L’opinion de la Cour de PI de Pékin
Selon un jugement récent de la Cour de la propriété intellectuelle de Pékin [1], une marque déposée à des fins défensives ne constitue pas une « demande de mauvaise foi sans intention d’utilisation », dont le dépôt est interdit par l’article 4 de la loi chinoise sur les marques.
La marque en question dans cette affaire est une marque en caractères chinois (嗨体御肌), déposée par la société Imeik Technology Development Co. (ci-après Imeik) le 21 juillet 2021. Cette marque désigne des produits de la classe 5, tels que les préparations pharmaceutiques et les médicaments. L’Office des marques a rejeté la demande de marque pour la raison suivante : le déposant Imeik avait demandé l’enregistrement d’un grand nombre de marques dans un court laps de temps, ces dépôts dépassaient les besoins d’une activité commerciale normale. Le comportement d’Imeik était donc constitutif d’un dépôt de marques de mauvaise foi sans intention d’utilisation. Par la suite, le bureau de révision a confirmé le refus dans la décision de réexamen. Le déposant Imeik a intenté une action en justice auprès de la Cour de la propriété intellectuelle de Pékin.
Le raisonnement de la Cour de PI de Pékin
Dans son jugement, la Cour a pris en compte certains faits, étayés par les preuves présentées par le demandeur Imeik. Ainsi, les activités du demandeur concernaient le secteur de la beauté. Sa marque, et en particulier les deux premiers caractères la composant (嗨体), était utilisée pour la vente d’une solution d’injection (couverte par les produits de « préparations pharmaceutiques » en classe 5) et avait même acquis une certaine réputation en Chine.
La Cour a estimé que la deuxième partie de la marque correspondait à des termes descriptifs communs dans l’industrie de la beauté. Par conséquent, la marque contestée 嗨体御 pouvait être considérée comme une extension de sa marque « 嗨体 », également enregistrée. Il s’agissait donc d’un enregistrement défensif de la marque « 嗨体 ». Par conséquent, et malgré le fait que le demandeur ait déposé plus de 500 demandes de marques, la Cour a décidé que les éléments de preuve dans cette affaire étaient insuffisants pour juger que l’enregistrement de la marque contestée constitue une demande de mauvaise foi sans intention d’utilisation.
Enregistrement défensif de marque et article 4 de la loi chinoise sur les marques
Conformément à l’article 4 de la loi chinoise sur les marques, toute demande d’enregistrement d’une marque de mauvaise foi sans but d’utilisation doit être rejetée par l’Office chinois des marques. Depuis l’introduction de cet article dans la loi en 2019, l’Office des marques a la tâche de vérifier si des marques sont déposées de mauvaise foi lors de son examen et de rejeter les marques en question. Relevons que si une marque de mauvaise foi est tout de même enregistrée, les tiers intéressés (en particulier, le titulaire légitime de la marque) peut former une opposition en se basant sur l’article 33 de la loi sur les marques, ou une action en invalidation en se basant sur l’article 44 de la loi.
Ce changement important a permis ces dernières années de freiner le phénomène croissant de stockage de marques. Dans ce contexte, l’Office chinois a dû adopter une pratique stricte en matière d’examen des marques, en conformité avec la loi et d’autres textes règlementaires qui sont venus s’ajouter à l’appareil juridique contre les dépôts frauduleux. En particulier, les nouvelles directives d’examen des marques, publiées en 2021, donnent une série de critères qui doivent être pris en considération lors de l’examen de l’Office. Elles précisent notamment que « si le déposant soumet un grand nombre de demandes d’enregistrement de marque qui ne sont pas destinées à être utilisées dans le cadre de ses activités commerciales, un tel comportement utilise indûment les ressources de marques et perturbe le bon ordre du système d’enregistrement des marques.» Ainsi, ce type de comportement peut donc être considéré comme une « demande de marque de mauvaise foi sans intention d’exploitation ».
Conclusion
Pour les entreprises qui ont opté pour une stratégie de dépôt de marques défensive, cette stratégie peut donc malheureusement se trouver compromise par les règles contre les dépôts de marques de mauvaise foi.
Au travers de ce jugement, on peut voir que la Cour de PI de Pékin cherche un équilibre entre la lutte contre les dépôts de marques de mauvaise foi et la possibilité pour un titulaire d’étendre la protection de ses marques de façon légitime pour éviter d’être la cible de déposants de mauvaise foi. Ainsi, la Cour semble affirmer que, dans une certaine mesure, le nombre de marques demandées ne devrait pas automatiquement être considéré comme un motif de qualification de « dépôt de mauvaise foi sans intention d’utilisation ».
[1] Beijing 73 Xing Chu (2022) n° 15009
Article rédigé par Jun LIN