais permet de pallier d’éventuelles lacunes concernant le dépôt ou la validité de leurs droits de propriété intellectuelle.
Cette affaire illustre bien cette tendance et confirme la volonté des tribunaux chinois de protéger les droits de propriété intellectuelle, de lutter contre la concurrence déloyale et de défendre les marques authentiques et emblématiques, en particulier sur le marché en ligne.
Par Jiayu ZHANG du cabinet Easytimes IP