Évaluation des dommages-intérêts statutaires
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Évaluation des dommages-intérêts statutaires

Étude de cas sur contrefaçon de marques de Louis Vuitton

La détermination des dommages-intérêts pour violation de la propriété intellectuelle est particulièrement complexe en raison de la nature immatérielle de ces droits.

En Chine, les dommages-intérêts pour atteinte aux droits de PI sont évalués en tenant compte de la perte subie par la victime ou des bénéfices illicites réalisés par le contrefacteur ou encore du montant des redevances raisonnables. Toutefois, en l’absence de preuves concrètes de ces montants, les tribunaux peuvent imposer des dommages-intérêts dits statutaires basés sur divers critères, avec un plafond fixé par la loi. Ainsi la loi sur les marques chinoises fixe ce plafond à 5 millions de CNY (environ 640 000 euros).

Étudier les décisions de justice sur les dommages-intérêts permet de comprendre la méthodologie des tribunaux et de prévoir avec plus de précision les compensations possibles en cas de contrefaçon de droits de PI en Chine. Dans l’affaire examinée ici, plusieurs critères ont été pris en compte pour calculer les dommages-intérêts dans une affaire de contrefaçon de marques Louis Vuitton. Nous allons revenir sur le raisonnement du tribunal.

Rappel des faits

Revenons d’abord sur les faits de cette affaire. Le 23 janvier 2021, la société chinoise Chongqing Maoluxin (ci-après Chongqing Maoluxin ou le contrefacteur) a déclaré aux douanes de Tianjin Xingang l’exportation de sacs vers le Kenya, comprenant 345 sacs de voyage et 9 sacs banane. Ces marchandises ont fait l’objet d’une saisie par les autorités douanières car elles portaient atteinte à la marque « LV » et à ses marques figuratives. Il s’agit probablement d’une saisie d’office réalisée par les douanes. Ce type de saisie se fait sans demande préalable du titulaire de droits sous réserve de l’inscription préalable des droits auprès des douanes. Vous pouvez retrouver notre article sur la protection des droits de PI par les douanes ici.

Suite à cette saisie, Louis Vuitton Malletier (ci-après Louis Vuitton), titulaire des marques de la série « LV », a débuté une action en justice devant le tribunal de la zone pilote de libre-échange de Tianjin (ci-après le tribunal de première instance), qui a décidé que le défendeur devait immédiatement cesser son atteinte aux droits de marque du plaignant et l’indemniser à hauteur de 50 000 CNY pour couvrir son préjudice économique et les dépenses raisonnables pour faire arrêter la contrefaçon.

Louis Vuitton fait appel

Louis Vuitton a fait appel de ce jugement devant le troisième tribunal intermédiaire de Tianjin (ci-après le tribunal de seconde instance), arguant que le montant d’indemnisation prononcé était trop faible, et a demandé une indemnisation à hauteur de 500 000 CNY. Le tribunal de deuxième instance a fixé l’indemnisation à 120 000 CNY, incluant 90 000 CNY pour préjudice économique et 30 000 CNY pour les dépenses raisonnables.

Pour fixer ce montant, le tribunal a pris en compte les critères suivants : la réputation de la marque, la faute subjective du contrefacteur, les circonstances de l’acte de contrefaçon et les dépenses raisonnables engagées pour la défense des droits. Nous allons les étudier tour à tour.

Réputation de la marque contrefaite

Le tribunal de seconde instance a pris en compte le fait que la marque Louis Vuitton a une longue histoire, une large popularité et une grande influence dans l’industrie de la mode. De plus, elle a été intégrée dans la liste nationale de protection des marques clés de Chine. La marque n°241012 a été reconnue comme marque notoire par plusieurs tribunaux en raison de sa grande réputation en Chine et de sa large reconnaissance par le public concerné. Le logo utilisé sur les sacs banane contrefaits est non seulement similaire à cette marque n°241012, mais également à plusieurs autres marques revendiquées par Louis Vuitton. Le tribunal a estimé que cela était suffisant pour créer une confusion et une identification erronée des produits par le public concerné, ce qui pouvait produire un effet négatif sur la réputation des produits de Louis Vuitton, portant ainsi atteinte à ses droits de marque.

Faute subjective du contrefacteur

En ce qui concerne la faute subjective du contrefacteur, ce dernier a soumis aux douanes de Tianjin Xingang une « déclaration de situation » indiquant que les marchandises contrefaites étaient destinées à l’exportation, précisant que le lieu d’achat de ces produits était un entrepôt du marché textile de Baoding City, dans la province du Hebei. Bien que les douanes de Tianjin Xingang et le tribunal de première instance aient estimé que les marchandises litigieuses constituaient une contrefaçon de marque, le contrefacteur n’a toujours pas divulgué le nom de son fournisseur ni ses coordonnées lors de la procédure en deuxième instance. Ce refus non seulement compromet la traçabilité de la contrefaçon de marque, mais rend également plus difficile la défense des droits du titulaire de marque, démontrant ainsi l’importance de la faute subjective du contrefacteur.

Circonstances de l’acte de contrefaçon

Les produits de contrefaçon incluent 345 sacs de voyage et 9 sacs banane. Dans le contexte d’une exportation de grande envergure et de l’utilisation du signe similaire ou identique à la marque très connue, même si le destinataire étranger n’a pas demandé de vérifier l’utilisation de la marque apposée sur les marchandises contrefaites, l’entreprise Chongqing Maoluxin en tant qu’exportateur avait la responsabilité de vérifier si les produits destinés à l’exportation constituaient une violation des droits de tiers et si les parties commerciales étaient dûment qualifiées. Chongqing Maoluxin n’a pas rempli cette obligation et l’introduction massive de ces marchandises de contrefaçon sur le marché portera inévitablement atteinte aux droits du titulaire de marque ainsi qu’aux intérêts des consommateurs, tant en perturbant l’ordre de la concurrence sur le marché.

Dépenses raisonnables engagées pour la défense des droits

Louis Vuitton a présenté une facture pour les honoraires de l’avocat et a effectivement comparu devant le tribunal pour participer à la procédure. Bien qu’il n’ait pas présenté de justificatifs de paiement valides pour attester du montant réellement versé, les honoraires de l’avocat constituent une dépense objective qui peut donc être pris en considération.

Par conséquent, le tribunal de deuxième instance a estimé que le montant d’indemnisation fixé par le jugement de première instance n’était pas suffisant pour indemniser Louis Vuitton des dommages résultant de la contrefaçon et a décidé d’augmenter les dommages-intérêts.

Article rédigé par Jun LIN