La Cour de la propriété intellectuelle de Guangzhou (l’une des trois Cours de propriété intellectuelle en Chine avec celles de Pékin et Shanghai) a émis le 22 juin 2016 sa première injonction préliminaire depuis sa création en 2014. C’est le célèbre Christian Louboutin qui en a bénéficié. Une affaire intéressante pour comprendre l’octroi d’injonction préliminaire en Chine.
Tout commence en 2015, lorsque Monsieur Christian Louboutin obtient l’enregistrement de trois brevets de dessin en Chine (« Design patent ») protégeant l’aspect esthétique d’un rouge à lèvre.
En 2016, avant de mettre ses produits sur le marché, Christian Louboutin se rend compte que les sociétés Guangzhou Verteam Trade Co., Ltd. et Guangzhou Benefit Cosmetics Co., Ltd. (ci-après les défendeurs) fabriquent et commercialisent en Chine neuf modèles de rouge à lèvres copiant ceux protégés par ses brevets de dessin.
Afin de faire cesser cette atteinte le plus rapidement possible et avant d’attaquer ces sociétés en contrefaçon, Christian Louboutin saisit la Cour de propriété intellectuelle de Guangzhou (l’une des trois récentes cours spécialisées, voir notre article « Cours chinoises spécialisées en PI, premiers retours »).
Et c’est le 22 juin dernier que cette Cour émet en faveur de Christian Louboutin sa première injonction préliminaire, c’est-à-dire une décision rendue avant un litige en contrefaçon qui oblige un supposé contrefacteur à arrêter ses actes de contrefaçon afin d’éviter des dommages irréparables pour le titulaire ou le risque que les preuves soient détruites.
Solution très proactive contre une atteinte à des droits de propriété intellectuelle (équivalente à nos mesures provisoires en France), cette injonction préliminaire a fait l’objet d’une étude précise de différents critères par la Cour, ce qui peut s’avérer très instructif pour les déposants en Chine :
1. Les brevets de dessin de Christian Louboutin sont-ils valables et stables ?
Afin de remplir cette première condition, Christian Louboutin a soumis à la Cour les notifications d’octroi de protection, des copies du registre des brevets et les rapports d’évaluation de ses trois brevets de dessin.
La Cour a considéré que les brevets de dessin de Christian Louboutin sont valables et stables.
2. L’activité des défendeurs est-elle une atteinte aux brevets de dessin de Christian Louboutin ?
Très logiquement, pour que la Cour décide de faire cesser immédiatement l’activité litigieuse, il faut que cette dernière porte atteinte aux droits du demandeur.
Il n’est toutefois pas nécessaire de prouver une atteinte effective mais simplement un risque d’atteinte.
Dans le cas qui nous occupe, la Cour a estimé que les produits exploités font partie du champ de protection des brevets de dessin et qu’il existe donc bien un risque d’atteinte à ces droits.
3. Les droits de Christian Louboutin seraient-ils mis à mal de manière irréparable si une injonction préliminaire n’était pas émise ?
Il s’agit ici de prendre en compte des éléments très concrets de l’exploitation des produits litigieux et de l’activité du demandeur.
La renommée du demandeur, la solvabilité du défendeur ou la possible évaluation des dommages et intérêts sont des exemples d’indices pris en compte.
En l’espèce, les défendeurs n’ont pas fourni les informations utiles pour déterminer leur solvabilité et les profits engendrés par la vente des rouge à lèvres litigieux.
Par ailleurs, le fait que les rouges à lèvres litigieux soient vendus 270 RMB pièce (soit environ 37 Euros) alors que le produit de Christian Louboutin est vendu 600 RMB pièce (soit environ 83 Euros) empêche cette dernière de fixer librement ses prix et l’oblige même à les baisser.
De la même manière, les nombreuses ventes de rouge à lèvres litigieux raccourcissent le cycle de vie du produit breveté.
La Cour en déduit qu’il existerait effectivement un dommage irréparable pour Christian Louboutin si l’injonction préliminaire n’est pas émise.
4. Les pertes des défendeurs du fait de l’injonction préliminaire seraient-elles plus ou moins importantes que celles de Christian Louboutin si cette injonction n’était pas émise ?
Il s’agit de mettre en balance les intérêts économiques des deux parties car l’injonction préliminaire va avoir d’importantes conséquences.
Ici, la Cour estime que les pertes des défendeurs relatives à la fabrication, la publicité et la fabrication des produits seraient moins importantes que celles de Christian Louboutin. En effet, cette société perdrait les budgets engagés pour la recherche et développement et la publicité, mais elle subirait également des pertes dues à la vente de ses produits à des prix plus bas et à la perte de parts de marché.
5. L’injonction préliminaire heurtera-t-elle l’intérêt général ?
Les produits en cause étant des cosmétiques et les conséquences de l’injonction étant majoritairement économiques pour les parties, il a été considéré qu’il n’y aurait pas atteinte à l’intérêt général si l’injonction était émise par la Cour.
6. Quel est le montant de la garantie devant-être constituée par Christian Louboutin ?
L’article 66 de la loi chinoise des brevets prévoit que le demandeur doit constituer une garantie lorsque la Cour est saisie en vue d’obtenir une injonction préliminaire.
Cela permet non seulement d’éviter les demandes d’injonctions formulées sans fondement suffisant, mais également de compenser le dommage du défendeur si la décision au fond ne reconnaît finalement pas l’existence d’une contrefaçon.
En l’espèce, il a été décidé que Christian Louboutin devait constituer une garantie d’un million de RMB (soit environ 138 000 Euros).
La Cour de Guangzhou a donc décidé d’accueillir la demande de Monsieur Louboutin et a émis une injonction préliminaire qui a pris ses effets immédiatement. Les sociétés Guangzhou Verteam Trade Co., Ltd. et Guangzhou Benefit Cosmetics Co., Ltd. ont dû cesser la vente de leurs modèles de rouge à lèvres.
Nous verrons si une contrefaçon sera finalement reconnue.
Il est assez rare que des injonctions préliminaires soient accordées mais dans la mesure où elles permettent la protection des intérêts des titulaires de droits de propriété intellectuelle, nous ne pouvons qu’espérer qu’elles soient davantage démocratisées et voir ainsi l’innovation chinoise à la hausse.
Article rédigé par Mathilde ESCUDIER