Les prémices du régime des brevets chinois

Nous vous proposons aujourd’hui de nous intéresser aux prémices de la réglementation des brevets en Chine grâce à l’extrait d’un article intitulé « Evolution du Droit Chinois des Brevets : 1984-2015 » rédigé par Shujie Feng, associé du Cabinet LLR China et paru en avril dernier dans la Revue Francophone de la Propriété Intellectuelle. Cette revue avait déjà fait l’objet d’un précédent article consultable ici.

Le régime chinois des brevets fut initialement établi par la loi de 1984 dans un contexte bien particulier puisqu’il nous plonge dans la période de réforme post-révolution culturelle. Ce retour sur l’histoire de la création du régime des brevets en Chine est à notre sens intéressant puisqu’il nous permet de comprendre l’esprit qui présidait à son adoption.

Le droit de propriété intellectuelle est initialement importé artificiellement dans la société chinoise par les révolutionnaires ou réformateurs à la fin du XIXe siècle. Les gouvernements suivants ont ainsi accepté de l’intégrer à l’ordre juridique chinois.
Après la fondation de la République Populaire de Chine (RPC) en 1949, le nouveau gouvernement a abandonné toutes les législations de l’ancien régime et a élaboré le régime des brevets pour protéger et promouvoir l’innovation technologique, lequel régime est fortement empreint de l’idéologie communiste. Après 1979, la nouvelle politique de réforme et d’ouverture a apporté des changements radicaux dans la société chinoise, notamment, en ce qui concerne le régime des brevets. C’est avec la loi de 1984 que la Chine établit le régime actuel du droit des brevets, qui évolue ensuite en corrélation avec les relations internationales et le développement économique et technologique de la Chine […].

La naissance de la loi de 1984
À la fin de l’année 1978, le Parti communiste chinois (PCC) déclara la politique de réforme et d’ouverture lors de la 3e Assemblée plénière du 11e Comité central (Shi Yi Jie San Zhong Quan Hui). Les régimes politique, économique et juridique furent ainsi rétablis dans tous les domaines.
Le nouveau régime de propriété intellectuelle fut ainsi créé en tant que fruit de la politique de réforme et d’ouverture. La Commission nationale de la science mena dans un premier temps une investigation sur l’établissement du régime des brevets en Chine. Le Groupe de rédaction de la loi sur le droit des brevets fut ensuite constitué en mars 1979. La loi sur les joint-ventures de 1979 mentionnait d’ailleurs le droit de propriété intellectuelle en tant que droit incorporel. La même année, furent signés un accord sino-américain de coopération en matière de physique et d’énergie (Zhong Mei Gao Neng Wu Li Xie Ding) et un accord sino-américain du commerce (Zhong Mei Mao Yi Xie Ding), aux termes desquels la Chine avait l’obligation de protéger les droits de propriété intellectuelle, y compris notamment le brevet d’invention. Les travaux sur la loi des brevets ont ainsi débuté conjointement avec une initiative interne et sous l’influence externe.

En janvier 1980, le gouvernement chinois approuva le « Rapport sur la proposition de l’établissement du régime des brevets en Chine » et créa l’Office des brevets de Chine. La légitimité du régime des brevets en Chine fit pourtant l’objet de débats acharnés. Le projet de loi fut même suspendu en raison de l’opposition des multiples services du gouvernement. En septembre 1982, le gouvernement prit finalement sa décision: «La Chine doit établir le régime des brevets pour son développement à long terme». Néanmoins, le projet de loi sur le droit des brevets devait toujours faire face à une opposition. Lors de la discussion de la loi de 1984, certains étaient toujours d’avis qu’instaurer un régime des brevets équivalait à un monopole et à un blocage de l’exploitation de la technologie, ce qui était un acte de nature capitaliste ne devant pas être introduit en Chine, pays socialiste.

De notre point de vue, le gouvernement chinois prit une décision judicieuse en établissant le régime des brevets. Le régime du droit de propriété intellectuelle est indispensable à la construction et au développement d’une économie de marché. Il permet la stimulation des innovations technologiques, moteur dynamique du développement économique. De plus, la politique d’ouverture nécessitait aussi l’existence du régime du droit de propriété intellectuelle pour les échanges technologiques et commerciaux avec le reste du monde.

Ainsi fut promulguée la loi sur le droit des brevets le 12 mars 1984. Cette loi créa le régime actuel des brevets chinois. Elle fut aussi la première loi chinoise sur le droit des brevets qui put s’appliquer sur le territoire chinois dans un contexte propice.
Bien que ce régime moderne des brevets eût été installé en Chine avec deux siècles de retard par rapport au droit français, c’était un régime d’assez bonne qualité qui faisait référence aux droits des brevets des principaux pays développés.

Le régime des brevets défini par la loi de 1984
La loi de 1984 comportait tous les éléments essentiels d’un régime moderne de brevets et concernait aussi bien les conditions d’obtention du brevet que la protection des droits de brevet.
Sur les conditions d’obtention du brevet, la loi de 1984 instituait, d’une part, les trois conditions de brevetabilité largement reconnues au plan mondial, à savoir la nouveauté, l’activité inventive et l’application industrielle, et, d’autre part, la procédure de l’examen préalable.

S’agissant de la protection des droits de brevet, la loi de 1984 prévoyait des droits exclusifs d’exploitation de l’invention, à l’exception du droit d’importation et du droit de l’offre à la vente. Le titulaire du brevet avait aussi le droit de céder ou de concéder son invention aux tiers. De plus, étaient prévues des exceptions et des limites aux droits des brevets, comme l‘épuisement du droit ou la licence obligatoire. Il est intéressant de noter sur ce dernier point que la loi de 1984 avait prévu un régime de licence obligatoire pour le développement planifié. Il s’agissait, en fait, de promouvoir l’application des technologies importantes pour le développement de l’économie nationale. Ces droits furent protégés par des mesures administratives, civiles et pénales.

Si l’on fait une comparaison entre la loi chinoise de 1984 et la loi française de 1791, on perçoit que la loi chinoise fut promulguée, notamment, pour promouvoir le développement technologique et économique du pays tandis que la loi française fut adoptée dans une large mesure pour protéger les droits individuels. La nouvelle politique de 1978 s’oriente essentiellement dans le développement économique, qui est son « noyau » s’appuyant sur deux « points fondamentaux » : la réforme et l’ouverture. Le régime de brevets a été essentiellement conçu pour contribuer à la mise en oeuvre de cette politique. À l’instar de la doctrine officielle soviétique, le droit était considéré comme un moyen de répression de classe, ce qui excluait le droit naturel comme source d’inspiration. Par ailleurs, le concept du droit privatif n’occupait qu’une place très modeste dans une société au régime de propriété collective où l’intérêt collectif l’emportait toujours sur l’intérêt privé.

Si la loi de 1984 fut notamment élaborée sur la base d’une initiative interne, son évolution se réalisa sous de fortes influences extérieures, ce qui fut le cas des lois de 1992 et de 2000, la mise en oeuvre de la politique d’ouverture mettant désormais le développement de la Chine en lien étroit avec le monde.

L’intégralité de l’article est disponible sur le site de la Revue Francophone de la Propriété Intellectuelle.

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Article rédigé par Shujie FENG