Le 26 avril 2018, la Cour Suprême chinoise a rendu une décision en faveur de la société Christian Dior Parfum qui marque un point d’étape en matière de propriété intellectuelle en Chine.
La marque litigieuse, une marque tridimensionnelle (3D) représentant le célèbre flacon de parfum en forme de goutte « J’ADORE » (reproduit ci-dessus), a été déposée en 2014 par la société CHRISTIAN DIOR PARFUM (« Dior ») pour désigner divers produits de parfumerie en classe 3.
Après s’être vue refuser l’enregistrement de cette marque par l’office chinois, et essuyé plusieurs échecs devant les administrations et juridictions pékinoises, Dior a obtenu gain de cause devant la Cour Suprême chinoise, plus haute instance du pays.
Si l’enregistrement de la marque litigieuse n’est pas pour autant acquis à ce stade (l’affaire a été renvoyée devant le Comité de révision des marques (Trademark Review Adjudication Board – TRAB) pour un nouvel examen), les spécialistes de la propriété intellectuelle en Chine s’accordent à anticiper une décision positive dans les mois à venir.
Pourquoi une marque tridimensionnelle ?
La marque tridimensionnelle, qui protège non pas un mot ou un dessin mais la forme en trois dimensions d’un produit, est particulièrement avantageuse dans la mesure où elle permet d’acquérir un droit renouvelable indéfiniment, ce qui n’est pas le cas d’autres types de protections telles que le dessin et modèle ou le droit d’auteur, qui ont une durée limitée.
Elle est en outre plus aisée à mettre en œuvre dans le cadre d’un contentieux car là où il « suffit » de produire le certificat d’enregistrement pour justifier d’un droit de marque, un effort de démonstration plus lourd est généralement requis pour invoquer un droit d’auteur ou engager une action en concurrence déloyale.
Mais l’enregistrement d’une marque tridimensionnelle est soumis à des conditions strictes : comme toutes marques elle doit être distinctive, c’est-à-dire propre à distinguer les produits et services d’une entreprise de ceux d’une autre entreprise. Et cela implique pour les marques tridimensionnelles de ne pas être constituées exclusivement de la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférer à ce dernier sa valeur substantielle[1].
Le caractère distinctif d’une marque peut être inhérent à la forme ou s’acquérir par l’usage. Dans ce dernier cas, il appartient au déposant de démontrer que par son usage sur le marché, la forme dont il requiert l’enregistrement à titre de marque permet désormais au consommateur d’identifier l’origine du produit, c’est-à-dire de le distinguer des produits de la concurrence.
L’objectif sous-jacent est en effet de ne pas entraver la liberté de commerce et d’industrie, et de permettre à un grand nombre d’opérateurs économiques d’utiliser des formes qui sont nécessaires à l’obtention d’une fonction technique.
En l’espèce, la question était donc de savoir si (i) la forme du flacon de parfum J’ADORE était suffisamment peu usuelle et libérée des contraintes techniques pour constituer une marque distinctive ou si (ii) cette forme a à tout le moins acquis un caractère distinctif par l’usage.
Un chemin semé d’embûches
La marque tridimensionnelle J’ADORE a été enregistrée en France en août 2014[2]. Elle a parallèlement été étendue à l’international à travers le système de Madrid dans de nombreux pays, dont la Chine[3].
En juillet 2015, l’Office des marques chinois (Chinese trademark office – CTMO) a refusé d’enregistrer la demande de marque : d’une part Dior n’aurait pas établi de manière suffisamment claire qu’il était question d’une marque tridimensionnelle (car elle n’aurait pas produit les trois vues dans le délai imparti); d’autre part, la forme et la conception du flacon ne répondraient pas aux standards d’une marque valable.
Dior a formé un recours devant le TRAB, mais celui-ci a confirmé la décision de l’office des marques, soulignant le manque de distinctivité et partant, l’incapacité de la forme du flacon litigieux à remplir la fonction d’indication d’origine des produits. A noter que le TRAB a également considéré qu’il s’agissait d’une marque en deux dimensions.
L’affaire a ensuite été portée devant la Cour d’appel de Pékin (Beijing intellectual property Court) en 2016, puis devant la Haute Cour de Pékin (Beijing High Court) en 2017, en vain.
Tant en première instance qu’en appel, les mêmes arguments ont été avancés : le flacon en cause n’est pas distinctif en soi et il n’aurait pas été démontré qu’il ait acquis une telle distinctivité par l’usage. Les juridictions chinoises estiment que le flacon constitue un simple contenant commun pour liquides alcoolisés ne présentant aucune spécificité évidente.
Ne s’avouant pas vaincu, Dior a formé un recours devant la plus haute instance chinoise, la Cour Suprême (Supreme People’s Court), le 29 décembre 2017.
Car selon elle, contrairement à ce qui a été jugé auparavant, le flacon de parfum J’ADORE est devenu populaire parmi les consommateurs après son entrée sur le marché chinois en 1999. De nombreux consommateurs pourraient facilement le reconnaître comme l’un des parfums de Dior uniquement à travers l’apparence du flacon.
En d’autres termes, du fait d’un usage intensif sur le marché chinois depuis près d’une décennie, le flacon a, selon Dior, acquis cette capacité autonome à indiquer l’origine (Dior) d’un produit (le parfum) et partant, remplit la fonction de marque au sens de la loi chinoise.
Dior n’a pas non plus manqué de rappeler avoir obtenu l’enregistrement de ce même flacon dans de nombreux pays à travers le système du protocole de Madrid, auprès de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI).
La Cour Suprême a réentendu l’affaire et après une audience publique de deux heures, a (i) annulé les décisions rendues par les juridictions locales ainsi que la décision du TRAB et (ii) renvoyé l’affaire pour un nouvel examen par le TRAB.
D’un point de vue procédural, la Cour a relevé que le CTMO aurait dû tenir compte du caractère tridimensionnel de la demande de marque malgré le défaut de production des trois vues, car Dior l’avait déjà spécifié lors de l’examen de l’enregistrement international. Elle souligne à cet égard la nécessité d’assurer aux demandeurs une procédure équitable en conformité avec les traités internationaux – et marque ainsi sa volonté de conformer le système chinois au système international.
Sur le fond, la Cour a rappelé que le TRAB devait évaluer non seulement le caractère distinctif intrinsèque de la marque mais aussi le caractère distinctif par l’usage que Dior revendiquait. Sur ce point, la Cour a rappelé quelques facteurs à prendre en considération tels que les caractéristiques uniques de la marque tridimensionnelle, l’usage qui en est réellement fait, et les capacités cognitives du consommateur visé. De quoi guider le TRAB lorsqu’il réexaminera l’affaire.
Une décision d’étape pour la propriété intellectuelle chinoise
Comme évoqué précédemment, cette décision témoigne de la volonté des juridictions chinoises de se conformer au système international de Madrid.
La décision de la Cour Suprême, publiée sur son site internet, a été amplement relayée par la presse qui cite quasi-systématiquement les propos que Monsieur Cui Guobin, professeur agrégé de propriété intellectuelle à l’université de Tsinghua, a rapportés au journal China Daily.
Selon lui, la décision de la Cour Suprême témoigne de la volonté de la Chine de respecter les règles internationales de propriété intellectuelle et de l’attitude positive de la Cour dans la résolution des litiges de propriété intellectuelle impliquant des étrangers.
Et d’en conclure : « La décision implique également qu’il est nécessaire d’améliorer nos lois sur les marques ».
De manière non surprenante, cette décision a été rendue le jour de la Journée Mondiale de la Propriété Intellectuelle.
[1] Sur la protection des marques tridimensionnelle en Chine, voir l’article « Les conditions de protection des marques tridimensionnelles en Chine », par Shujie Feng et Gilles Escudier, Propriétés Intellectuelles, Octobre 2013, revue n°49, Nouvelles de l’étranger.
[2] Marque française n°4084498
[3] Marque internationale n° 1221382
Article rédigé par Céline THIRAPOUNNHO