Pendant de nombreuses années, une incertitude a régné en Chine concernant les accords de coexistence. Cette situation résultait notamment de décisions contradictoires rendues par différentes autorités chinoises sur la question. Parmi elles, l’office chinois des marques (CTMO), le TRAB et les cours de première et deuxième instance ont pris des décisions très divergentes, ce qui rendait difficile l’établissement d’une tendance en la matière.
Une absence de cadre légal pour la prise en compte des accords de coexistence de marques
Il convient de rappeler que la loi chinoise sur les marques, dans son article 30, indique qu’une marque, pour obtenir son enregistrement en Chine, doit être disponible, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas entrer en conflit avec une marque déjà déposée. Pour vérifier la disponibilité de la marque, le CTMO effectue une recherche d’antériorité lors de l’examen de la demande et peut donc refuser l’enregistrement si la marque est identique ou similaire à une marque antérieure désignant des produits/services identiques ou similaires.
Il n’existe pas en Chine de textes légaux ou administratifs permettant de guider l’office des marques et le TRAB (Trademark Review and Adjudication Board) au cas où le déposant fournit un accord de coexistence de marques. Par conséquent, ces deux autorités ont pendant longtemps rejeté ces accords et refusé l’enregistrement de la marque dans la plupart des cas.
Qu’est-ce qu’un accord de coexistence de marques ?
Aussi appelé lettre de consentement, il s’agit d’un accord signé entre deux déposants dont les marques entrent en conflit car elles sont identiques ou similaires et désignent des produits/services identiques ou similaires. Cet accord permet au deuxième déposant d’obtenir l’enregistrement de sa marque et de pouvoir l’exploiter pour certains produits et/ou services selon des modalités librement définies par les parties.
La jurisprudence privilégie l’intérêt du public
Cependant, depuis 2010, les cours de justice chinoises ont progressivement ouvert la voie et pris position en faveur de l’acceptation des lettres de consentement ou accords de coexistence, encadrés par des conditions. D’une manière générale, on peut retenir de ces décisions que, dans l’hypothèse où un tel accord est soumis par un déposant, le critère clé posé par la jurisprudence est de vérifier si l’enregistrement de la marque aura un effet préjudiciable sur l’intérêt du public.
Ainsi, dans une décision concernant l’enregistrement de deux marques figuratives similaires par les entreprises Argos et Areva, le TRAB décida d’accepter la demande d’enregistrement de marque suite à la soumission d’un accord de coexistence et pour la raison suivante : les marques étaient différentes en termes de design et pouvaient être différenciées dans leur apparence générale. Ainsi, il n’y avait pas de possibilité de confusion des marques et l’intérêt du public était donc indemne.
Dans la décision Weimeng c/ TRAB de 2016, la cour de propriété intellectuelle de Pékin a également pris position sur le sujet. L’apport principal de la décision concerne les critères posés pour accepter une lettre de consentement. Ainsi, la cour énonce que pour accepter un accord de coexistence, d’une part les marques doivent présenter des différences dans leur présentation générale et d’autre part, l’enregistrement des deux marques ne doit pas causer une confusion pour le public.
Attention cependant en cas de produits identiques ou similaires
Plus récemment, en 2017, la Cour suprême de Chine a également décidé d’accepter une lettre de consentement dans une affaire concernant deux marques figuratives similaires « NEXUS », l’une enregistrée au nom de l’entreprise japonaise Shimano Inc. couvrant les ordinateurs de vélo, et l’autre que l’entreprise Google souhaitait enregistrer en classe 9 pour les ordinateurs de poche et ordinateurs portables. La Cour suprême a indiqué dans cette affaire que lorsque le CTMO ou le TRAB envisageait le refus d’une demande de marque en raison d’une marque antérieure, une lettre de consentement délivrée par le titulaire de cette marque antérieure était un critère important à prendre en considération. La cour suprême estime en effet qu’octroyer son consentement est une façon pour le titulaire de marque de disposer de ses droits et doit être respecté sauf si cela est contraire à l’intérêt du pays, de la société et des tiers. Cependant, dans ce cas d’espèce, il est certain que les différences existantes entre les produits couverts (ordinateurs de poche et portables / ordinateurs de vélo) ont également influencé la cour dans sa décision.
En général, les autorités et cours chinoises se montrent donc de plus en plus ouvertes à l’acceptation des lettres de consentement ou accords de coexistence sauf dans le cas de marques identiques ou très similaires désignant des produits identiques ou très similaires.
Article rédigé par Audrey DRUMMOND