Le principe de bonne foi en droit des brevets
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Le principe de bonne foi en droit des brevets

Un principe qui s’applique tout au long du cycle de vie des brevets

Comme annoncé précédemment, nous publions une série d’articles consistant à présenter les changements majeurs prévus dans le cadre de la récente révision du règlement d’application de la loi chinoise sur les brevets (ci-après le « règlement ») et des directives d’examen de brevets (ci-après les « directives »).

Cet article, le 8ᵉ de cette série, est consacré au principe de bonne foi, introduit par l’article 20 de la loi des brevets lors de sa révision en 2020. À l’époque, l’adoption de cette disposition visait à envoyer un message fort contre les comportements malhonnêtes lors des dépôts de brevet. Toutefois, nous attendions encore les règles d’application.

La révision du règlement et des directives en 2023 a permis de clarifier les modalités de mise en œuvre de ce principe en droit des brevets. Comme nous le verrons dans cet article, ces textes indiquent clairement que le principe de bonne foi doit être respecté tout au long du cycle de vie des brevets. Il s’applique donc dès le dépôt des demandes, fait partie des critères vérifiés par les examinateurs lors de l’examen quant au fond des demandes, et peut également servir de fondement juridique lors des procédures d’invalidation de brevet.

I. Introduction du principe de bonne foi dans le nouveau règlement

L’article 11 du nouveau règlement stipule que les demandes de brevet doivent être conformes au principe de bonne foi et que, par conséquent, toutes les demandes de brevet doivent être fondées sur des activités réelles d’invention et de création et que toute fraude est interdite. Les articles 50, 59 et 69 du nouveau règlement, qui traitent respectivement des procédures d’examen préliminaire, d’examen quant au fond et d’invalidation, y font également référence.

L’article 88 stipule qu’il est interdit pour le titulaire du brevet de faire une déclaration de licence ouverte ou d’obtenir une réduction ou une exemption de la taxe annuelle de brevet pendant la période de mise en œuvre de la licence ouverte en fournissant de faux éléments, en dissimulant des faits, etc. 

L’article 100 précise quant à lui les sanctions administratives en cas de violation du principe de bonne foi. Il autorise les autorités compétentes en matière de brevets, au niveau des comtés ou au-delà, à émettre des avertissements ou à infliger des amendes allant jusqu’à 100 000 RMB.

II. Application du principe de bonne foi par les nouvelles directives

Suite à la révision du règlement, les directives d’examen ont également été révisées pour prévoir l’application de ce principe dans le cadre de dispositions similaires. Ces nouvelles directives intègrent donc les violations du principe de bonne foi comme des circonstances pouvant entraîner le rejet des demandes de brevet ou l’invalidation des droits. En outre, les nouvelles directives précisent que l’article 11 du nouveau règlement doit être pris en compte à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’examen préliminaire, lors de l’examen quant au fond lorsque l’examinateur dispose « de preuves ou de raisons suffisantes » et lors des procédures de réexamen et d’invalidation.

Relevons un point intéressant au sujet de ces dispositions :  selon les nouvelles directives d’examen, pour appliquer le principe de bonne foi prévu dans le nouveau règlement, il est nécessaire de disposer de « preuves » ou de « raisons suffisantes ». Placer les « preuves » avant les « raisons suffisantes » et exiger que ces raisons soient « suffisantes » (adjectif qui ne s’applique pas aux « preuves ») reflète pleinement le principe de la priorité donnée à la preuve.

Le principe de bonne foi est donc un principe de base qui s’applique tout au long du cycle de vie des brevets.

III. Adoption du règlement sur la régulation des comportements de demandes de brevet

Le jour de la publication du nouveau règlement a été également publié un texte supplémentaire intitulé « Règlement sur la régulation des comportements de demandes de brevet ». L’article 3 de ce règlement liste une série de 8 comportements qui sont considérés comme violant le principe de bonne foi.

Il s’agit des situations suivantes, qui conduisent au dépôt de demandes de brevet dites « anormales » :

  1. La soumission de plusieurs demandes de brevet dont le contenu inventif est manifestement identique, ou essentiellement constitué par une simple combinaison de différentes caractéristiques et éléments inventifs ;
  2. Les demandes de brevet impliquant la fabrication, la contrefaçon ou la modification de l’invention, des données expérimentales ou des effets techniques, ou qui plagient, remplacent ou assemblent des technologies ou conceptions existantes, ou d’autres circonstances similaires ;
  3. Les demandes de brevet dont le contenu inventif est principalement généré de manière aléatoire à l’aide de technologies informatiques ;
  4. Les demandes de brevet dont le contenu inventif est manifestement incompatible avec l’amélioration technique et le bon sens en matière de conception, ou qui dégradent, accumulent ou limitent inutilement la portée de la protection ;
  5. Les demandeurs soumettant plusieurs demandes de brevet sans activité réelle de R&D et qui ne peuvent fournir d’explication raisonnable ;
  6. La dispersion malveillante ou le dépôt séquentiel ou hétérogène de plusieurs demandes de brevet essentiellement associées à une entité, une personne ou une adresse spécifique ;
  7. Le transfert ou l’acquisition de droits de demande de brevet à des fins inappropriées, ou la modification frauduleuse de l’inventeur ou du concepteur ;
  8. Tout autre comportement anormal en matière de demandes de brevet qui viole le principe de bonne foi et perturbe le cours normal du système des brevets.

On comprend donc que l’une des solutions trouvées par les autorités chinoises pour lutter contre les dépôts de brevets anormaux consiste à inciter les praticiens, qu’il s’agisse des mandataires brevets ou des responsables PI des entreprises qui déposent des brevets, à être plus attentifs lors de la préparation du dépôt de demandes de brevet et dans la rédaction de ces dernières. Cela devrait permettre de réduire les demandes de brevet anormales déposées involontairement.

Cependant, en examinant la liste de comportements considérés comme anormaux, on remarque que certains termes, qu’il s’agisse des similitudes « manifestes », de la combinaison « simple » ou encore de la dispersion « malveillante », sont relativement flous et subjectifs. En conséquence, leur évaluation par la CNIPA risque d’être complexe et sujette à discussions, ce qui aura pour effet d’alourdir encore la charge de travail des examinateurs.

IV. Demandes de brevet jugées anormales par erreur, comment se défendre ?

Lorsqu’une demande de brevet est considérée par erreur comme anormale par la CNIPA, il est possible d’obtenir une reclassification de la demande en demande normale. Pour cela, il est essentiel de pouvoir formuler des observations claires et argumentées pour faire progresser la procédure d’examen.

Prouver qu’une demande de brevet n’est pas anormale revient essentiellement à prouver deux conditions cumulatives : le comportement du demandeur en matière de demande de brevet est conforme au principe de bonne foi et la demande de brevet concerne une invention réelle.

A cette fin, il convient d’apporter des arguments et des documents justificatifs pour prouver la bonne foi du déposant. Par exemple, les éléments suivants peuvent être mis en avant :

– Preuves de force en R&D, pour établir que le demandeur possède une réelle force en R&D et que le demandeur a la capacité de proposer une solution innovante justifiant une demande de brevet ;

– Preuves de l’authenticité de l’invention, consistant à prouver que l’invention objet de la demande de brevet présente de réelles améliorations et que la demande de brevet soumise par le déposant est basée sur de réelles améliorations.

V. Conclusion

En conclusion, l’article 11 du nouveau règlement a renforcé l’efficacité du principe de bonne foi introduit lors de la dernière révision de la loi sur les brevets. Toutefois, en raison de la nature subjective de l’appréciation des violations de la bonne foi, il est raisonnable de s’attendre à ce que la CNIPA fasse preuve de prudence dans son application. Néanmoins, on peut espérer que la mise en œuvre du nouveau règlement et des directives d’examen contribuera à limiter les pratiques de brevet malhonnêtes, en offrant un mécanisme plus solide et équitable pour renforcer la protection des brevets en Chine.

Article rédigé par Xin YUAN