L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), en collaboration avec l’Université Cornell et l’INSEAD, a rendu son classement annuel de l’Indice mondial de l’innovation le 15 août dernier. Fait marquant cette année, la Chine intègre pour la première fois le groupe des 25 nations les plus innovantes. Cette 25ème place obtenue par la Chine est le fruit d’un changement de stratégie industrielle opéré il y a maintenant plus de 20 ans, et d’un accroissement de ses efforts en recherche et développement (R&D) après la crise de 2009. Pour continuer à progresser dans le classement de l’OMPI, la Chine s’apprête à améliorer la qualité de son innovation.
L’expression est classique, la Chine contemporaine a longtemps été « l’usine du monde ». Cette comparaison n’est pas devenue fausse : le pays crée aujourd’hui 16 % de la valeur industrielle mondiale et est devenu le 1er exportateur mondial en 2009 avec 1 900 milliards de dollars d’exportations. Cette stratégie de développement a porté ses fruits grâce notamment à une main d’œuvre bon marché, une monnaie faible et des zones franches. Ainsi, les multinationales du monde entier ont délocalisé leurs usines en Chine, avec comme seule contrepartie un transfert de technologie. Cependant, si la productivité de cette « usine du monde » est remarquable, grâce notamment à une répartition définie des missions entre les différents acteurs du monde industriel et scientifique chinois, ce cloisonnement semble avoir beaucoup freiné l’innovation en Chine. En effet, d’une façon générale, si l’innovation est souvent provoquée, c’est-à-dire le fruit de colloques, de centres R&D ou plus largement de missions aux objectifs définis, elle peut également être spontanée. Dans ce dernier cas, elle naît d’une culture de l’innovation, du croisement des points de vue, de l’acceptation de chemins tortueux voire de l’échec. Au vu de ces critères, la Chine était assimilée à un excellent imitateur, mais qui avait du mal à innover par lui-même.
La Chine, et son économie administrée, a depuis décidé de diversifier son rôle dans la mondialisation. Elle a lancé un plan quinquennal en 2010 sur le thème de l’innovation en investissant plus de 1000 milliards de dollars dans plusieurs secteurs stratégiques : les énergies nouvelles, les biotechnologies, les voitures à propulsion alternative, les technologies de l’information de nouvelle génération, les produits manufacturés haut de gamme, les matériaux de pointe et les technologies vertes. Par là même, elle a permis, presque à elle seule, de maintenir le volume des investissements mondiaux en R&D. En effet, un deuxième aspect important du rapport de l’OMPI est la moindre progression des investissements en R&D (+ 4% en 2014) par rapport à la progression d’avant 2009 (+ 7% en moyenne). Parallèlement à ces lourds investissements dans les grands groupes chinois, la Chine a réduit les transferts de technologies étrangères et a soutenu les PME. Bien lui en a pris car, en Chine, les PME représentent 99% des entreprises. Celles-ci génèrent 60% du PIB et des revenus fiscaux, et emploient au total près de 80% de la population active chinoise. Elles jouent donc un rôle majeur dans l’augmentation des recettes fiscales, dans la création de nouveaux emplois et dans l’amélioration de la structure de l’économie. De plus, elles sont moins soumises à des risques de corruption. De cette manière, les PME furent un très bon levier pour améliorer l’innovation en Chine puisque selon une déclaration de Miao Wei en 2012, le ministre chinois de l’industrie et des technologies de l’information, les petites et moyennes entreprises (PME) seraient à l’origine de 65% des brevets du pays ainsi que de 75% des innovations d’entreprise, et produiraient 80% des nouveaux produits.
Aujourd’hui, la Chine est le leader mondial en matière de délivrance de brevets d’après le cabinet d’études de Thomson Reuters. Enfin, plus significatif encore, la Chine est le troisième pays déposant de demandes PCT, de même que ZTE Corporation, entreprise chinoise, est la troisième entreprise au monde en termes de dépôts PCT. En outre, relevons que les planificateurs centraux souhaitent à présent tripler le nombre de brevets d’ici à 2020 et accroître encore les budgets R&D pour, à terme, atteindre le niveau américain de 2,8 % du PIB, avec l’espoir que toutes ces mesures feront de la Chine une superpuissance de l’innovation.
Si de tels résultats sont impressionnants et fort probants, quelques ombres viennent au tableau de la nouvelle politique chinoise en matière d’innovation. Une première objection réside dans la qualité des brevets. En effet, en tête du classement 2016 de l’OMPI, on trouve quatre pays, à savoir le Japon, les États‑Unis d’Amérique, le Royaume-Uni et l’Allemagne, qui sortent du lot notamment en ce qui concerne la “qualité de l’innovation”, un indicateur qui tient compte de la qualité des universités, du nombre de publications scientifiques et du nombre de dépôts internationaux de demandes de brevet. Le critère de la « qualité de l’innovation » est, selon ce classement, important pour améliorer son rang. De plus, on remarque que cet indicateur attache une importance aux dépôts étrangers. Or l’Office national chinois délivre beaucoup de brevets mais peu sont étendus par les entreprises à l’étranger, ce qui interroge dans une pratique industrielle aujourd’hui mondialisée dont la Chine, et ses entreprises, sont aujourd’hui un acteur majeur.
Par ailleurs, certes la Chine dépose beaucoup de demandes de brevet mais les technologies brevetées sont destinées principalement à la Chine, quand elles ne sont pas tout simplement inexploitées. Si la demande est très forte pour les produits manufacturés à haute valeur ajoutée, les autres secteurs stratégiques pâtissent de l’enclavement du marché chinois.
En réalité, la Chine semble avoir actuellement une vision très productive de son innovation. Le nombre de brevets a explosé, porté notamment par les politiques d’encouragement de l’innovation et les subventions accordées aux déposants de brevet, mais se pose la question de la réelle efficacité de cette innovation et des énormes investissements de recherche de Pékin. Il se trouve que l’effort chinois de R & D porte principalement sur la recherche appliquée, et peu sur la recherche fondamentale. Cela peut être efficace économiquement, à court terme, mais nous pouvons nous demander si des ruptures technologiques peuvent en découler.
Reste qu’il serait faux de penser que la Chine n’est pas une terre d’innovation. Rappelons que la culture chinoise est associée à de grandes inventions telles le papier, la poudre à canon, l’impression ou encore la boussole. On dénombre de plus en plus d’incubateurs en Chine et de grandes marques viennent y installer leur centre R&D, n’ayant plus peur d’être copiées par les entreprises chinoises comme l’a fait récemment Audi, mais aussi conscientes que la Chine va continuer à se donner les moyens d’innover. Ainsi, tout semble aujourd’hui réuni pour que la Chine (re)devienne une terre propice à l’innovation, et nous pouvons nous attendre à ce que la Chine prenne rapidement des places dans le groupe des nations les plus innovantes.
Article rédigé par Jean-Baptiste PAUL, du cabinet LLR