Inventions de salariés en Chine : vers un régime pro salariés ou pro employeurs ?

Depuis 2012, l’Office chinois de la propriété intellectuelle (SIPO) s’est lancé dans la préparation d’une nouvelle réglementation sur les inventions de salariés, dont l’entrée en vigueur n’est pas encore définie. Jusqu’à présent, les règles applicables sont celles prévues par la loi des brevets et les règlements d’exécution de cette loi. Nous vous proposons dans cet article de revenir sur le régime actuel applicable aux inventions de salariés et de détailler les amendements proposés par la nouvelle règlementation chinoise.

Relevons à titre préliminaire une différence notable entre la Chine et la France : alors que la loi française mentionne (uniquement) le devoir de procéder à des rémunérations des salariés, sans donner de précision quantitative, la loi chinoise des brevets mentionne des montants minimums à respecter dans certaines situations. Les évolutions envisagées concernent en particulier ces montants minimums.

Le régime actuel

Droit à l’invention

Le régime actuel est le suivant : selon l’article 6 de la loi des brevets, les inventions dites de mission, c’est-à-dire les inventions réalisées par une personne dans l’exécution des tâches de l’entité à laquelle elle appartient, ainsi que les inventions réalisées principalement à l’aide des moyens techniques et matériels de cette entité, sont qualifiées d’inventions de salariés. A ce titre, et sauf si l’inventeur et l’entreprise en ont convenu autrement, le droit de déposer une demande de brevet basée sur ce type d’invention appartient à l’entreprise, qui sera également le titulaire du brevet après délivrance.

Rémunération

La loi chinoise précise aussi que l’inventeur a droit à une compensation. Sur ce point en particulier, l’article 16 distingue deux types de compensation qui se cumulent :

  • le « bonus » (« reward » en anglais), qui doit être alloué lorsque le brevet est délivré, et
  • la « rémunération » (« remuneration » en anglais) qui sera quant-à-elle attribuée en cas d’exploitation de l’objet du brevet, selon les bénéfices obtenus à la suite de cette utilisation

En l’absence de contrat

Le chapitre VI des règlements d’exécution est spécialement dédié à la question du bonus et de la rémunération à allouer à l’inventeur. Ces dispositions prévoient tout d’abord que le contrat entre l’inventeur et son entreprise prévaut. En l’absence de contrat, un montant minimum de bonus et un pourcentage minimum de rémunération doivent être respectés, comme résumés dans le tableau ci-dessous.

Regime actuel - Montant minimum de bonus et pourcentage minimum de remunerationLes montants et pourcentages mentionnés dans le tableau correspondent au montant global à payer par l’entreprise et qui devra donc être partagé entre les inventeurs.

En cas de contrat

Si l’inventeur et son entreprise ont trouvé un accord sur le montant du bonus et de la rémunération, les taux mentionnés ci-dessus ne s’appliquent plus. Cependant, il est possible pour un inventeur de remettre en cause ce contrat en se fondant sur l’article 16 de la loi qui pose le principe de « rémunération raisonnable ». Cette exigence donne toutefois lieu à des controverses concernant l’interprétation du terme « raisonnable ».

La protection offerte par la loi et les règlements d’application actuels n’est cependant pas toujours respectée dans la mesure où les dispositions de la loi présentent des zones floues rendant difficile leur application. Aussi, des modifications sont en discussions depuis plusieurs années.

Le projet de réforme

Afin d’encourager les inventions des salariés et de rendre la loi plus opérationnelle, le SIPO s’est chargé de préparer un projet de réforme visant à rendre la réglementation plus concrète. Trois projets de règlementation ont été publiés entre 2012 et 2013. Le troisième est toujours en cours de discussion et traite de différents aspects relatifs aux inventions de salariés. Il comprend six parties concernant les règles générales, l’attribution des droits, la procédure avant dépôt, le bonus et la rémunération à allouer à l’inventeur, ainsi que la promotion de l’exploitation, la supervision et la responsabilité légale.

Vers une augmentation des montants minimaux

Un des aspects qui nous apparaît le plus notable dans ce projet de règlementation, ce sont les montants minimaux de bonus et de rémunération à appliquer en l’absence de contrat. Si la règlementation est adoptée telle quelle, les montants applicables actuellement doubleraient en moyenne. Les taux proposés sont repris dans le tableau ci-dessous.

De même que dans le régime actuel, les montants et pourcentages mentionnés dans le tableau correspondent au montant global à payer par l’entreprise et qui devra donc être partagé entre les inventeurs.

Concernant la notion de « rémunération raisonnable », s’appliquant en cas de contrat, les projets de règlementation ont tour à tour essayé de la préciser. Il a été ainsi été proposé dans un premier temps de rendre invalides « les accords supprimant ou réduisant les droits des inventeurs » par rapport aux montants du tableau ci-dessus, puis, face à des réactions négatives d’industriels, il fut envisagé, de façon plus vague, de rendre invalides « les accords supprimant les droits des inventeurs ou imposant des conditions déraisonnables à ces droits ou leur exploitation ». Le caractère « raisonnable » devrait donc réapparaître avec les difficultés liées à son interprétation. Il faudra attendre la version finale de la réforme pour savoir si des clarifications supplémentaires sont apportées.

Le projet de règlementation prévoit également d’imposer plus de transparence de la part de l’employeur. Par exemple, l’inventeur aurait le droit de connaître les bénéfices obtenus de l’exploitation, la licence d’exploitation et la cession de l’invention.

Prise en compte de la contribution de l’invention

En outre, le calcul du montant de rémunération devrait tenir compte de la contribution de chaque invention au bénéfice total du produit ou du procédé et de la contribution de chaque inventeur à cette invention.

La prise en compte de la contribution de l’invention dans l’exploitation du produit semble être une nouvelle notion qui apparaît dans l’évaluation des rémunérations en Chine, et qui pourrait potentiellement ouvrir la porte ouverte à une façon de calculer les montants se rapprochant de la pratique française ou européenne. En effet, les montants indiqués dans la loi chinoise actuelle ou en projet sont indiqués uniquement en pourcentages du bénéfice ou du chiffre d’affaires (voir tableau ci-dessus), ce qui signifie qu’un salarié pourrait être en droit de recevoir systématiquement ce pourcentage, donc des sommes conséquentes, alors même que l’apport de son invention dans le succès du produit exploité est faible (par exemple dans le cas où c’est un autre aspect ou une autre invention sur le même produit qui explique son succès). Selon une interprétation qui s’éloignerait de la pratique chinoise actuelle, mais non exclue, si l’on prend en compte la contribution de l’invention dans le succès du produit pour évaluer le montant de la rémunération, alors les pourcentages indiqués dans le tableau pourraient devenir des pourcentages s’appliquant uniquement lorsque le succès du produit ou du procédé est principalement, voire exclusivement, lié à l’invention. Ceci pourrait restreindre, considérablement selon nous, l’application des montants minimaux de la loi chinoise. Dans ce cas, la pratique chinoise se rapprocherait de la pratique française d’évaluation de la rémunération, dans laquelle des rémunérations peuvent s’évaluer en pourcentage de la marge ou du chiffre d’affaire en cas de succès commercial exceptionnel de l’invention.

En conclusion, la loi en cours de modification semble évoluer en faveur des salariés, puisque les pourcentages minimums applicables en l’absence de contrats augmentent notablement. Néanmoins la clarification de ce que sera la « rémunération raisonnable » dans les contrats d’une part, et l’apparition de la notion de contribution de l’invention d’autre part, semblent être des paramètres qui pourraient être utilisés par des employeurs éclairés pour restreindre certaines prétentions de salariés. L’entrée en vigueur de la loi, puis son application par les tribunaux, nous en diront plus.

Pour l’instant, aucun calendrier n’a été annoncé pour finaliser cette réforme. Nous ne manquerons pas de vous tenir au courant des récents développements en la matière. D’ici là, nous ne pouvons que conseiller à nos lecteurs, qu’ils soient inventeurs ou entreprises spécialisées en R&D, de définir avec précision et précaution dans leurs contrats la rémunération applicable aux inventions.

Article rédigé par Jing ZHAO, Clémence VALLÉE-THIOLLIER