Toute entreprise étrangère souhaitant s’implanter en Chine doit procéder en amont au dépôt de sa marque – en caractères latins, cela va sans dire – mais surtout en caractères chinois puisque c’est cette marque qui va être utilisée par les consommateurs chinois. L’entreprise Castel, le sportif Michael Jordan et encore plus récemment l’entreprise New Balance l’ont d’ailleurs appris à leurs dépens.
Le 23 juin 2016 est un jour noir pour la société New Balance, filiale de la société américaine New Balance Athletic Shoes Inc. Après trois ans de procès l’opposant à Zhou Lelun, particulier chinois titulaire de la marque « 新百伦 » (Xin-Bai-Lun), la cour supérieure de Guangzhou a rendu son verdict: la société New Balance est condamnée à verser à Zhou Lelun 5 millions de yuans de dommages et intérêts (soit environ 680,000 euros) ainsi que le remboursement des frais engagés pour faire cesser les infractions.
Les débuts de cette affaire remontent à plus de 30 ans. En 1983 et 2003, New Balance enregistre en Chine ses marques en caractères latins (« N », « NB », puis « New Balance ») pour les chaussures. Elle ne les enregistre pas en caractères chinois.
L’opposant de New Balance, Zhou Lelun, est le propriétaire d’une entreprise spécialisée dans la fabrication et la vente des chaussures pour hommes. Pour la commercialisation de ses produits, il a enregistré en 1996 la marque « 百伦 » (Bai-Lun) en classe 25, puis en 2008 la marque « 新百伦 » (Xin-Bai-Lun) dans la même classe. New Balance a formé une opposition à l’encontre du dépôt de « 新百伦 » (Xin-Bai-Lun) mais celle-ci a été rejetée par l’office des marques chinois.
En 2013, Zhou Lelun poursuit en justice New Balance et son distributeur pour contrefaçon de sa marque « Xin-Bai-Lun ». New Balance avait pourtant déposé sa marque, que s’est-il donc passé ?
La cour de première instance saisie de cette affaire en 2013 par Zhou Lelun a reconnu la contrefaçon et condamné New Balance à payer une somme qui restera dans les annales – 98 millions de yuans de dommages et intérêts (soit plus de 13 millions d’euros). New Balance a formé peu après un appel devant la cour supérieure de Guangzhou, qui a confirmé le jugement rendu en première instance tout en réduisant le montant de dommages et intérêts à 5 millions de yuans. Pour rendre cette décision, la cour a notamment estimé que la traduction chinoise de New Balance était « Xin-Ping-Heng » (« Ping-Heng » signifiant balance). Elle a aussi fait remarquer que New Balance avait utilisé auparavant la marque « Niu-Ba-Lun », qui est la traduction phonétique de New Balance et a donc rejeté l’argument selon lequel « Xin-Bai-Lun » était une traduction de la marque New Balance. La cour a également estimé que New Balance avait agi avec mauvaise foi en utilisant la marque tout en connaissant son existence puisqu’elle avait émis une opposition contre son enregistrement en 2004.
Que faire face à un dépôt frauduleux du surnom désignant votre marque ? Le droit des marques applique le principe du premier déposant (« first to file »), ce qui signifie que vous ne serez pas autorisé à enregistrer une marque si un tiers l’a déjà fait. Plusieurs alternatives s’offrent cependant à vous. Tout d’abord, vous pouvez former une action en nullité de la marque en vous fondant sur la notoriété du surnom. Cette action nécessite de saisir le TRAB (Trademark Review and Adjudication Board) et de prouver la notoriété. Cependant, la preuve de la notoriété peut être difficile à apporter car elle dépend des nombreux facteurs comme le nombre d’années d’exploitation de la marque en Chine ou encore du volume de produits écoulés sur le territoire chinois, ce qui est difficile à prouver si l’entreprise n’exploite justement pas le surnom en question ou si elle vient tout juste de s’implanter en Chine. Il est également possible de négocier un accord de cession ou de licence avec le propriétaire de la marque. Si aucune de ces options n’aboutit, il est déconseillé d’utiliser le surnom, sous peine de vous exposer à des sanctions similaires à celles subies par New Balance.
En conclusion, il faut noter que ce type de décisions donnant raison à une entreprise chinoise n’est cependant pas représentatif de la tendance actuelle en matière de litiges de PI. Les récentes statistiques nous montrent qu’au contraire en Chine, les entreprises étrangères gagneraient majoritairement leurs procès en matière de propriété intellectuelle les opposant aux entreprises chinoises. Selon IP House, organisme chinois rassemblant des données en matière de litiges de PI, entre 2014 et 2016, le taux de succès des entreprises étrangères dans des procédures judiciaires en contrefaçon de marques était de 84%. Cette tendance est notamment le fruit de la création en 2014 des trois cours chinoises spécialisées en propriété intellectuelle. Ainsi, début juin 2016, le juge Gang Feng, de la cour spécialisée en propriété intellectuelle de Pékin a donné une conférence de presse pour faire le point concernant l’activité de sa juridiction. Il a notamment déclaré qu’en 2015, les plaignants étrangers avaient eu gain de cause dans 100% des cas (sur 63 dossiers – en majorité en droit des marques). A en croire ces chiffres, une entreprise étrangère consciente de l’importance de mettre en œuvre une stratégie de PI et suffisamment bien conseillée peut donc bénéficier d’une protection adéquate de ses droits de PI en Chine.
Article rédigé par Zhaojie DU, du cabinet LLR