Fabricant ou simple vendeur ?
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Fabricant ou simple vendeur ?

La prudence s’impose concernant les informations publiées sur les plateformes e-commerce

Aujourd’hui, le commerce électronique (ou e-commerce) est en pleine expansion dans le monde, et particulièrement en Chine. Des plateformes de commerce électronique chinoises, telles que JD, Tmall, Taobao ou encore Pingduoduo sont très connues des consommateurs chinois et hébergent de nombreuses entreprises et vendeurs individuels. Comme c’est le cas pour d’autres plateformes internationales que nos lecteurs connaissent bien, chaque vendeur dispose d’une boutique virtuelle sur la plateforme, où il peut publier, sous forme de texte et/ou d’image, des informations présentant son entreprise et ses produits. Cependant, attention au contenu de cette présentation ! Comme le montre l’affaire décrite ci-dessous, la cour pourrait conclure que le vendeur est également le fabricant du produit en se basant sur certaines informations indiquées dans la présentation, ce qui peut avoir des implications juridiques importantes.

L’affaire en question

Il s’agit d’une affaire récemment tranchée dans la décision N°(2022) SPC Zhiminzhong 2021 par le tribunal de PI de la Cour suprême chinoise. L’affaire opposait une entreprise italienne, titulaire du brevet, à une entreprise chinoise, accusée de contrefaçon. 

Les éléments de preuve et la plainte de la société italienne

La société italienne a constaté que les photos de produits publiées par la société chinoise sur plusieurs plateformes d’e-commerce étaient identiques à celle du produit breveté. Ces photos, en plus d’afficher la quantité, le prix de vente et d’autres informations sur le produit, portait également la marque de la société chinoise, avec le lieu de fabrication indiqué comme étant la ville de Jining, dans la province du Shandong. Le principe de fonctionnement du produit était également clairement indiqué sur les plateformes.

Après comparaison, la société italienne a relevé que le principe de fonctionnement des produits offerts à la vente sur les plateformes était identique à celui de l’objet de la revendication 1 du brevet en question. Certains des produits présentés sur les photographies étaient également étiquetés avec sa propre marque. En conséquence, cette société a décidé d’intenter une action en justice exigeant de la société chinoise qu’elle cesse de fabriquer, vendre et offrir à la vente les produits contrefaits, et de réclamer une indemnisation pour la perte économique subie et pour les dépenses raisonnables engagées dans la défense de ses droits.

La défense de la société chinoise

L’entreprise chinoise a confirmé que :
– Les photographies présentées sur les plateformes étaient celles du produit breveté et provenaient d’Internet ;
– Le principe de fonctionnement présenté sur les plateformes était dérivé du contenu du manuel du produit qu’elle avait obtenu lors de son achat de deux produits brevetés ;
– Les informations présentes sur les plateformes concernant la marque, le lieu de fabrication et la quantité de ses produits avaient été créées par l’entreprise dans le but de les promouvoir, elles étaient donc fausses, et l’entreprise n’avait en réalité jamais fabriqué ni vendu les produits présentés.

Le jugement de première instance

La cour de première instance a rejeté toutes les demandes de la société italienne. Plus précisément, la cour a estimé que les informations publiées par la société chinoise sur les plateformes ne suffisaient pas à elles seules à démontrer que la société chinoise était impliquée dans la fabrication et la vente des produits. En outre, selon la cour, bien qu’il y ait eu une offre à la vente, le principe de fonctionnement du produit publié sur les plateformes ne se référait pas nécessairement au principe de fonctionnement des produits contrefaits mais pouvait se référer à celui du produit breveté, étant donné que la société chinoise avait acheté deux des produits brevetés. Il était donc impossible de conclure que les solutions techniques des produits offerts à la vente sur les plateformes entraient dans le champ de protection du brevet en question.

La décision de la Cour suprême

N’étant pas satisfaite de la décision, la société italienne a fait appel devant le tribunal de PI de la Cour suprême. Ce dernier a annulé le jugement de première instance et ordonné au défendeur de payer un montant de 900 000 CNY (environ 120 000 euros) à titre de dommages et intérêts ainsi qu’un montant de 2 000 CNY pour couvrir les dépenses raisonnables.

Qualifications juridiques

Plus précisément, concernant l’acte d’offre à la vente, le tribunal a estimé que les informations figurant sur les plateformes étaient suffisantes pour conclure que l’entreprise chinoise a clairement manifesté son intention de vendre les produits figurant sur les photos de la page web, ce qui constituait bel et bien un acte d’offre à la vente.

En ce qui concerne l’acte de vente, la société italienne n’ayant pas pu prouver que la société chinoise avait effectivement vendu les produits contrefaits, sa demande relative à cet acte n’a pas été retenue par le tribunal.

Enfin, concernant l’acte de fabrication, le tribunal a estimé qu’il était raisonnable de présumer que la société chinoise avait fabriqué les produits contrefaits, en raison de plusieurs éléments. Notamment, ont été pris en considération le fait que la société chinoise ait offert de vendre les produits accusés de contrefaçon sur plusieurs plateformes, les informations indiquant le lieu de fabrication (« Jining dans la province du Shandong ») et la quantité des produits, les photos montrant plusieurs produits, ainsi que le contenu de la page de vente mentionnant des expressions telles que « vente directe par le fabricant » et « fabrication sur mesure par téléphone ». De plus, la société chinoise n’ayant pas prouvé l’origine légitime de ces produits, la présomption trouvait bien à s’appliquer.

Violation de la loi e-commerce

Le tribunal a par ailleurs souligné que l’affirmation de la société chinoise selon laquelle les informations qu’elle avait indiquées sur les plateformes en relation avec les produits accusés de contrefaçon étaient fausses et fabriquées dans le seul but de promouvoir les produits violait clairement l’article 17 de la loi sur le commerce électronique.

Cet article dispose que « Les opérateurs de commerce électronique doivent divulguer des informations sur leurs marchandises ou services d’une manière complète, véridique, précise et opportune afin de sauvegarder le droit des consommateurs de savoir et de choisir. Les opérateurs de commerce électronique ne doivent pas tromper ou induire en erreur les consommateurs en faisant de la publicité commerciale fausse ou trompeuse par des transactions fictives, en fabriquant des commentaires d’utilisateurs, etc. ». Selon le tribunal, ce type de comportement nuit à la construction du système d’intégrité du commerce électronique, et ne peut pas servir d’excuse de la société chinoise pour éviter la responsabilité légale face à la plainte pour violation de brevet de la société italienne.

En conclusion, relevons que, dans la pratique juridique chinoise, un fabricant de produits contrefaits est généralement soumis à des responsabilités beaucoup plus lourdes qu’un simple vendeur dans un litige en contrefaçon de brevet. Il est donc essentiel de toujours respecter le principe de bonne foi en prêtant une attention particulière à l’authenticité des informations publiées sur Internet, notamment sur les plateformes e-commerce. A défaut, des conséquences défavorables peuvent survenir. A titre d’exemple, il arrive que certaines entreprises exagèrent leur volume de vente ou indiquent des informations fausses en matière du lieu de fabrication, de la marque, etc. dans le but d’attirer davantage de consommateurs. En cas de contrefaçon de brevet avéré, ces comportements peuvent entraîner des dommages beaucoup plus importants que ceux qui auraient été accordés autrement.

Article rédigé par Mei TAO