Suite au dépôt frauduleux de la marque « Assassin’s Creed » en caractères chinois, Ubisoft gagne une action en invalidation sur la base d’un nom de jeu. Une affaire qui montre à nouveau l’avancée de la lutte contre les dépôts frauduleux en Chine.

Protection de nom de jeu en Chine

Suite au dépôt frauduleux de la marque « Assassin’s Creed » en caractères chinois, Ubisoft gagne une action en invalidation sur la base d’un nom de jeu

Ubisoft
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Comme vous le savez probablement, « Assassin’s Creed » est un jeu vidéo développé et commercialisé par la société Ubisoft. Depuis son lancement en 2007, il a connu un très grand succès. Un succès dont a voulu profiter la société Hongkongaise Lion Rock qui a déposé entre 2009 et 2019 plus de cent marques composées soit du nom « Assassin’s Creed » en caractères latins ou chinois, soit du logo ou de dessins du jeu. Parmi ces dépôts, le nom du jeu en caractères chinois a été déposé en classe 25 désignant les produits de vêtements. Ce dépôt frauduleux, qui est manifeste sur le plan moral, n’est pourtant pas évident à attaquer sur le plan juridique car aucune loi ni aucun règlement ne prévoit la protection d’un nom de jeu en Chine et le principe de mauvaise foi n’est pas directement applicable à lui seul auprès des autorités chinoises.

Ubisoft a déposé une action en invalidation à l’encontre de la marque constituée du nom du jeu en caractères chinois. Dans le cadre de cette procédure, la société a démontré sa notoriété en matière de jeux vidéo afin de faire comprendre sa dimension internationale à l’autorité en charge de cette procédure, le TRAB (Trademark Review and Adjudication Board). Elle a également apporté des preuves de la popularité du jeu Assassin’s Creed afin de souligner l’importance que cette affaire représente tant pour elle que pour le public chinois.

Nous vous proposons de revenir sur la stratégie d’Ubisoft dans cette affaire qui nous montre à nouveau l’avancée de la lutte contre les dépôts frauduleux en Chine. Trois arguments ont été mis en avant en tenant compte de l’évolution de la jurisprudence et de la politique actuelle de l’Office chinois des marques, et cette stratégie s’est avérée payante puisque Ubisoft a obtenu gain de cause.

  1. Qualification du nom de jeu en nom d’œuvre de droit d’auteur

Le premier argument a consisté à qualifier le nom du jeu d’un nom d’œuvre de droit d’auteur, conformément à l’interprétation judiciaire n°2017-2 adoptée par la Cour suprême chinoise. Cette interprétation judiciaire prévoit la protection des noms d’œuvres de droit d’auteur connus pendant la durée de protection des droits d’auteur des œuvres si l’utilisation du nom de l’œuvre à titre de marque risque d’induire le public en erreur en ce qui concerne la relation entre l’utilisateur de la marque et le titulaire des droits d’auteur. Sur ce point, il a été crucial de prouver la popularité du nom de jeu en Chine.

  1. Droit de character merchandising

Ubisoft a également invoqué la théorie de character merchandising, un concept qui vient du droit américain, et qui consiste notamment à protéger les noms de personnages fictifs. Appliqué dans l’affaire Kungfu Panda, ce concept n’existe pourtant pas dans les lois chinoises, ce qui fait que son invocation directe risque d’être d’attaquée par l’adversaire pour défaut de motif légal. Par conséquent, Ubisoft a argumenté sur l’existence d’intérêts commerciaux légitimes derrière un nom de jeu populaire et avancé que le dépôt de ce nom de jeu constituait un acte de parasitisme (free-riding)[1], pratique interdite dans le cadre de la lutte contre les dépôts frauduleux et la concurrence déloyale, en invoquant deux affaires connues : 007 JAMES BOND et Team Beatles.

Dépôt frauduleux pour squattage de marques

Enfin, le troisième argument avancé par Ubisoft concernait le dépôt massif des marques des tiers effectué par son adversaire. Face aux dépôts frauduleux, l’Office des marques et les tribunaux chinois ont développé ces dernières années une jurisprudence selon laquelle le dépôt massif de marques de tiers est illégal même si les produits désignés par le dépôt frauduleux ne sont pas similaires aux produits de la victime. Pour cela, ils se fondent sur l’article 44 alinéa 1 de la loi des marques chinoise qui interdit des dépôts réalisés de manière trompeuse ou d’autres manières inappropriées. Pourtant, cette jurisprudence s’applique, en général, au cas où le dépôt massif concerne plusieurs victimes et, dans l’affaire Victoria’s Secret, le tribunal a refusé d’appliquer cette jurisprudence car le déposant en question a déposé cinq marques de la même victime. Cependant, et comme vous pouvez le voir régulièrement sur notre blog, l’évolution de la politique de l’Office chinois et des tribunaux est très favorable à la lutte contre les dépôts frauduleux[2]. En apportant la preuve du dépôt par Lion Rock de 145 marques composées de son nom de jeu ou logo, Ubisoft a affirmé que ces actes avaient de graves conséquences pour le bon ordre de l’enregistrement de marques en Chine et a soutenu la mauvaise foi de Lion Rock.

Une stratégie qui s’est avérée payante pour Ubisoft

L’Office chinois de la propriété intellectuelle a donné raison à Ubisoft en déclarant invalide la marque en question. Dans sa décision, le TRAB explique qu’elle est motivée par le fait que la marque est identique au nom de jeu d’Ubisoft et a été déposée par des moyens inappropriés.

Cette affaire nous montre à nouveau que la lutte contre les dépôts frauduleux est prise très au sérieux par les autorités chinoises, qui étendent leur protection même lorsque le plaignant ne peut invoquer le risque de confusion (les produits ou services n’étant pas similaires) ou lorsque le signe usurpé n’est pas une marque dans le sens courant du terme.

[1] voir Shujie Feng, Céline Thirapounnho, Audrey Drummond, « Application en Chine du droit de la concurrence déloyale et du parasitisme: un complément important au droit de la propriété intellectuelle », Propriété industrielle, septembre 2019

[2] voir Shujie Feng, « Lutte contre les dépôts frauduleux, lutte contre la contrefaçon et lutte contre trademark troll —- Le triple objectif de la quatrième révision de la loi chinoise des marques », Cahiers des droits de propriété intellectuelle, Vo. 1, 2020, à paraître

Article rédigé par Shujie FENG