Litiges transfrontaliers entre la Chine continentale et Hong-Kong
Photo de Pixabay

Litiges transfrontaliers entre la Chine continentale et Hong-Kong

Vers une meilleure reconnaissance et exécution des jugements entre ces deux territoires

Hong-Kong, en tant que région administrative spéciale de la République populaire de Chine, possède son propre système juridique qui est entièrement séparé du système en vigueur en Chine continentale, et ce conformément au principe « un pays – deux systèmes ». Ainsi, les décisions de justice rendues par les tribunaux de Hong-Kong sont considérées êtres des décisions étrangères, et ne sont donc pas automatiquement reconnues et exécutoires en Chine continentale, et vice versa.

Lors de négociations de contrats de PI avec une société chinoise, les parties étrangères sont souvent tentées de prévoir la compétence des juridictions de Hong-Kong pour traiter les futurs litiges. Cependant, en cas de jugement rendu par un tribunal de Hong-Kong, il faudra alors obtenir sa reconnaissance et son exécution à l’encontre de la société chinoise sur le sol de Chine continentale.

De même, de nombreuses situations de contrefaçon impliquent les deux territoires, par exemple lorsque des sociétés ou des individus fabriquent des produits de contrefaçon en Chine continentale et les vendent via les plateformes électroniques à Hong-Kong. Jusqu’à récemment, si les tribunaux hongkongais décidaient de prononcer des dommages et intérêts à l’encontre du contrefacteur, il était difficile d’obtenir l’exécution du jugement en Chine continentale.

Cependant, la situation est en train de changer. En effet, le 18 janvier 2019, la Cour suprême de Chine et le gouvernement de Hong Kong ont signé un arrangement sur la reconnaissance et l’exécution réciproques des jugements en matière civile et commerciale par les tribunaux de la Chine continentale et de la RAS de Hong Kong » (ci-après l’« Arrangement » ). Cet Arrangement est entré en vigueur le 29 janvier 2024.

Généralités concernant l’Arrangement

Comme son nom l’indique, l’adoption de cet Arrangement a pour but de faciliter la reconnaissance et l’exécution de la plupart des jugements civils et commerciaux entre les deux juridictions, et parmi ces jugements, des jugements dans des affaires de PI.

Cet Arrangement adopte de nombreuses dispositions de la Convention sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile ou commerciale (Convention de La Haye), conclue le 2 juillet 2019 à La Haye.

Dans cet article, nous allons détailler quelques dispositions notables de l’Arrangement pouvant s’appliquer lorsqu’il s’agit d’obtenir la reconnaissance et l’exécution de jugements en matière de PI.

Mise en œuvre de l’Arrangement

Hong-Kong a déjà organisé la mise en œuvre de l’Arrangement par le biais de deux textes, à savoir l’Ordonnance sur les jugements du continent en matière civile et commerciale (exécution réciproque) (Cap. 645) et les Règles des jugements de Chine continentale en matière civile et commerciale (exécution réciproque).

En Chine continentale, la Cour suprême devrait promulguer prochainement une interprétation judiciaire pour clarifier l’application de l’Arrangement.

Dispositions de l’Arrangement applicables aux jugements en PI

En ce qui concernent les affaires en matière de droit de PI, l’Arrangement permet la reconnaissance et l’exécution des jugements rendus dans les affaires de contrefaçon de droit de PI ou encore dans le cadre de litiges contractuels liés à la PI, à l’exclusion de certains sujets que nous listons plus loin dans notre article.

La définition des « droits de propriété intellectuelle », prévue à l’article 5 de l’Arrangement, fait directement référence à l’accord sur les ADPIC. Pour rappel, celui-ci liste 7 catégories de droits de PI (à savoir, le droit d’auteur et les droits voisins, les marques, les indications géographiques, les dessins et modèles, les brevets, les topographies de circuits intégrés et les secrets). En outre, l’Arrangement prévoit la protection des variétés végétales et couvre les actes de concurrence déloyale et de passing off.

L’Arrangement permet l’exécution de dommages-intérêts punitifs prévus par les jugements (article 17), ce qui pourrait avoir un impact considérable, vu la tendance actuelle des tribunaux de Chine continentale à imposer de plus en plus souvent des dommages-intérêts punitifs.

Par contre, il exclut la reconnaissance et l’exécution d’un jugement relatif à la validité d’un droit de PI (article 15). Cette exclusion découle assez logiquement du principe de territorialité. Lorsque, par exemple, un tribunal de Chine continentale décide de la validité d’un droit de PI de Chine continentale, ce droit n’est de toute façon valide que dans ce territoire et il n’y a donc pas lieu de faire reconnaître sa validité à Hong-Kong (et vice versa). Cependant, l’Arrangement prévoit qu’une décision en matière de responsabilité fondée sur la constatation de la validité d’un droit de PI peut être exécutée. Ainsi, si un jugement, par exemple, conclut qu’un droit de marque est valide et violé et ordonne le paiement de dommages-intérêts, ces dommages-intérêts pourront être exécutés.

Conditions liées à la compétence territoriale du tribunal d’origine (article 11)

L’Arrangement prévoit aussi que la reconnaissance et l’exécution d’un jugement ne sont possibles que si le tribunal d’origine (c’est-à-dire celui qui a rendu le jugement en question) était bien compétent. Ainsi, pour des litiges en contrefaçon, il indique que seuls les jugements relatifs à des actes de contrefaçon survenus dans la compétence territoriale du tribunal et en relation avec des droits enregistrés ou autrement protégés dans la juridiction d’origine peuvent être exécutés. Relevons que cette deuxième condition n’est finalement qu’une prise en compte du caractère territorial des droits de PI.

Pour les litiges portant sur des contrats commerciaux (et donc parmi eux, les contrats de PI), le tribunal qui a rendu le jugement sera considéré comme compétent si, entre autres, l’une des conditions suivantes est remplie :

  • le défendeur était résident ou enregistré d’une manière ou d’une autre (par exemple, en tant que succursale) dans sa juridiction ;
  • le lieu d’exécution du contrat relevait de sa compétence ;
  • les parties ne se sont pas opposées à la compétence.

Exclusions de l’Arrangement applicables aux jugements en PI

Selon l’article 3 de l’Arrangement, ce dernier ne s’applique pas aux jugements concernant :

  • Les mesures provisoires, quelles qu’elles soient, ne sont pas exécutoires.
  • Les injonctions définitives ne sont pas exécutoires dans les affaires de PI sauf affaires de secret commercial.
  • Les affaires de contrefaçon de brevet d’invention et de modèle d’utilité sont entièrement exclus.
  • La détermination du taux de licence des brevets essentiels standard (SEP) sont exclues.

À noter que l’exclusion des mesures provisoires figure également dans la Convention de La Haye. Pour l’exécution des jugements de Chine continentale à Hong Kong, l’article 21M de l’Ordonnance de Hong Kong permet à une partie de demander des mesures provisoires à l’appui d’une procédure étrangère dont le jugement devra être exécuté à Hong Kong. L’interprétation judiciaire qui devrait être adoptée par la Cour suprême de Chine continentale pourrait également inclure des dispositions similaires.

En résumé, l’Arrangement, en fournissant un cadre complet pour la reconnaissance et l’exécution réciproques des jugements concernant la plupart des affaires civiles et commerciales, offre aux parties en litige à Hong Kong et en Chine continentale une meilleure sécurité juridique quant à la reconnaissance et à l’exécution des jugements transfrontaliers.  

Le texte de l’arrangement est disponible ici, dans sa traduction anglaise : https://www.doj.gov.hk/en/mainland_and_macao/pdf/Doc3_477379e.pdf

Article rédigé par Audrey DRUMMOND