La commercialisation trompeuse de brevet constitue-t-elle une contrefaçon de brevet ? La Cour suprême apporte des éléments de clarification.
1. La « commercialisation trompeuse de brevet », qu’est-ce que c’est ?
Pour rappel, le « faux marquage » ou « commercialisation trompeuse de brevet » (traduction littérale du terme chinois假冒专利) peut être constitué par les actes suivants prévus dans la règle 84 du règlement d’exécution de la loi chinoise sur les brevets :
- Le fait d’indiquer un marquage de brevet sur le produit ou l’emballage d’un produit non breveté ; après que le brevet a été invalidé ou a expiré, continuer à indiquer le marquage de brevet sur le produit ; indiquer un numéro de brevet sur le produit sans autorisation du titulaire de brevet ;
- Le fait de vendre lesdits produits tombant dans l’une des actions trompeuses du paragraphe 1 ;
- Dans les supports, tels que la description du produit, le fait de présenter un produit non breveté comme breveté, présenter une demande de brevet comme brevet, ou utiliser un numéro de brevet, de manière à faire croire au public que le produit est breveté ;
- Le fait de contrefaire ou altérer un certificat de brevet, un document de brevet ou un document de demande de brevet ;
- D’autres actions qui trompent le public et lui font croire qu’un produit non breveté est un produit breveté.
Plusieurs questions peuvent alors se poser : en Chine, la commercialisation trompeuse de brevet constitue-t-elle une contrefaçon de brevet ? Le mode de calcul des dommages et intérêts pour la contrefaçon est-il applicable à la commercialisation trompeuse ?
La Cour suprême de Chine a répondu à ces deux questions dans une décision rendue récemment (dont la référence est Zhiminzhong (2021) n° 2380). Nous vous présentons ici une synthèse de cette affaire.
2. Bref résumé de l’affaire
L’affaire opposait une société chinoise, Jiaxing Jieshun Traveling Products Co., Ltd. (ci-après dénommée « la société Jieshun ») qui affirmait être le titulaire du brevet de modèle d’utilité n° ZL201420624020.1 portant sur une serpillère plate auto-nettoyante (ci-après dénommé « le brevet »), et un individu appelé YAO Kuijun (ci-après dénommé « Yao ») qui vendait, sur sa boutique électronique de la plateforme chinoise « Pinduoduo », un produit indiqué comme étant le produit breveté susmentionné. La société Jieshun a donc attaqué Yao en justice au motif que cet acte constituait une commercialisation trompeuse de brevet et lui causait de grandes pertes économiques. Ainsi, la société Jieshun a demandé à la cour d’ordonner le paiement d’une compensation pour pertes économiques de 500 000 CNY ainsi que des dépenses raisonnables pour la défense des droits du brevet de 50 000 CNY.
I – Première instance
La cour de première instance (à savoir la Cour intermédiaire de Hangzhou dans le Zhejiang) a pris en compte les faits suivants :
– le brevet au nom de la société Jieshun impliqué dans l’affaire était en vigueur ;
– le 12 mars 2019, la société Jieshun a acheté le produit en question au prix de 39,90 CNY sur la boutique de Yao. Sur la page de vente, étaient indiqués son prix et le nombre des unités déjà vendues (à savoir, plus de 100 000 unités). Il était également indiqué que le produit était un produit protégé par le brevet n° ZL201420624020.1. Ce numéro n’était en revanche pas marqué sur le produit lui-même.
– le 26 mars de la même année, la plateforme Pinduoduo a imposé des restrictions sur la vente du produit.
La cour de première instance a jugé que Yao n’avait pas fourni de preuves permettant de prouver qu’il était autorisé à marquer le numéro de brevet et que sa conduite a fait croire au public que son produit était un produit breveté, ce qui constitue un acte de commercialisation trompeuse de brevet. Ainsi, Yao a été condamné à payer des dommages et intérêts ainsi que les dépenses raisonnables pour la défense des droits du brevet de la société Jieshun. Etant donné que la société Jieshun n’avait pas prouvé le montant des pertes subis ni celui des bénéfices réalisés par son adversaire, selon l’article 65 de la loi sur les brevets applicable au moment du différend[1], il a été statué que Yao devait indemniser la société Jieshun d’un montant total de 100 000 CNY (qui correspond à la limite supérieure du montant légal prévu dans la loi), montant qui a été décidé par la Cour en tenant compte des différents éléments de l’affaire.
II – Décision rendue par la Cour suprême
Yao a fait appel de la décision auprès de la Cour suprême en invoquant le fait que la commercialisation trompeuse de brevet est différente de la contrefaçon de brevet, et que, par conséquent, la cour de première instance a eu tort d’accorder des dommages et intérêts sur la base de l’article 65 de la loi sur les brevets.
La Cour suprême en a donc profité pour clarifier cette question. Dans sa décision, elle confirme que l’acte de commercialisation trompeuse de brevet est différent de l’acte de contrefaçon de brevet, et ce, pour trois raisons.
Premièrement, la contrefaçon de brevet définie dans la loi sur les brevets fait référence à un acte de mise en œuvre d’une solution technique brevetée sans l’autorisation du titulaire du brevet (acte qui, selon l’article 11 de la loi sur les brevets, peut prendre la forme de fabrication, utilisation, offre à la vente, vente et/ou importation) alors que la commercialisation trompeuse de brevet ne met pas en œuvre une solution technique brevetée.
Deuxièmement, les intérêts juridiques lésés par la commercialisation trompeuse de brevet et ceux lésés par la contrefaçon de brevet sont différents. La contrefaçon viole les droits de brevet fondés sur des solutions techniques, tandis que la commercialisation trompeuse de brevet peut porter atteinte non seulement aux droits de marquage de brevet d’autrui, mais également à l’ordre de l’administration nationale des brevets et aux intérêts du public.
Enfin, les responsabilités liées à ces deux actes sont également différentes. Une commercialisation trompeuse de brevet peut violer la loi sur les brevets, mais également la loi sur la publicité et même le Code pénal, ce qui peut conduire à des responsabilités civiles, administratives et pénales. Dans le cas de la contrefaçon, il s’agit uniquement des responsabilités civiles, prévues notamment dans l’article 65 de la loi sur les brevets.
La Cour suprême a par ailleurs rejoint la cour de première instance sur le fait que les actes commis par Yao constituait une commercialisation trompeuse de brevet, et non une contrefaçon. Toutefois, sur la méthode de calcul des dommages et intérêts, la Cour suprême a un avis différent de celui de la cour de première instance qui a appliqué l’article 65 de la loi sur les brevets. La Cour suprême a indiqué clairement qu’il s’agissait d’une erreur dans l’application de la loi qui devait être corrigée et qu’il convenait d’appliquer la loi sur la responsabilité de violation des droits. Selon l’article 19 de cette loi, en cas d’atteinte à la propriété d’autrui, la perte de propriété est calculée sur la base du prix du marché au moment de la perte ou d’une autre manière. Dans l’affaire, étant donné que la société Jieshun n’avait pas prouvé le montant de sa perte réelle ni les gains illégaux obtenus par Yao, et que le prix du marché était difficile à déterminer avec précision, la Cour suprême a fixé un montant de 100 000 CNY compte tenu des différents éléments de l’affaire. Ce montant étant le même que celui fixé par la cour de première instance, la Cour suprême a maintenu la décision rendue par cette dernière.
La Cour suprême a également décidé de transférer l’affaire au Département de supervision et de gestion du marché afin que ce dernier puisse initier une action administrative contre Yao.
Dans le cadre de cette affaire, la Cour suprême donne des directives importantes pour les cours concernant la façon dont elles doivent traiter les affaires de faux marquage de brevet, et en particulier calculer les dommages et intérêts. Sa décision de transférer l’affaire au Département de supervision et de gestion du marché montre également comment les autorités judiciaires et administratives doivent coopérer ensemble pour lutter contre ce phénomène.
[1] Le différend ayant eu lieu après le 1er octobre 2009 et avant le 1er juin 2021, c’est la version de la loi des brevets telle que révisée en 2008 qui a été appliquée.
Article rédigé par Li LIANG