La Chine s’attaque aux dépôts de mauvaise foi

Une analyse des récents efforts des autorités chinoises pour lutter contre les dépôts de marques de mauvaise foi

squatting de marque
Image par Binay K. Sahoo de Pixabay

Les squatteurs de marques font obstacle à l’enregistrement et à l’utilisation équitable des marques par leurs propriétaires légitimes. Les autorités chinoises ont entrepris des efforts constants pour mettre fin à cette situation ces dernières années. La version récemment révisée de la Loi chinoise relative aux marques, ainsi qu’une décision intéressante de la Cour suprême chinoise rendue en fin d’année dernière, semblent être des signes positifs d’amélioration de la protection juridique contre les dépôts de marques de mauvaise foi sur le marché chinois. Cependant, étant donné que le droit chinois des marques applique le principe du premier déposant, faisant bénéficier de la protection la première personne à enregistrer la marque, indépendamment du fait qu’elle l’ait utilisée ou prévoie de l’utiliser, les dépôts de marques de mauvaise foi sont et demeureront en Chine un défi pour les années à venir. Nous vous proposons d’analyser ces évolutions récentes de la loi et de la jurisprudence chinoises et expliquer pourquoi les dépôts de mauvaise foi constituent une situation particulièrement difficile à gérer pour les autorités chinoises.

Première avancée, la Cour suprême chinoise a déclaré pour la première fois que l’accumulation de marques était illégale (arrêt Shanying c. Zhongjun)

Un premier signe positif est apparu en fin d’année 2018 avec un arrêt de la Cour suprême. L’affaire opposait Beijing Shanying Qiyi Technology (Shanying), qui utilise la marque « Shan Yin » en chinois pour ses services de paiement, et Wuhan Zhongjun Campus Service (Zhongjun), qui est un squatteur de marque notoire et a déposé « Shan Yin » en chinois avant son propriétaire légitime. Cette décision est intéressante, car la Cour suprême a pour la première fois confirmé que l’accumulation et le dépôt de marques sans intention de les utiliser sont illégaux et peuvent conduire à l’invalidation des marques. De plus, ce dossier a été sélectionné comme affaire de référence par la Cour suprême, ce qui signifie que la Cour a décidé de la mettre en exergue, car elle représente une évolution importante de l’interprétation de la loi.

Dans cette affaire, la Cour suprême a confirmé la décision d’invalidation prise par le Trademark Review and Adjudication Board (Comité d’examen et de vérification des marques), ainsi que les jugements de première et deuxième instance, et a rejeté la demande de nouveau procès soumise par le déposant Zhongjun.

La Cour suprême affirme que la marque concernée a été déposée de mauvaise foi et que son enregistrement ne doit pas être approuvé, en se fondant sur plusieurs éléments. Tout d’abord, il a été démontré que le déposant Zhongjun a soumis près de mille demandes d’enregistrement de marques, incluant beaucoup de marques qui sont des imitations de marques réputées d’autres parties et sont utilisées dans des secteurs différents de celui prévu par sa licence d’activité. De plus, l’actionnaire du déposant est également l’actionnaire de l’agence de marques ayant déposé la demande d’enregistrement de « Shan Yin » en chinois, qui est connu pour avoir auparavant été condamné pour des pratiques commerciales malhonnêtes.

La Cour suprême a décidé que le déposant accumulait des marques pour obtenir des intérêts indus et a fondé sa décision sur la combinaison de deux articles de la Loi chinoise relative aux marques : les articles 4 et 44.

Selon l’article 4 paragraphe 1 (à la date de la décision) : Toute personne physique, morale ou autre entité qui a besoin d’obtenir le droit exclusif d’utiliser une marque au regard de ses biens ou services dans le cadre de ses activités commerciales et de production devra demander l’enregistrement de la marque auprès de l’office des marques.

Article 44 paragraphe 1 prévoit : Lorsque [l’]enregistrement [d’une marque] a été obtenu par la fraude ou par d’autres moyens illicites, l’office des marques déclarera l’invalidation de la marque déposée.

 

Citant ces deux articles, la Cour suprême a expliqué qu’une demande d’enregistrement de marque devait être déposée à des fins d’utilisation commerciale conformément à l’article 4 de la Loi chinoise relative aux marques. Si un déposant enfreint l’article 4 et accumule des marques sans intention réelle de les utiliser et les conserve afin d’obtenir des intérêts illégaux, de tels actes peuvent être considérés comme des « moyens illicites » au sens de l’article 44. Par conséquent, la marque déposée par Zhongjun doit être annulée.

 

Il doit être noté que l’article 7 de la Loi chinoise relative aux marques pose le principe de la bonne foi en matière d’enregistrement et d’utilisation d’une marque. Toutefois, la Cour suprême ne s’est pas appuyée dessus pour justifier sa décision. Ceci s’explique par le fait que l’article 7 a toujours été considéré comme un article général ne pouvant pas être utilisé seul comme motif de refus, d’opposition à ou d’invalidation d’une marque.

Il s’agit d’une affaire intéressante, reflétant l’évolution positive des efforts des autorités pour lutter contre les dépôts de mauvaise foi et protéger les droits des propriétaires légitimes. Cependant, il est également à noter que ladite affaire concerne une situation dans laquelle la mauvaise foi du déposant était évidente. Les circonstances peuvent être bien plus complexes et la mauvaise foi plus difficile à établir. De plus, il convient aussi de préciser que cet arrêt se rapporte à un cas d’invalidation, c’est-à-dire que cette marque avait initialement été approuvée par l’Office des marques et que le demandeur a intenté une action en invalidation afin d’obtenir l’annulation de la marque. En effet, l’article 4 de la Loi chinoise relative aux marques est souvent utilisé par l’Office des marques et les tribunaux chinois comme fondement pour rejeter des marques déposées de mauvaise foi, mais cela se limite essentiellement à des affaires d’invalidation. En revanche, cette disposition n’est pas fréquemment utilisée comme motif de refus par l’Office des marques, ni largement acceptée comme motif d’opposition par un tiers. Ceci est problématique, car les procédures d’invalidation sont longues et coûteuses pour les propriétaires légitimes des marques, et de tels dépôts de mauvaise foi devraient idéalement être bloqués dès la phase d’examen par l’Office des marques.

Il semble toutefois que la révision récente de l’article 4 de la Loi chinoise relative aux marques pourrait contribuer à améliorer la situation.

La révision de la Loi chinoise relative aux marques vient compléter son article 4 et prévoit spécifiquement que les demandes d’enregistrement de marques de mauvaise foi doivent être rejetées

La Commission permanente de l’Assemblée nationale populaire a approuvé la proposition de révision de la Loi chinoise relative aux marques le 23 avril 2019. Il s’agit de la quatrième révision de la version actuelle de la Loi chinoise relative aux marques (faisant suite à des révisions en 1993, 2001 et 2013), qui entrera en vigueur le 1er novembre 2019.

L’un des changements clés de cette quatrième révision est l’ajout d’une disposition à l’article 4. Cette nouvelle disposition stipule que l’enregistrement d’une marque de mauvaise foi, sans intention d’en faire une utilisation correcte, ne doit pas être approuvé. De plus, l’article 4 est désormais également invoqué comme fondement pour faire opposition à la marque d’un tiers (article 33) et pour invalider une marque déposée (article 44), assurant ainsi une protection assez complète contre les dépôts de marques de mauvaise foi.

Lorsque la révision entrera en vigueur, l’Office des marques sera tenu de rejeter les demandes d’enregistrement de mauvaise foi et sans intention d’utiliser la marque. Si les squatteurs de marques ne sont pas détectés au cours de la phase d’examen, la nouvelle clause ajoutée aux articles 33 et 44 habilitera tout tiers à faire opposition au cours de la phase de publication ou à intenter une action en invalidation lors de la phase d’enregistrement.

Même si elle reflète la pratique actuelle d’invalidation, cette révision a été saluée par les professionnels et les propriétaires de marques, car elle établit un solide fondement juridique pour le rejet des demandes d’enregistrement de marques déposées par des squatteurs de marques et pour leur contestation dans le cadre de procédures d’opposition et d’invalidation. En outre, des règlements d’application sont en cours de rédaction et apporteront les éclaircissements supplémentaires requis pour mieux apprécier l’impact pratique de la révision.

Il doit également être noté que, parallèlement, les autorités chinoises essaient de fournir aux examinateurs de l’Office des marques davantage d’outils et de directives, afin de les aider à identifier les dépôts de mauvaise foi lors de la phase d’examen. Par exemple, en avril 2019, la Haute cour populaire de Pékin a publié une série de Directives de jugement des affaires d’octroi et de vérification des droits de marque, précisant l’application de l’article 4. Ces directives énumèrent en particulier des circonstances dans lesquelles un déposant peut être considéré comme enfreignant les dispositions de l’article 4 : dépôt de marques identiques ou similaires à celles de divers sujets présentant une certaine popularité ou un caractère très distinctif, dépôt de marques identiques ou similaires à tout nom de lieu, tous sites pittoresques, bâtiments et autres endroits présentant une certaine popularité, ou le dépôt d’un grand nombre de marques sans motifs valables, etc. De plus, l’Office des marques a également indiqué qu’il était en train d’actualiser son système de dépôt de demandes, de manière à ce que les demandes anormales puissent être détectées plus facilement. Au vu de la situation actuelle, l’Office des marques étant confronté à une hausse sans précédent du nombre de demandes (+55 % entre 2017 et 2018), ainsi qu’à une pression accrue pour se conformer au délai d’examen raccourci, il ne fait aucun doute que le succès de ces initiatives dépendra en grande partie des progrès technologiques en la matière.

Article rédigé par , Audrey DRUMMOND