Comment protéger une marque de vin étrangère en Chine ? Contrefaçon de marque et concurrence déloyale
Château Lafite a remporté une victoire dans une affaire en contrefaçon de marque et concurrence déloyale. Cette affaire est intéressante en raison du montant de dommages et intérêts que le juge a décidé de prononcer. L’indemnisation s’élève à 79,17 millions de yuans (soit 10,29 millions d’euros), un record en ce qui concerne les affaires dans le domaine du vin.
Cette affaire devant la Cour suprême opposait Château Lafite Rothschild (« Rothschild ») à des sociétés chinoises dans le secteur viticole (ci-après les défendeurs). Le tribunal a ordonné aux défendeurs de cesser la contrefaçon de la marque de Rothschild et leurs comportements de concurrence déloyale, et de verser des dommages et intérêts à Rothschild. Rothschild obtient donc gain de cause après une bataille juridique qui aura duré 12 ans.
Rappel des faits
Mais étudions d’abord les faits de cette affaire. Les marques « LAFITE » et « CHATEAU LAFITE ROTHSCHILD » appartiennent à Château Lafite Rothschild et ont été enregistrées en Chine dès 1996. Cependant, en 2005, Nanjing Golden Hope Wine Co., Ltd. (« Golden Hope ») a déposé une demande de marque pour « Lafei Manor » en caractères chinois, qui a été enregistrée en 2007. Rothschild réagit en engageant une action en annulation contre cette marque en 2021, action qui a été couronnée de succès.
Suite à l’annulation de la marque, Rothschild a poursuivi « Golden Hope » et six autres sociétés chinoises spécialisées dans la production et la distribution de vins, incluant notamment les sociétés Nanjing Manor Lafei Wine Co., Ltd. (« Manor Lafei ») et Shenzhen Junteng Wine Co., Ltd. (« Junteng »), devant la Cour populaire supérieure du Jiangsu pour contrefaçon de marque et concurrence déloyale.
La Cour a rendu un jugement selon lequel le comportement des sept défendeurs constituait une contrefaçon de marque et une concurrence déloyale, et leur a donc ordonné de cesser la contrefaçon de la marque de Rothschild et a ordonné à certains défendeurs de verser un total de 79,17 millions de RMB (17,97 millions de dollars américains) à Rothschild pour compenser ses pertes économiques et les dépenses raisonnables engagées pour arrêter la contrefaçon.
Insatisfaits du jugement de première instance, quatre des défendeurs, incluant « Golden Hope » et « Manor Lafei », ont interjeté appel auprès de la Cour suprême de Chine, qui a confirmé le jugement de première instance.
Décision de la Cour suprême
Contrefaçon de marque
La Cour suprême relève que la marque contestée, « LAFEI MANOR », inclut le terme « MANOR », un mot de langue étrangère désignant un lieu, dépourvu de caractère distinctif lorsqu’il est associé à des produits tels que le vin. Elle poursuit en expliquant qu’en revanche, « LAFEI » constitue l’élément distinctif de cette marque et qu’une comparaison entre « LAFEI » et « LAFITE » révèle des similitudes significatives, tant dans la composition des lettres que dans leur ordre et leur prononciation.
Par conséquent, la cour estime la marque contestée « LAFEI MANOR » présente des ressemblances frappantes avec la marque « LAFITE », ainsi qu’avec « CHATEAU LAFITE ROTHSCHILD », où « LAFITE » joue un rôle distinctif majeur. Ainsi, la cour confirme que l’utilisation de la marque « LAFEI MANOR » pour des produits vinicoles par les appelants est bien de nature à engendrer une confusion chez le public quant à l’origine des produits, entraînant ainsi une violation des droits de marque des titulaires des marques citées, appartenant à Rothschild.
Concurrence déloyale
La Cour suprême a noté que « Manor Lafei » utilisait des slogans tels que « Manor Lafei au centre de l’attention mondiale », « le vin préféré de Dieu est enfin arrivé en Chine » dans son « Manuel d’investissement pour magasins spécialisés » pour promouvoir et présenter son vin « Manor Lafei ». Ces slogans, au contenu sémantique vague, exagèrent l’héritage historique et la renommée du vin commercialisé par cette société.
En raison de la notoriété des vins de Rothschild et de la marque « LAFITE », ainsi que de l’association établie entre les marques « Lafei » en chinois et « LAFITE », la cour a estimé que ce type de publicité était susceptible de tromper le public en lui faisant croire que le vin vendu sous la marque « Manor Lafei » provenait d’un domaine viticole mondialement réputé.
Ainsi, la Cour suprême en déduit que le comportement de « Manor Lafei » pouvait conduire à une perception erronée de la qualité et de la réputation de ses produits, constituant ainsi une promotion mensongère et trompeuse, portant atteinte aux intérêts de Rothschild.
En ce qui concerne le distributeur « Junteng », ce dernier avait diffusé une vidéo publicitaire incluant des slogans tels que « Sédiment de l’histoire pendant 12 siècles », « Technologie avancée du 21ᵉ siècle » et « Vin du Château LAFITE ». La Cour a estimé que cette vidéo était susceptible de tromper le public sur la réputation et l’héritage historique du vin « Manor Lafei » et constituait ainsi une publicité mensongère.
Montant de l’indemnisation
Dans cette affaire, la cour du Jiangsu a calculé la marge bénéficiaire en se basant sur le prix de vente et le coût de chaque bouteille de vin contrefait, puis a déterminé les bénéfices réalisés par les appelants en fonction de cette marge et du volume des ventes. En prenant en compte la nature de l’infraction commise par chaque appelant, le degré de leur faute, la durée de l’infraction, les profits générés et d’autres éléments pertinents, la cour a décidé d’appliquer des dommages-intérêts punitifs. Elle a ainsi ordonné une indemnisation de 79,17 millions de yuans (soit 17,97 millions de dollars américains) pour compenser les pertes économiques subies par Rothschild ainsi que les frais raisonnables engagés pour faire cesser l’infraction. La Cour suprême a confirmé la pertinence de cette méthode de calcul.
Points clés
Pour renforcer la protection des droits de propriété intellectuelle, la loi chinoise sur les marques a introduit un système de dommages-intérêts punitifs. En cas de violation malveillante du droit exclusif sur une marque, lorsque les circonstances sont particulièrement graves, le montant de l’indemnisation peut être fixé à un niveau compris entre une et cinq fois le montant de l’indemnisation de base. Cette affaire illustre ainsi parfaitement l’application de ces dommages-intérêts punitifs.
La Cour suprême populaire, en tenant compte de la malveillance manifeste des contrefacteurs et des circonstances entourant l’infraction, a déterminé que « Golden Hope », « Manor Lafei », « Junteng » et les autres entités sont conjointement responsables des infractions commises. Les contrefacteurs ont été condamnés à verser une indemnisation totale de 79,17 millions de yuans. Ce jugement protège efficacement les intérêts légitimes des titulaires de marques, et adresse ainsi un avertissement clair aux autres contrevenants potentiels. Il s’agit d’un signal très encourageant pour les entreprises du secteur viticole, encore largement affecté par les contrefaçons en Chine.
Article rédigé par Fujuan DAI