Partie II. En cas d’existence de traité bilatéral : l’exemple de la France et la Chine
Comme nous l’avons expliqué dans notre premier article sur le sujet (« L’exécution de jugements étrangers en Chine (1/2) »), la question de savoir si une décision de justice rendue à l’étranger peut être reconnue et exécutée en Chine dépend de l’Etat qui l’a rendue, et plus particulièrement de l’existence ou non d’un traité bilatéral entre la Chine et cet État.
Lorsqu’un traité bilatéral existe, les décisions peuvent, en principe, être reconnues et exécutées en Chine selon les dispositions du traité en question.
Relevons cependant que, d’une manière générale, ce principe est d’application délicate car, même en présence d’un tel accord, celui-ci prévoit systématiquement une liste importante d’exceptions sur lesquelles les tribunaux peuvent se baser pour rejeter une demande de reconnaissance, c’est le cas du traité signé entre la France et la Chine. En pratique, cela se traduit par des difficultés à obtenir la reconnaissance d’une décision de justice étrangère en Chine.
La Chine a signé des accords bilatéraux avec 34 pays, dont la France. Le traité signé entre la France et la Chine intitulé « accord d’entraide judiciaire en matière civile et commerciale » a été signé le 4 mai 1987. Cet accord prévoit le principe de reconnaissance et d’exécution mutuelle des décisions en matière civile et commerciale lorsqu’elles sont passées en force de chose jugée.
Nous vous proposons donc de revenir sur les dispositions contenues dans ce traité qui nous permet de comprendre la procédure à suivre pour obtenir la reconnaissance et l’exécution d’une décision de justice française en Chine. Relevons que ces dispositions sont réciproques, et que par conséquent elles s’appliquent également aux jugements chinois dont la reconnaissance et l’exécution seraient demandés à l’État français.
1) Quelle est la procédure applicable pour obtenir la reconnaissance et l’exécution d’un jugement français en Chine ?
Selon l’article 20 de l’accord franco-chinois, l’action en reconnaissance et en exécution doit être introduite directement par le demandeur auprès de la juridiction compétente de l’État en question. Pour déterminer la juridiction compétente en Chine, il convient d’appliquer la loi de procédure civile qui précise que les cours intermédiaires (niveau de cour d’appel) du lieu de résidence ou d’établissement du défendeur ou du lieu des propriétés du défendeur sont compétentes.
Par ailleurs, l’article 23 indique que la juridiction en question se prononce sur la reconnaissance et l’exécution de la décision selon la procédure régie par la loi de son État, à savoir pour la Chine, à nouveau, la loi de procédure civile.
2) Quelles exigences doit satisfaire une demande de reconnaissance et d’exécution ?
L’article 21 ajoute que le demandeur doit produire les documents suivants :
– Une copie de la décision qui doit indiquer en termes explicites qu’elle est passée en force de chose jugée, à défaut elle doit être accompagnée d’un acte officiel délivré par la juridiction attestant de ce statut ;
– L’original de l’exploit de signification de la décision ou de tout acte qui tient lieu de signification. Si la décision est rendue par défaut, une copie de la citation à l’instance constatant que la partie défaillante a été légalement appelée à comparaître doit être produite.
– Les traductions certifiées conformes de ces pièces.
3) Pour quels motifs la reconnaissance et l’exécution peuvent-elles être refusées ?
L’article 22 prévoit un certain nombre de situations dans lesquelles les jugements ne seront pas reconnus, et notamment :
– en cas d’incompétence : la décision émane d’une juridiction incompétente selon les règles de l’État à qui il est demandé de reconnaître et exécuter le jugement (l’État chinois dans notre cas) ;
– lorsque la décision n’est pas passée en force de chose jugée ou n’est pas exécutoire en vertu de la loi de l’État où elle a été rendue ;
– lorsque la Partie qui a perdu le procès n’a pas été légalement citée et n’a pu de ce fait comparaître en justice ;
– en cas de jugements ou procédures parallèles, par exemple si une autre décision passée en force de chose jugée concerne un litige entre les mêmes parties, fondé sur les mêmes faits et ayant le même objet a déjà été reconnue par l’État chinois ;
– Lorsque l’exécution de la décision porte atteinte à la souveraineté ou à la sécurité de l’État à qui il est demandé de reconnaître et exécuter le jugement, ou s’avère contraire à l’ordre public de celui-ci.
4) En pratique, est-il facile d’obtenir la reconnaissance et l’exécution de jugements français en Chine ?
Le site internet China Justice Observer tente depuis plusieurs années de collecter les affaires de reconnaissance et d’exécution de décisions de justice étrangères en Chine. La liste qu’elle tient est donc non exhaustive. S’agissant des décisions françaises, elle ne répertorie que 5 affaires depuis 2005, qui ont donné lieu à 3 décisions positives de reconnaissance et d’exécution.
L’une de ces décisions concerne une affaire de propriété intellectuelle (Schneider Electric Industries SAS v. Wenzhou Feilong Electric Appliances Co. Ltd (2005) Wen Min San Chu Zi No.155) mais la demande de reconnaissance a échoué. En effet, les juges chinois ont estimé que la décision n’était pas exécutoire pour deux raisons. D’une part, parce que les éléments soumis ne permettaient pas, selon les juges, de démontrer que la décision avait été signifiée au défendeur de manière conforme au traité franco-chinois, et d’autre part, parce que la décision ne revêtait pas encore la force de chose jugée car, bien que le délai d’appel avait expiré, le défendeur avait encore la possibilité de former un appel selon le droit français.
Bien que cette liste soit non exhaustive, son analyse permet de donner une idée approximative du taux de succès des demandes ainsi que des motifs de rejet. Sur les 57 affaires relevées par China Justice Observer (tous pays compris), 29 se sont soldées par des décisions positives de reconnaissance. Concernant les motifs de rejet, l’absence de réciprocité, critère applicable uniquement en l’absence de traité bilatéral, est le motif le plus souvent invoqué. Au contraire, très peu d’affaires ont été rejetées en raison d’une atteinte à la souveraineté ou sécurité de l’État. L’affaire Schneider v. Wenzhou Feilong témoigne quant à elle de la rigueur procédurale en la matière.
Conclusion
Il est donc possible de faire reconnaitre et exécuter des décisions judiciaires étrangères en Chine, mais la démarche n’est pas dénuée d’embûches, tant sur le fond que sur le forme. Au vu du taux de succès environnant les 50 % et du nombre très limité des demandes, il peut être judicieux de poursuivre une société chinoise directement devant un tribunal chinois afin de mettre plus facilement en œuvre l’exécution de la décision obtenue, en cas de succès. Qui plus est, la politique de plus en plus protectrice des droits de propriété intellectuelle en Chine a fait renforcer de manière significative la compétence et l’efficacité des tribunaux chinois. A titre d’illustration, la société Schneider vient d’obtenir le paiement par une société chinoise d’un montant de 40 millions de CNY (5 millions d’euros) de dommages et intérêts dans le cadre d’une action en contrefaçon menée devant un tribunal chinois. La procédure aura duré environ 16 mois.
Article rédigé par Audrey DRUMMOND