Les technologies liées à l’intelligence artificielle (IA) se développent à une vitesse fulgurante et s’appliquent à de nombreux secteurs – et notamment au secteur créatif. Ainsi, on a vu apparaître des robots écrivains, capables de rédiger des articles sur la base d’informations. Les agences de presse, telles que Bloomberg et Forbes, s’en sont dotées. C’est le cas également du géant chinois Tencent, comme nous allons le voir plus loin dans cet article.
Les progrès de l’intelligence artificielle et ses applications dans le domaine de la création amènent à repenser le rôle des machines dans le processus créatif et soulèvent des questions liées au droit d’auteur, en particulier, celle de savoir si les œuvres générées par IA peuvent être protégées par la loi sur le droit d’auteur.
C’est une question qui fait l’objet de nombreux débats dans le monde et la Chine ne fait pas exception. En effet, traditionnellement, seules les œuvres créées par des personnes peuvent être protégées par le droit d’auteur. Selon les règles internationales et chinoises relatives à la protection du droit d’auteur, les créations doivent être originales et résulter d’une activité intellectuelle humaine. Ainsi, lorsqu’une œuvre a été générée par une machine et non par un humain, la question de sa protection par le droit d’auteur peut être légitimement posée.
Vous vous souvenez sûrement de cette affaire qui avait défrayé la chronique il y a quelques années concernant le droit d’auteur des « selfies » pris par un singe avec un appareil photo appartenant à un photographe. Le photographe avait tenté de revendiquer la propriété des photographies et l’association People for the Ethical Treatment of Animals (PETA) l’avait poursuivi afin d’obtenir que la titularité du copyright soit attribuée au singe. En fin de compte, l’Office du droit d’auteur des Etats-Unis, saisi de cette question, avait décidé que la photographie appartenait au domaine public, car le droit d’auteur nécessite une participation humaine. Si on suit ce même raisonnement, les machines, comme les singes, ne peuvent pas être titulaires du droit d’auteur sur une œuvre. Relevons tout de même qu’une œuvre réalisée avec l’aide d’un humain reste éligible au droit d’auteur.
Dans une affaire datant de 2019, un tribunal de Shenzhen a statué sur cette question et a pris une décision sans précédent dans le monde puisqu’il a décidé qu’une œuvre générée par intelligence artificielle pouvait être protégeable par le droit d’auteur.
L’affaire en question concernait des articles de presse générés par un robot dénommé Dreamwriter, constitué d’un système d’écriture automatisé basé sur les algorithmes créés par la société Tencent. Les articles incluaient la mention suivante « automatically written by Tencent Robot Dreamwriter ». En 2018, Tencent découvre qu’une plateforme en ligne opérée par une société tierce – une revue financière du marché boursier – a copié l’un de ces articles sur son site internet. Tencent agit donc en justice contre cette société pour violation de son droit d’auteur.
La question soumise au tribunal était double. Premièrement, il s’agissait de décider si l’article concerné était « original » au sens de la loi chinoise, et deuxièmement, si le droit d’auteur de l’article appartenait bien à la société Tencent.
Le tribunal a décidé tout d’abord, que « l’article reflétait une sélection, une analyse et un jugement des informations et données boursières disponibles à ce moment-là » et, dans cette mesure, il remplissait les conditions pour entrer dans la catégorie des œuvres écrites, et était qualifié pour bénéficier de la protection du droit d’auteur. Concernant la question de la titularité des droits, le tribunal a estimé que les droits revenaient à l’entreprise qui a produit cette intelligence artificielle, en l’espèce à Tencent. Le défendeur a donc été condamné à retirer l’article de son site et à payer une amende.
Dans un contexte où les technologies liées à l’intelligence artificielle se développent très rapidement et s’appliquent à un nombre grandissant de secteurs, les législateurs et les tribunaux sont poussés à prendre position sur cette question essentielle. La décision Tencent a donc fait jurisprudence en Chine. Même si elle a l’avantage d’unifier les normes de protection et fournir des orientations claires aux acteurs de l’industrie, elle n’en est pas moins contestée par certains experts qui estiment qu’elle vide le droit d’auteur de son sens et s’inquiètent des éventuelles dérives d’une telle position. En effet, cette décision pose de nombreuses questions, la première étant de savoir où tracer désormais la limite de la protection.
Article rédigé par Audrey DRUMMOND