Après l’invalidation de sa marque 3D, Van Cleef & Arpels obtient gain de cause sur le terrain du droit sur la concurrence déloyale.
« Pour avoir de la chance, il faut croire en la chance » disait Jacques Arpels, neveu des fondateurs de la marque Van Cleef & Arpels (VCA) et designer de la célèbre collection Alhambra en 1968. En cinquante ans, ce trèfle à quatre feuilles stylisé a fait la fortune de VCA qui en vendrait plus d’une centaine de milliers d’exemplaires par an.
Une chance qui tourne puisque l’entreprise VCA, après avoir perdu sa marque 3D, suite à l’invalidation d’un tiers, vient de gagner, dans une autre affaire, un procès en concurrence déloyale concernant ce même signe.
Mais, tout d’abord, rappelons ce qu’est une marque tridimensionnelle (ou marque 3D).
La marque tridimensionnelle protège, non pas un mot (comme la marque verbale) ou un dessin (comme la marque figurative), mais la forme en trois dimensions d’un produit ou de son conditionnement (par exemple, la forme du flacon de parfum J’ADORE de DIOR qui avait fait l’objet d’un précédent article disponible ici https://www.chinepi.com/le-flacon-de-parfum-jadore-de-dior-pourrait-etre-admis-comme-marque-tridimensionnelle-en-chine/).
Opter pour un dépôt de marque 3D pour protéger la forme d’un produit a un avantage principal : acquérir un droit renouvelable indéfiniment, ce qui n’est pas le cas d’un brevet de dessin ou d’un droit d’auteur, tous deux ayant une durée limitée. Par ailleurs, dans le cadre d’un litige, il est plus facile de mettre en œuvre une marque, puisque la production d’un certificat d’enregistrement suffit à justifier le droit de marque. A contrario, lorsqu’il s’agit d’invoquer un droit d’auteur ou d’engager une action en concurrence déloyale, un effort de démonstration et de collecte de preuve est nécessaire.
Cependant, la protection d’une marque tridimensionnelle est soumise à des conditions strictes. Ainsi, comme toutes les marques, elle doit être distinctive. Cela signifie qu’elle doit permettre de distinguer les produits et/ou services d’une entreprise de ceux d’une autre entreprise.
Comment cette condition est-elle appliquée aux marques 3D ? L’article 12 de la loi chinoise sur les marques prévoit que cela implique, pour une marque tridimensionnelle, de ne pas être constituée exclusivement de la forme imposée par la nature ou la fonction du produit ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.
Relevons également que le caractère distinctif d’une marque tridimensionnelle peut être inhérent à sa forme ou, à défaut, s’acquérir par l’usage. Dans ce dernier cas, il appartient au déposant de démontrer que, par son usage sur le marché, la forme dont il requiert l’enregistrement au titre de marque permet désormais au consommateur d’identifier l’origine du produit.
Invalidation de la marque 3D, que s’est-il passé ?
En 2016, l’office chinois des marques accepte d’enregistrer le dessin du trèfle à quatre feuilles en tant que marque tridimensionnelle. Cependant, quelque temps plus tard, un individu chinois du nom de Bi Qingyu dépose une action en invalidation contre la marque et il obtient gain de cause puisque la CNIPA prononce l’invalidation, estimant que la marque est non-distinctive.
VCA va tenter à deux reprises d’obtenir l’annulation de cette décision, devant la Cour de PI de Pékin, puis devant la Haute Cour de Pékin. Et tour à tour, ces deux juridictions vont confirmer la décision de la CNIPA.
Ainsi, la Haute Cour de Pékin, par une décision rendue en décembre 2020, décide que la marque de VCA ne remplit pas la condition de distinctivité. Pour rendre cette décision, elle cite notamment l’article 9 de l’interprétation de la Cour Suprême concernant le jugement des affaires administratives pour l’autorisation et la détermination des marques, afin de déterminer si la marque remplit la condition de distinctivité inhérente ou acquise par l’usage.
Distinctivité inhérente
L’article 9 de l’interprétation donne l’indication suivante : si, dans la plupart des cas, le public pertinent n’est pas susceptible de reconnaître le signe comme une indication de l’origine du produit, alors le signe ne remplit pas la condition de distinctivité lui permettant d’être accepté comme marque. Elle précise également que le fait qu’un signe tridimensionnel a été créé à l’origine ou utilisé pour la première fois par le demandeur n’est pas nécessairement admis comme preuve du caractère distinctif de ce signe.
En appliquant cette disposition, la Cour a estimé que, malgré les caractéristiques incarnées dans la forme de la marque et la combinaison de décorations, les consommateurs ayant un niveau de perception ordinaire seraient toujours susceptibles de l’identifier comme la forme de produit plutôt que comme sa marque, lorsqu’elle est utilisée sur les produits désignés. Par conséquent, la marque ne fonctionnait pas comme un identificateur d’origine.
Distinctivité acquise par l’usage
Concernant la distinctivité acquise par l’usage, la Cour a estimé que, même si les éléments de preuve présentés par VCA pouvaient prouver la promotion et la vente du trèfle à quatre feuilles, ils n’avaient toujours pas réussi à prouver que ce signe était utilisé comme marque en Chine continentale.
La Haute Cour de Pékin a notamment pris en considération le fait que de nombreuses entreprises dans le secteur de la bijouterie utilisent la forme du trèfle à quatre feuilles sur leurs produits. La Cour a estimé que l’utilisation généralisée de ce signe dans le secteur avait pour effet de le banaliser et donc de limiter sa fonction d’indicateur d’origine.
Il s’agit là d’un échec important pour la marque. Cette décision n’est pas étonnante car il est généralement très difficile d’obtenir l’enregistrement d’une marque 3D en Chine lorsque cette marque correspond uniquement à la forme du produit et que cette forme est également utilisée par des tiers. Qu’on se rassure pour VCA, la société a également déposé une série de brevets de dessin sur lesquels elle peut s’appuyer. Cette affaire nous montre à nouveau l’intérêt de cumuler les protections, notamment lorsqu’il s’agit de protéger des produits phares d’une entreprise.
Protection du trèfle à quatre feuilles par la loi sur la concurrence déloyale
Quelques mois plus tard, en février 2021, la société VCA gagne une affaire en concurrence déloyale. Cette affaire concerne pourtant l’utilisation par deux sociétés tierces de ce même trèfle à quatre feuilles. Comment la Cour Populaire du District de Chaoyang à Pékin, saisie de cette affaire, en est arrivée à une conclusion différente de celle de la Haute Cour de Pékin ?
Pour prendre cette décision, elle se fonde à la fois sur l’article 6 de la loi sur la concurrence déloyale et l’article 2.1 de l’Interprétation de la Cour Suprême sur l’application de la loi dans les affaires civiles de concurrence déloyale.
Ces dispositions indiquent que si le nom, l’emballage et la décoration d’un produit ont des caractéristiques distinctives permettant d’indiquer sa source, alors son utilisation par un autre opérateur commercial peut être qualifiée d’acte de concurrence déloyale, et donc interdite.
Tout d’abord, point qui a donné lieu à argumentation lors des débats, la Cour a estimé que, même si le terme « décoration » ne s’applique en principe pas à tout ou partie du produit, dans le cas des produits de joaillerie, il est impossible de différencier la partie esthétique du produit et le produit en lui-même. Ainsi, le trèfle à quatre feuilles pouvait être qualifié de « décoration ».
Par ailleurs, afin de vérifier que la décoration présentait des caractéristiques distinctives permettant d’indiquer la source du produit, la Cour n’a pas seulement pris en considération la forme de trèfle comme dans l’affaire d’invalidation, mais a également relevé d’autres éléments tels que la bordure et le fort contraste entre l’intérieur et le cadre du trèfle. Elle en a conclu que cette décoration dans son ensemble était plus distinctive qu’un simple trèfle à quatre feuilles et que par conséquent elle devait être protégée.
Relevons également que contrairement à la position de la Haute Cour de Pékin, la Cour de Chaoyang a estimé que l’utilisation de cette décoration par d’autres fournisseurs de ce secteur après l’utilisation par VCA ne pouvait pas conduire directement à la perte de son caractère distinctif.
Ces deux affaires sont assez emblématiques d’une tendance que nous voyons apparaître dans les litiges en matière de propriété intellectuelle. De plus en plus de titulaires de droits, lorsqu’ils ne parviennent pas à obtenir gain de cause sur la base de leurs droits de PI (en particulier lorsque ces derniers sont invalidés) se tournent vers la loi sur la concurrence déloyale pour obtenir une réparation face à des contrefacteurs. Comme nous le disions en introduction, cela nécessite un effort de démonstration conséquent mais permet de pallier d’éventuelles lacunes concernant le dépôt ou la validité de leurs droits de PI. Ainsi, dans l’affaire médiatique Jaguar Land Rover vs Jiangling Motors, la société Jaguar, faisant face à une annulation de son brevet de dessin qui protégeait la forme de sa voiture Land Rover, a obtenu une protection sur le terrain de la concurrence déloyale.
Article rédigé par Audrey DRUMMOND