Le 10 mai 2021, le Tribunal populaire supérieur du Zhejiang a rendu une décision dans une affaire opposant la société LABORATOIRES M&L, titulaire de la marque L’OCCITANE, aux sociétés chinoises Zhejiang Junda Biotechnology Development Co., Ltd et Guangzhou Ailian Cosmetic Co., Ltd pour contrefaçon de marque et concurrence déloyale. Le tribunal a ordonné aux deux sociétés chinoises de cesser tout acte de contrefaçon et de concurrence déloyale, et de payer à la demanderesse la somme de 9 millions de yuans.
Les faits
Laboratoires M&L est spécialisée dans la production de parfums, de produits de soins du visage et du corps et exploite notamment la marque L’OCCITANE dans de nombreux pays. Depuis 2008, la lotion pour le corps et le gel douche L’OCCITANE de la gamme “Sakura” sont distribués en Chine et connaissent un grand succès auprès du public chinois. En 2016, Laboratoires M&L a enregistré la marque figurative n° 17800581 pour la gamme Sakura, représentée comme suit :
En 2019, Laboratoires M&L a eu connaissance de la commercialisation en ligne d’un produit nommé « ANDORHEAL Sakura High Gloss Body Lotion » sur une plateforme de commerce électronique. Cette lotion revêtait une apparence très similaire à son produit « L’OCCITANE Sakura Body Lotion » :
L’OCCITANE
Sakura Body Lotion |
ANDORHEAL
Sakura High Gloss Body Lotion |
Laboratoires M&L a dès lors assigné l’exploitant de la boutique en ligne et le fabricant des produits devant le Tribunal populaire intermédiaire de Hangzhou pour contrefaçon de marque et concurrence déloyale.
Les décisions
Le 6 août 2020, le Tribunal populaire intermédiaire de Hangzhou a tenu une audience sur cette affaire et retenu les griefs de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale à l’encontre des défenderesses. Il a dès lors prononcé des mesures d’interdiction contre les deux sociétés chinoises et condamné celles-ci à régler à Laboratoires M&L un total de 9 millions de yuans.
Les sociétés chinoises ont interjeté appel de cette décision devant la Cour populaire supérieure du Zhejiang. En vain, puisque la Cour a rendu une décision finale confirmant le jugement du tribunal de première instance.
La Cour a en effet retenu la contrefaçon de marque au vu du risque de confusion évident créé par la similarité entre le produit incriminé et la marque n° 17800581 de Laboratoires M&L.
Elle confirme également la concurrence déloyale à l’encontre des deux sociétés chinoises. En effet, l’emballage du produit L’OCCITANE Sakura Body Lotion, associé aux motifs qu’il revêt, sont protégés en tant qu’“emballage de produit et décorations ayant une certaine influence” au sens de l’article 6 de la loi chinoise sur la concurrence déloyale. En utilisant un emballage fortement similaire au produit L’OCCITANE, les sociétés défenderesses ont ici aussi créé un risque de confusion pour le public.
La Cour a par ailleurs tenu compte de la notoriété des produits L’OCCITANE en Chine. Les défenderesses, en tant qu’opérateurs de l’industrie cosmétique, avaient nécessairement connaissance de ces produits et ont malgré tout fabriqué et commercialisé des produits fortement similaires. Ceci démontre leur mauvaise foi et leur volonté manifeste de bénéficier de la réputation des produits L’OCCITANE.
Ces circonstances ne sont pas sans effet, puisque c’est sur cette base notamment que les juges ont décidé de fixer un montant d’indemnisation extrêmement élevé (9 millions de yuans), allant bien au-delà du plafond légal d’indemnisation de 5 millions de yuans.
Les défendeurs ont eu beau se prévaloir d’arguments tels que la courte durée de commercialisation des produits incriminés, ou encore le prix de vente très bas et donc les faibles bénéfices réalisés à cette occasion.
Les juges, qui n’étaient pas en mesure de déterminer avec précisions les bénéfices habituellement réalisés par Laboratoires M&L sur les lotions Sakura et donc les pertes subies par la commercialisation des produits contrefaisants, se sont néanmoins reposés sur :
- les bénéfices réalisés par les sociétés défenderesses qui étaient si élevés qu’ils dépassaient nécessairement le plafond légal d’indemnisation en la matière ;
- la réputation des produits de la série M&L Sakura auprès du public chinois ;
- l’évidente mauvaise foi des sociétés défenderesses ;
- le coût élevé des sommes dépensées par Laboratoires M&L pour faire valoir ses droits ;
- et donc la « gravité » de la contrefaçon au vu des circonstances de l’affaire.
Cette affaire est une belle illustration des affaires dans lesquelles les juges ont la possibilité de fixer discrétionnairement le montant de l’indemnité au vu des circonstances de l’affaire.
La Cour populaire suprême de la République populaire de Chine n’a jamais publié de lignes directrices sur la détermination du montant de l’indemnisation. Cependant, conformément à l’article 16 des « Opinions de la Cour populaire suprême […] en matière de propriété intellectuelle dans la situation économique actuelle » publiées par la Cour populaire suprême en 2009, lorsqu’il est difficile de déterminer avec certitude le montant des pertes subies ou des bénéfices réalisés du fait de la contrefaçon, mais que les circonstances de l’affaire prouvent que ces montants dépassent à l’évidence le montant de l’indemnisation légale, l’indemnisation peut être déterminée au-dessus de cette limite. C’est exactement ce qui a été appliqué dans cette affaire.
Cette ouverture dans la fixation de l’indemnité a pour objectif de protéger au mieux les intérêts des titulaires de marque victimes de contrefaçon, tout en gardant un effet dissuasif sur les contrefacteurs.
Article rédigé par Fujuan DAI