Un moyen de s’exonérer du paiement des dommages et intérêts en cas de contrefaçon de brevet
Dans le cadre d’un litige en contrefaçon de brevet en Chine, il est possible pour le vendeur d’un produit contrefaisant de se dégager de la responsabilité de paiement des dommages et intérêts en profitant de la défense fondée sur la source légitime. Cette défense est prévue par l’article 77 de la loi des brevet 2020 et l’article 25 de l’Interprétation II de la Cour suprême sur plusieurs questions concernant l’application de la loi dans les procès de litiges en contrefaçon de brevet.
Dans l’affaire Beijing Yanhengde Pharmaceutical Technology c/ Huzhou Aixin Maternal and Infant Health Service[1], le Tribunal de PI de la Cour suprême a clarifié les critères relatifs à ce moyen de défense.
Voici les enseignements les plus intéressants à retenir :
- dans un litige en contrefaçon de brevet, la défense de source légitime du vendeur du produit contrefaisant doit satisfaire à la fois à l’exigence objective selon laquelle « le produit présumé contrefait a une source légitime » et à l’exigence subjective selon laquelle « le vendeur n’a aucune faute subjective ».
- lors de la répartition de la charge de preuve quant à savoir si le vendeur a commis une faute subjective, il convient de veiller à trouver un équilibre entre la protection du droit de brevet et le maintien de l’ordre normal des transactions sur le marché. En particulier, il est important de respecter les règles légitimes et normales des transactions sur le marché en se mettant à la place d’un opérateur honnête. De manière générale, si le vendeur peut prouver qu’il a respecté les règles légitimes et normales des transactions commerciales, qu’il a obtenu les produits en question d’une source claire, via une voie légale et à un prix raisonnable, alors le vendeur est considéré comme ayant rempli son devoir de diligence raisonnable en tant qu’opérateur honnête. On peut donc en déduire que le vendeur n’a pas commis de faute subjective. Dans ce cas, il appartient au titulaire du brevet de fournir la preuve contraire. Faute de quoi, la défense de source légitime du vendeur sera considérée comme fondée.
- la lettre de mise en demeure envoyée dans le cadre d’une affaire de contrefaçon ne constitue qu’une preuve préliminaire permettant de déterminer l’existence ou non faute subjective du vendeur. Elle ne constitue pas une preuve suffisante pour déterminer directement l’existence de cette faute subjective. Dans le cas où le titulaire du brevet a envoyé une telle lettre, les cours doivent tout de même effectuer un examen synthétique des faits de façon à vérifier si le vendeur a commis une faute subjective sur la base des faits de l’affaire dans leur ensemble.
Pour en savoir plus, nous vous invitons à lire la suite de notre article.
I- Résumé des faits de l’affaire
Le demandeur, la société Beijing Yanhengde Pharmaceutical Technology Co., Ltd. (ci-après dénommé « société Yanhengde ») est le licencié exclusif du brevet n° ZL200880108740.X intitulé « Correction des oreilles déformées ».
En 2018, il soupçonne les prothèses d’oreille commercialisées par Huzhou Aixin Maternal and Infant Health Service Co., Ltd. (ci-après dénommée « société Aixin ») et l’hôpital de santé maternelle et infantile de Huzhou (ci-après l’Hôpital) de contrefaire le brevet en question. Il demande son avis au Centre de recherche et de services sur la PI de la province de Zhejiang (ci-après le Centre).
Après étude, ce dernier conclut que « le produit en question entre bien dans le champ de protection des revendications 1, 2, 4, 6, 7 et 12 dudit brevet ». Ayant pris connaissance de cette conclusion, la société Yanhengde envoie à deux reprises des lettres d’avocat à la société Aixin et à l’Hôpital en leur demandant de mettre fin aux actes de contrefaçon. Cependant, entre-temps, l’Office de la PI de Hangzhou (ci-après l’Office) rend une décision sur le même différend dans laquelle l’Office estime que le produit en question n’est pas couvert par le brevet. Bien que cette décision ait été révoquée par la suite, cette révocation s’explique par le fait que le jugement à rendre par l’autorité judiciaire devait prévaloir, et non parce que sa conclusion était erronée. En conséquence, la société Aixin et l’Hôpital ont continué à commercialiser les produits.
Sur la base des faits détaillés ci-dessus, la société Yanhengde intente une action en justice à l’encontre de la société Aixin et de l’Hôpital.
Pour se défendre, la société Aixin fait valoir que le produit présumé contrefait avait une source légitime et justifiée, et qu’elle ne devrait donc pas assumer la responsabilité de contrefaçon. Elle explique notamment que le produit a été fabriqué par Taizhou Laisai Medical Devices Co., Ltd. (ci-après la société Laisai), qui disposait de certificats légitimes complets tels que le certificat de brevet et le permis de fabrication de dispositifs médicaux. Elle avance aussi la décision de l’Office mentionnée plus haut, qui confirme que le produit en question n’était pas couvert par le brevet. Ainsi, la société Aixin explique qu’elle n’avait aucune intention de violer le brevet en question.
L’Hôpital quant à lui se défend de la façon suivante. Il explique n’être que l’installateur du produit en question, et non l’utilisateur, ce qui ne faisait pas de lui un contrefacteur qualifié. Selon la loi sur des brevets, l’Hôpital a le droit d’installer le produit concerné sur le corps du patient, [MOU1] produit qui était conforme aux réglementations médicales et appartenait au patient, et de procéder à des observations cliniques ou une étude du dossier médical, etc. L’Hôpital utilise également le moyen de défense de source légitime. Il estime donc ne pas être tenu à une indemnisation conformément à la loi.
Le tribunal intermédiaire de Hangzhou, dans la province de Zhejiang, agissant en tant que Cour de première instance, est saisi de l’affaire. Dans sa décision, elle estime que la société Aixin et l’Hôpital ont violé conjointement le droit du brevet en question. Elle juge cependant que la défense de source légitime est fondée, et que les deux défendeurs ne doivent assumer aucune responsabilité en matière de dommages et intérêts.
La société Yanhengde n’étant pas satisfait de ce jugement de première instance, elle fait appel devant la Cour suprême, qui rejette l’appel et confirme le jugement initial.
II- Raisonnement de la Cour suprême
Dans sa décision de seconde instance, la Cour suprême présente essentiellement les points de vue suivants.
i) La détermination de la contrefaçon de brevet doit prendre en compte la capacité professionnelle du vendeur.
Bien que l’Hôpital, en tant qu’institution médicale professionnelle, ait souvent l’occasion d’accéder à des dispositifs médicaux et que la société Aixin opère au sein de l’Hôpital, le professionnalisme en matière de santé et de soins n’implique pas forcément le professionnalisme dans les domaines mécaniques et de brevets. La familiarité avec l’utilisation des dispositifs médicaux ne signifie pas non plus forcément la connaissance de la structure et des caractéristiques techniques de ces derniers. Par conséquent, la Cour suprême décide qu’il ne peut pas être déterminé que l’Hôpital et la société Aixin devaient avoir la capacité de juger si les produits qu’ils vendaient portaient atteinte aux droits de brevet d’autrui. Il ne faut donc pas leur imposer un devoir de diligence plus élevé à cet égard.
ii) en raison de leurs particularités, les dispositifs médicaux sont strictement supervisés par les départements d’État compétents aux stades de développement, de production et d’exploitation, etc. Le produit présumé contrefait possède une licence administrative, et l’emballage du produit indique clairement les informations obligatoires telles que le fabricant, le numéro du brevet, le numéro du certificat d’enregistrement et le numéro de la licence de production du dispositif médical.
Sur la base des informations pertinentes figurant sur l’emballage du produit, l’Hôpital et la société Aixin ont eu des motifs raisonnables de croire que le produit en question est un dispositif médical fabriqué suite à une approbation administrative et conformément aux normes de l’industrie, et que les solutions techniques mises en œuvre par ce produit correspondent aux informations techniques brevetées indiquées sur l’emballage du produit. Par conséquent, l’Hôpital et la société Aixin ont rempli le devoir raisonnable de diligence des opérateurs dans ce domaine concernant la vérification de la source légitime du produit lors de l’achat.
iii) avant que l’Hôpital et la société Aixin ne reçoivent la lettre de mise en demeure envoyée par la société Yanhengde, l’Office a rendu une décision administrative selon laquelle le produit présumé contrefait n’entrait pas dans la portée de protection du brevet concerné. L’Office a ensuite volontairement révoqué cette décision non pas en raison d’une erreur dans la détermination de la non-contrefaçon, mais parce que le différend en question avait été soumis à une procédure judiciaire.
v) la lettre de mise en demeure n’est qu’un élément de preuve préliminaire pour aider à déterminer l’existence ou non de faute subjective du vendeur. Elle ne constitue pas une preuve suffisante pour déterminer directement l’existence de cette faute subjective. Dans le cas où le titulaire du brevet a envoyé une telle lettre, les cours doivent tout de même effectuer un examen synthétique sur la question de savoir si le vendeur a commis une faute subjective sur la base des faits de l’affaire dans leur ensemble.
En prenant en compte la lettre de mise en demeure émise unilatéralement par le titulaire du brevet et à l’avis consultatif émis par un organisme tiers, le vendeur n’a commis aucune faute subjective en croyant raisonnablement que le produit en question n’était pas couvert par le brevet en se basant sur la décision administrative rendue par l’Office pour le même brevet et le même produit.
Au vu de ce qui précède, la Cour suprême conclut que les preuves présentées par la société Yanhengde ne sont pas suffisantes pour renverser la présomption selon laquelle « l’Hôpital et la société Aixin ignoraient subjectivement et de bonne foi le fait que les produits qu’ils vendaient portaient atteinte au droit du brevet en question ».
III- Nos commentaires et recommandations
Il importe donc pour un vendeur de retenir les critères relatifs à la défense de source légitime puisqu’elle lui permettra de se dégager de la responsabilité de paiement des dommages et intérêts, dont le montant peut être très élevé en cas de contrefaçon de brevet. Afin de pouvoir se défendre de manière effective sur la base de ce moyen, il convient de veiller à bien conserver tout élément permettant de prouver la source légitime des produits ainsi que l’absence de faute subjective. En particulier, les documents tels que les contrats d’achat, les factures, les bons d’expédition, les décisions administratives, etc. doivent être conservés.
[1] Beijing Yanhengde Pharmaceutical Technology Co., Ltd. vs. Huzhou Aixin Maternal and Infant Health Service Co., Ltd et al.((2021) Cour suprême Zhiminzhong N° 306)
Article rédigé par Xin YUAN, Mei TAO