Le 10 septembre 2021, la Cour de PI de Pékin a publié six affaires typiques dans lesquelles elle a puni des titulaires de marques pour falsification de preuves soumises dans le cadre d’actions en déchéance. Des affaires qui peuvent sembler inhabituelles mais qui, au contraire, sont révélatrices d’un phénomène notoire de fraude dans des procédures de marques en Chine.
Rappelons tout d’abord rapidement ce qu’est une action en déchéance. Conformément à l’article 49 de la loi chinoise des marques, lorsqu’une marque enregistrée n’a pas été utilisée pendant trois années consécutives sans motif justifié, cette marque peut être révoquée par l’Office des marques (CTMO), à la demande d’un tiers. Nous avions d’ailleurs dédié un article complet à l’action en déchéance de marque, que vous pouvez retrouver ici.
Pour une action en déchéance, la procédure est la suivante. Lorsqu’une personne demande au CTMO la déchéance d’une marque enregistrée, le titulaire de la marque reçoit une notification du CTMO lui demandant de fournir des preuves d’utilisation. Il convient alors pour ce titulaire de soumettre les preuves d’utilisation de la marque sur les produits désignés visés par l’action en déchéance et ce, pendant la période concernée par l’action. À défaut, il devra prouver l’existence d’un motif justifié (par exemple, un cas de force majeure, sa faillite ou liquidation ou encore un autre motif légitime et qui ne lui soit pas imputable). Le délai officiel pour répondre à cette notification est de deux mois. Si le titulaire ne peut prouver ni l’utilisation de sa marque ni le motif justifié, le CTMO rendra alors une décision révoquant l’enregistrement de la marque sur les produits désignés.
Le but de ce système de déchéance de marque est de lutter contre l’accumulation malveillante de marques d’une part et d’encourager les déposants de marques à les utiliser activement d’autre part. Pour les titulaires de marques étrangères, cette action est donc un bon moyen de défense contre le « trademark squatting ». En effet, les déposants frauduleux de marques n’utilisent généralement pas les marques qu’ils déposent.
Dans le cadre de cette procédure, il est cependant notoire que certains déposants de marques soumettent de fausses preuves d’utilisation. Ce phénomène s’explique notamment par le fait que le CTMO est peu exigeant concernant les éléments de preuve. En particulier, il n’exige pas de preuves en version originale ou notariée, ce qui permet de falsifier facilement les documents pour obtenir le maintien de la marque.
Les méthodes courantes de fraude incluent notamment la falsification de contrats, de factures et de matériels publicitaires. Comment se protéger face à une telle situation ?
Déposer un recours contre le refus
Tout d’abord, il est très important, pour le demandeur d’une action en déchéance qui a échoué en raison de la soumission de preuves d’utilisation par le titulaire, de contester ce refus auprès du Bureau de réexamen des marques (TRAB). En effet, c’est seulement à la suite du dépôt de ce recours que les éléments de preuve apportés par le titulaire de la marque lui seront signifiés. Le demandeur, avec l’aide de professionnels spécialistes en droit des marques, pourra alors vérifier l’authenticité et la validité des preuves, pièce par pièce, et démontrer aux examinateurs du TRAB l’existence de défauts dans les preuves déposées. Nous allons analyser les falsifications les plus courantes et les méthodes de contestation pour chacune d’entre elles.
Falsification de contrats
La falsification de contrat se manifeste généralement par la signature d’un faux contrat avec une entreprise affiliée ou encore une personne avec laquelle le titulaire a une relation personnelle. Dans ce cas de figure, il est possible de comparer les informations d’immatriculation des deux parties du contrat dans les registres publics. Si on arrive à démontrer qu’il existe un chevauchement entre les représentants légaux ou les actionnaires des deux sociétés, alors les deux parties pourront être considérées comme des sociétés affiliées, ce qui affaiblira la force probante du document. De la même façon, si on arrive à prouver le lien personnel entre le titulaire de la marque et l’autre partie, la force probante du document sera moindre.
Falsification de factures
Les factures sont des preuves très fréquemment soumises par le titulaire de la marque pour se défendre contre une action de déchéance. Elles sont également très faciles à falsifier puisqu’elles sont émises par le défendeur. Celui-ci peut par exemple falsifier la date d’émission de la facture, les produits concernés et l’entité destinataire de la facture, etc., afin de répondre aux exigences du CTMO sur les preuves d’utilisation. Pour les factures suspectes, il est possible de procéder à des vérifications auprès de l’Administration fiscale chinoise.
Falsification de matériels publicitaires
Le matériel publicitaire, à savoir les journaux, les périodiques et les magazines, en particulier ceux qui présentent une date de parution, ont une force probante importante. Ils font cependant également l’objet de falsifications.
En Chine continentale, les journaux, périodiques et magazines publiés sont généralement scannés et stockés dans la base de données de la Bibliothèque nationale. En cas de doute sur un matériel publicitaire soumis par le déposant comme preuve d’utilisation, il est possible de procéder à des vérifications auprès de la Bibliothèque nationale pour vérifier son authenticité.
La publication par la Cour de PI de Pékin des affaires typiques montre l’ampleur du problème mais également la volonté des pouvoirs publics d’y remédier. Dans les procédures administratives de marques, un tribunal peut, selon la gravité du scénario, punir la partie qui fabrique, dissimule, détruit ou produit de fausses preuves pour entraver l’examen du tribunal en prononçant un avertissement mais également en imposant une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 CNY (environ 1400 euros) ou encore une détention pouvant aller jusqu’à 15 jours de prison. Ainsi, dans le cadre des six affaires publiées par la Cour de PI de Pékin, les marques ont été annulées et leurs titulaires condamnés à payer des amendes de 10 000 CNY, soit le maximum autorisé.
Article rédigé par ZHANG Jiayu du cabinet LLR China