La Cour Suprême de Chine a adopté le 26 novembre 2018 une série de dispositions relatives à l’application de la loi de procédure civile aux demandes d’injonction dans les litiges de propriété intellectuelle. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2019.
Elles ont pour but, notamment, de clarifier les conditions d’application de l’article 101 de la loi de procédure civile chinoise, qui énonce en particulier :
Lorsqu’une partie intéressée dont les droits et les intérêts légitimes, en raison d’une urgence, subiraient un préjudice irréparable si elle omettait de réclamer rapidement la conservation de propriété, peut, avant d’engager une action en justice ou une procédure d’arbitrage, s’adresser au tribunal populaire de la localité de la propriété, le domicile du défendeur ou le tribunal compétent pour juger de l’affaire pour demander des mesures de conservation. Le demandeur doit fournir une garantie pour cette demande ; si la partie ne fournit pas cette garantie, le tribunal devra rejeter la demande.
Comme on peut le lire, cet article permet l’obtention d’une injonction préliminaire qui est équivalente à nos mesures provisoires en France. Relevons que, contrairement à une injonction permanente, l’injonction préliminaire est accordée avant la détermination du fond de l’affaire et pour une durée limitée dans le temps.
Comme nous l’indiquions déjà dans un précédent article, il est assez rare que des injonctions préliminaires soient accordées en Chine, en raison peut-être de la méconnaissance de cette procédure par certains juges, ce qui a d’ailleurs donné lieu à des jurisprudences contradictoires sur les critères d’obtention des injonctions préliminaires.
Ainsi, ces règles de la Cour Suprême sont les bienvenues car elles permettent de préciser certaines notions de la loi de procédure civile, notamment en donnant une définition plus claire des notions de « partie intéressée », « préjudice irréparable » et « urgence » ou encore en listant les critères à prendre en considération pour déterminer si une injonction doit être accordée ou pour calculer le montant de la garantie à payer par le demandeur. Nous vous proposons de revenir sur quelques-unes de ces dispositions.
Qui, parmi les licenciés, peut être qualifié de « partie intéressée » en droit de déposer une demande d’injonction préliminaire ?
C’est l’article 2 de ces dispositions qui répond à cette question. Il énonce qu’en présence d’un contrat de licence :
- S’il s’agit d’un contrat de licence exclusif : le licencié a le droit de faire une demande d’injonction ;
- S’il s’agit d’un contrat de licence unique (ou « sole license » qui interdit au concédant de concéder d’autres licences mais, contrairement à la licence exclusive, lui permet de continuer à utiliser les droits pour ses propres besoins) : le licencié a le droit de faire une demande d’injonction si le titulaire de droit ne dépose pas une telle demande ;
- S’il s’agit d’un contrat de licence ordinaire, non-exclusif, le licencié ne pourra pas déposer de demande d’injonction sauf si le titulaire de droit l’a autorisé à agir en justice en son nom.
Que doit contenir la demande d’injonction préliminaire ?
L’article 4 des nouvelles dispositions de la Cour Suprême liste clairement les éléments qui doivent être inclus dans la demande d’injonction. Il s’agit de :
(1) L’identité, l’adresse et les informations de contact du demandeur et du défendeur ;
(2) Le contenu et la durée de l’injonction demandée ;
(3) Les faits et les motifs de la demande, incluant la description détaillée relative aux actes du défendeur susceptibles de causer un préjudice irréparable aux droits et intérêts du demandeur ou empêcher l’application de la décision ;
(4) Les informations concernant les actifs ou les certificats de crédit qui serviront de garantie pour l’injonction ou les raisons pour lesquelles une telle garantie ne sera pas fournie ;
(5) Tout autre élément à spécifier.
Dans quelles circonstances le critère d’urgence est-il rempli ?
La loi de procédure civile mentionne le concept d’urgence sans en donner de définition. L’article 6 des nouvelles dispositions liste six situations qui constituent des situations d’urgence :
(1) Les secrets d’affaires du demandeur vont être divulgués illégalement ;
(2) Les droits de publication et de confidentialité, ainsi que d’autres droits personnels du demandeur vont être enfreints ;
(3) La propriété intellectuelle objet du litige va être traitée illégalement ;
(4) Il est ou il va être porté atteinte à la propriété intellectuelle du demandeur dans des situations où le facteur temps est critique, notamment dans le cadre d’un salon ;
(5) Les droits relatifs à des programmes populaires pouvant être mis à disposition de façon très rapide sont ou vont être enfreints ;
(6) Toute autre circonstance qui requiert l’exécution immédiate de mesures d’injonction.
Qu’est-ce qu’un « préjudice irréparable » ?
C’est l’article 10 des nouvelles dispositions de la Cour Suprême qui liste les circonstances qui, dans le cadre d’un litige en propriété intellectuelle, constituent un préjudice irréparable :
(1) Les actes du défendeur vont enfreindre la réputation commerciale du demandeur, les droits de publication et de confidentialité, ainsi que les autres droits de nature personnelle du demandeur et porteront un préjudice irréparable ;
(2) Les actes du défendeur rendront l’infraction hors de contrôle et vont augmenter significativement les dommages causés au demandeur ;
(3) La violation par le défendeur entraînera une diminution importante des parts de marché du demandeur ;
(4) Les actes du défendeur causeront d’autres dommages irréparables au demandeur.
Quels sont les facteurs à prendre en considération par le juge pour accorder une injonction ?
L’article 7 des nouvelles dispositions précise les facteurs à prendre en compte par le juge lorsqu’il examine une demande d’injonction :
(1) la demande d’injonction est-elle fondée sur des faits disposant d’une base légale ? La validité du droit de propriété intellectuelle concerné est-elle stable ?
(2) l’absence d’injonction entraînera-t-elle un dommage irréparable aux droits et intérêts du demandeur ou empêchera-t-elle l’exécution de la décision ?
(3) le préjudice causé au demandeur en n’accordant pas l’injonction sera-t-il supérieur à celui résultant pour défendeur en cas d’adoption de l’injonction ?
(4) l’injonction si elle est accordée causera-t-elle un préjudice aux intérêts publics ?
(5) tout autre facteur à prendre en compte.
Cet article indique donc qu’il convient de mettre en balance les intérêts économiques des deux parties, ainsi que l’intérêt public, pour décider d’accorder ou non une injonction préliminaire.
Comment fixer le montant de la garantie ?
L’article 11 des nouvelles dispositions doit retenir notre attention puisqu’il traite du calcul du montant de la garantie à payer par le demandeur. Ce sujet faisait jusqu’alors l’objet d’une jurisprudence contradictoire, certaines cours fixant des montants de garantie très bas.
Cet article apporte donc une clarification importante en indiquant que le montant de la garantie fournie par le demandeur doit être égal aux possibles pertes du défendeur causées par l’exécution de l’injonction, incluant les revenus de vente des produits objet de l’injonction, les frais de stockages et toutes autres pertes raisonnables.
On peut voir que l’ensemble de ces nouvelles dispositions, tout en fournissant des orientations détaillées aux juges dans leur application de la loi, leur laissent néanmoins une certaine discrétion dans la décision d’accorder ou non une injonction.
Nul doute que ces nouvelles dispositions vont aider à standardiser les pratiques des cours dans l’examen des demandes d’injonction. Nous espérons que cela convaincra les titulaires de droit à demander davantage ce type de mesures, afin que les injonctions préliminaires se démocratisent en Chine.
Article rédigé par Audrey DRUMMOND