Le piège des limitations après délivrance en Chine
Photo de Sebastian Voortman:

Le piège des limitations après délivrance en Chine

Attention, les modifications des revendications à partir de la description d’un brevet délivré ne sont pas possibles

Il s’agit d’une particularité du droit des brevets en Chine : les modifications des revendications à partir de la description ne sont pas possibles après la délivrance du brevet. Les seules modifications autorisées sont des modifications à partir des revendications délivrées. De telles dispositions, qui diffèrent de celles en France et en Europe, requièrent que les déposants étrangers aient une vigilance particulière au moment de l’examen en Chine, et tout particulièrement lors des réductions du nombre de revendications à des fins d’économies.

Ce que dit la loi chinoise sur les modifications après délivrance

L’article 73 des Règles d’application de la loi sur les brevets (dans leur version entrée en vigueur en janvier 2024, anciennement article 69) porte sur les modifications possibles au cours d’une procédure d’invalidation d’un brevet délivré, il mentionne :

« Dans la procédure d’examen d’une requête en invalidation, le titulaire d’un brevet d’invention ou d’un modèle d’utilité peut modifier les revendications, mais ne doit pas élargir la portée de la protection du brevet initial ».

Par ailleurs, les Directives en matière d’examen des brevets complètent ces dispositions et mentionnent, en section 4.6, chapitre 3, partie IV (soulignements par nous) :

« Toute modification des documents de brevet d’invention ou de modèle d’utilité doit être limitée seulement aux revendications, et doit suivre les principes suivants :

(1) Le titre de l’objet d’une revendication ne peut être changé ;

(2) La portée de la protection ne peut être étendue par rapport à celle dans le brevet accordé ;

(3) La modification ne doit pas dépasser la portée décrite dans la description et les revendications originales ;

(4) L’ajout de caractéristiques techniques qui ne sont pas inclues dans les revendications accordées n’est généralement pas autorisé. »

Ainsi à ce jour, la législation chinoise ne permet pas d’aller puiser des caractéristiques limitatives dans la description après la délivrance du brevet ou du modèle d’utilité.

Une telle interdiction n’est pas anodine, car il est courant qu’au cours d’un procès en invalidation, l’adversaire fournisse de nouveaux documents antérieurs qui n’étaient pas connus lors de l’examen. Il est alors souvent utile d’aller puiser des limitations dans la description, par exemple pour se distinguer d’une antériorité fortuite, qui certes est pertinente contre la nouveauté ou l’activité inventive des revendications délivrées, mais présente des caractéristiques structurelles assez différentes de celles de l’invention décrite.

Cette particularité de la Chine nous amène à recommander deux stratégies, pour réduire l’impact de cette interdiction pour le breveté.

Stratégie n°1 : ne pas lésiner sur les revendications dépendantes

Il n’est pas rare que les brevetés qui déposent une demande de brevet en Chine (ou entrent en phase après dépôt d’une demande internationale PCT) réduisent leur nombre de revendications dépendantes.

En effet, la procédure d’examen en Chine prévoit des taxes pour revendications supplémentaires au-delà de 10 revendications. La taxe correspondante est de 150 RMB (environ 20€) par revendication au-delà de 10.

Les déposants sont donc naturellement incités à réduire leur nombre de revendications, alors même qu’en raison de la loi sur les modifications après délivrance, ils devraient veiller à ajouter le plus possible de revendications dépendantes, malgré le surcoût éventuel (qui reste raisonnable).

Au sujet de ce surcoût dans le cadre d’une entrée en phase PCT, nous pouvons préciser ici, à toutes fins utiles, que la base de calcul pour évaluer la taxe pour revendications supplémentaires en Chine correspond au nombre de revendications telles que déposées initialement dans la demande PCT. Aussi, un déposant qui met en place une organisation pour réduire son nombre de revendications au moment de l’entrée en phase, non seulement ne bénéficie pas de l’exemption de taxes pour revendications supplémentaires, mais en outre réduit ses possibilités de limitations après délivrance.

A l’inverse, relevons que l’ajout de revendications après le dépôt n’engendre pas de surcoût, sauf dans le cas où le nombre des revendications ajoutées est exagéré (cas dans lequel, en pratique, il pourrait être demandé au déposant de payer une surtaxe, bien qu’il n’y ait pas de base légale).

Rappelons par ailleurs qu’un tel ajout doit se faire à l’occasion d’un amendement volontaire, par exemple au moment des entrées en phase ou du déclenchement de l’examen, car il ne sera pas nécessairement accepté une fois la procédure d’examen commencée.

Vigilance donc : songeons, paradoxalement, à augmenter le nombre de revendications dépendantes en Chine plutôt qu’à les réduire.

Stratégie n°2 : retarder la délivrance

Comme dans beaucoup de pays, les déposants ont un certain intérêt à maintenir des demandes en instance, non délivrées, pour se donner la possibilité de modifier la portée de la protection tardivement après le dépôt. Ce temps supplémentaire pour modifier la protection peut s’avérer critique pour les déposants car il permet de connaître d’une part l’évolution technique de leurs produits pour mieux les protéger (un dépôt de demande de brevet se faisant souvent très en amont du développement), d’autre part les produits de concurrents travaillant sur des solutions similaires et susceptibles d’entrer dans la portée du futur brevet.

Généralement, un tel changement de portée sera possible via un dépôt de demande divisionnaire, car un examinateur chinois n’acceptera pas nécessairement de modifier substantiellement la portée au cours de la procédure d’examen.

A ce sujet, nous rappelons notre article « Questions-réponses : les demandes divisionnaires en Chine ». En particulier, une demande divisionnaire ne peut être déposée que si la demande mère est toujours en instance, ie. dans le délai de 2 mois à compter de la date de réception de la notification en faveur de la délivrance de la demande mère.

Attention donc à ne pas obtenir de délivrances trop rapides.

Relevons enfin que les deux stratégies proposées ici sont cumulables, et nous ne pouvons qu’inciter les déposants à les mettre en place pour des inventions présentant des enjeux substantiels.

Article rédigé par Clémence VALLÉE-THIOLLIER, Mei TAO