2018 a été une année de double victoire pour la société française Dassault Systèmes, qui gagne deux procès en Chine pour contrefaçon de son logiciel CATIA, avec un double record des dommages et intérêts octroyés par la Cour de Shanghai.
La société Dassault Systèmes (que nous appellerons « Dassault » dans la suite), est connue comme éditeur de logiciels spécialisé dans la conception 3D, le maquettisme numérique 3D et les solutions pour la gestion du cycle de vie d’un produit (PLM). En particulier, Dassault est l’auteur du célèbre logiciel de conception assistée par ordinateur CATIA. Mondialement reconnue pour les logiciels capables de développer des avions militaires et civils, Dassault est dorénavant également célèbre en Chine pour avoir battu le record de dommages-intérêts en contrefaçon de logiciel devant la Cour de la propriété intellectuelle de Shanghai.
Plus précisément, le record a été battu deux fois en une seule année (2018), avec à chaque fois un montant de dommages et intérêts qui s’élevait respectivement à 9 millions de yuan (environ 1,2 millions d’euros) et 15 millions de yuan (environ 2 millions d’euros). Selon le livre blanc publié récemment par le Bureau d’information du Conseil d’État, « l’initiative de la Chine est de renforcer la protection de la propriété intellectuelle ce qui est important pour améliorer le système de protection des droits de propriété et pour améliorer la compétitivité économique de la Chine ». On peut constater que les sanctions relativement sévères dans les affaires de contrefaçon récentes vont dans le sens de cette initiative de la Chine.
Dans cet article, nous allons revoir ensemble les deux affaires de contrefaçon de logiciel, intentées par le premier éditeur de logiciel français en Chine.
Dassault vs Zhidou
Zhidou Electric Vehicle Co., Ltd. (« Zhidou » ci-après), créée en 2006, est l’une des plus anciennes entreprises en Chine à se lancer dans le secteur des véhicules à énergies nouvelles. À la fin 2017, Zhidou avait vendu un total de 100 672 véhicules électriques dans 20 pays du monde, ce qui fait de Zhidou la plus grande marque chinoise de véhicules électriques exportée à l’étranger.
En 2016, Dassault considère que Zhidou a illégalement copié, installé et utilisé à titre commercial le logiciel « CATIA V5 R20 », protégé par le droit d’auteur, sur les ordinateurs situés dans les locaux commerciaux du district de Jiading, à Shanghai.
En février 2017, Dassault dépose une plainte contre Zhidou auprès du corps administratif chargé de l’application de la loi sur le marché culturel de Shanghai, qui procède à une inspection sur place le même mois et qui constate que logiciel CATIA en question est effectivement installé sur 8 ordinateurs.
Quelques mois plus tard, le corps de police impliqué ordonne des sanctions à Zhidou pour violation des règlements relatifs à l’administration de la protection des logiciels informatiques. Un accord amiable est établi sur la base d’un contrat de licence du logiciel entre Dassault et Zhidou. Cependant, le contrat n’a pas été exécuté par le défendeur comme prévu par l’accord.
Pour cette raison, Dassault demande au tribunal de la propriété intellectuelle de Shanghai de procéder à la saisie-contrefaçon dans les locaux commerciaux du défendeur et de conserver les preuves. Conformément à cette demande, et suite à des contrôles aléatoires des ordinateurs concernés, le tribunal conclut que le logiciel CATIA était installé sur tous les ordinateurs dans les locaux de Zhidou, soit un nombre total de 73. Un jugement de première instance a été rendu en mai 2018 ordonnant à la société Zhidou de cesser la violation du droit d’auteur et de verser des dommages et intérêt d’un montant de 9 millions de yuan. Il s’agit d’un montant de dommages et intérêt le plus élevé depuis la création du tribunal de la propriété intellectuelle de Shanghai.
Zhidou a fait appel devant la Cour populaire supérieur de Shanghai pour motif d’indemnisation trop élevée ordonnée par la première instance. En décembre 2018, un jugement de deuxième instance a été rendu, maintenant le montant octroyé par la première instance.
Dassault vs Tongjie
Shanghai Tongjie Technology Co.,Ltd (dénommée « Tongjie » ci-après) est une société indépendante d’ingénierie de conception automobile qui est spécialisée dans le développement de véhicules automobiles. Fondée en 1999, la société a mis en place de nombreux processus de conception et de développement d’ingénierie et de normes techniques d’ingénierie de conception.
S’agissant d’un logiciel difficilement contournable dans le métier de conception d’automobile, CATIA est également un outil déployé de façon significative par Tongjie, ce qui n’est guère un secret pour le public car Tongjie a exigé, dans des annonces de recrutement pour divers postes en ligne, la capacité à utiliser ce logiciel…
Ayant connaissance de telles annonces de recrutement mentionnant leur logiciel phare, Dassault a eu des raisons de soupçonner que Tongjie utilise de nombreuses séries du logiciel de manière illégale. La société française a donc déposé une plainte devant le tribunal de la propriété intellectuelle de Shanghai, et demandé une saisie-contrefaçon accompagnée d’une conservation des preuves.
La saisie a eu lieu en mai 2017 dans les bureaux du défendeur. 10% des 180 ordinateurs ont été contrôlés. Sur les 18 ordinateurs tirés au sort, 14 possèdent des enregistrements d’une installation du logiciel CATIA, et 13 parmi eux possèdent des traces de suppression de celui-ci.
Le tribunal de Shanghai a rendu un jugement de première instance en juin 2018 selon lequel Tongjie est condamné à verser un montant de dommages et intérêt qui s’élevé à 15 millions de yuan à Dassault Systèmes pour violation de droit d’auteur. Ce montant devient le nouveau record de dommages-intérêt ordonné par le tribunal de Shanghai en matière de contrefaçon de logiciel.
Force est de constater que les controverses des deux procès Dassault ont des points communs intéressants
Calcul de dommages-intérêts
Les montants de dommages-intérêts dans ces affaires sont beaucoup plus élevés que le montant maximum théorique pouvant être accordé dans un litige de droit d’auteur, prévu par la loi sur le droit d’auteur dans le cas où la perte subie est difficile à évaluer.
En effet, selon l’article 49 de cette loi, « les atteintes au droit d’auteur doivent être indemnisées par le contrefacteur conformément à la perte réelle du titulaire ; si la perte réelle est difficile à calculer, une indemnité peut être accordée en fonction des gains illégaux du contrefacteur… Lorsque la perte effective du titulaire du droit ou le gain illégal du contrefacteur ne peut être déterminée, le tribunal populaire accorde une indemnité inférieure à 500 000 RMB en fonction des circonstances de l’infraction. »
Dans les deux décisions rendues, le juge a souligné que, « bien que la perte réelle du demandeur et le revenu illégal du défendeur soient difficiles à déterminer, la preuve existante fournie par le demandeur peut prouver que la perte du demandeur résultant de la violation excède la limite supérieure du montant de l’indemnisation prévu par la loi, fixé à 500 000 yuans. La preuve de l’ensemble de l’affaire est basée sur le prix de vente du logiciel convenu dans le contrat de vente soumis par les deux parties. »
Ainsi, le juge a appliqué le nombre de séries de logiciel installés, 73 dans l’affaire « Zhidou » et 160 dans l’affaire « Tongjie », et le prix de vente du logiciel qui était à environ 200 mille yuan (environ 26 mille euros) par série.
Cela confirme qu’il est important, en cas d’action en contrefaçon en Chine, de pouvoir justifier concrètement la perte subie pour que les montants octroyés dépassent les montants théoriques mentionnés dans la loi lorsque le préjudice n’est pas déterminable. Il faut donc prouver le prix de vente du produit ainsi que le nombre de copies illégales, ce pour quoi il est recommandé de procéder à une saisie-contrefaçon préalable.
Prise en considération de la mauvaise foi de la part du défendant
Dans chaque décision rendue, le juge a considéré que la mauvaise foi de la part du défendeur était à prendre en considération pour le calcul des dommages-intérêts.
Plus précisément, dans l’affaire « Zhidou », le juge a souligné le fait que non seulement le défendeur n’a pas exécuté le contrat de vente tel que prévu dans l’accord amical, en plus il a continué l’acte de contrefaçon en utilisant un nombre de séries du logiciel (73 séries, selon la saisie-contrefaçon) beaucoup plus important que lors de la première inspection (8 séries, selon la première inspection). Dans l’affaire « Tongjie », le juge a considéré que « le défendeur, en tant que sujet commercial engagé dans le secteur de la conception automobile, devrait connaitre le détenteur des droits d’auteur du logiciel en cause ainsi que son utilisation légale. »
En ce qui concerne la destruction des éléments de preuve mise en œuvre par Tongjie avant l’intervention de la saisie-contrefaçon, il semble qu’elle n’ait pas été considérée comme un acte de mauvaise foi, mais comme un indice poussant le tribunal à présumer l’infraction reprochée, c’est-à-dire que le logiciel CATIA installé sur les ordinateurs était effectivement le logiciel que Dassault avait revendiqué dans l’affaire.
Ces deux décisions sont encourageantes pour montrer la préoccupation actuelle de la Chine à réduire la contrefaçon de logiciel, en supposant que Dassault arrive à récupérer réellement les sommes dues. Par ailleurs, elles permettent de mettre à nouveau en avant la tendance des Cours spécialisées en PI à augmenter les montants des dommages et intérêts (voir par exemple notre article « Le cas clé USB : record de dommages et intérêts par Pékin »).
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