Première action en contrefaçon de GUI en Chine, l’interprétation de la Cour de PI de Pékin

interface graphique - GUI

Pour illustrer notre article sur la protection d’une interface graphique utilisateur (ou GUI pour Graphical User Interface) en Chine, nous vous avions fait part de la toute première action lancée après la mise en place du nouveau système de 2014, par la société chinoise Qihoo 360, leader dans le secteur des logiciels. Vous pouvez à nouveau consulter cet article ici. La Cour de propriété intellectuelle de Pékin a rendu son jugement en première instance concernant cette affaire. C’est l’occasion de revenir sur ce jugement attendu en matière de protection de GUI.

Pour rappel, cette première action en contrefaçon de GUI en Chine avait été intentée par la société Qihoo 360 à l’encontre de son concurrent, la société Jiangmin, le demandeur affirmant que ce dernier avait commis une violation de ses brevets de dessin couvrant les interfaces graphiques de logiciels antivirus. La Cour spécialisée en propriété intellectuelle de Pékin a rendu son jugement en première instance le 25 décembre 2017, dans lequel elle rejette toutes les demandes de Qihoo 360, et juge que la fourniture par Jiangmin des produits logiciels comportant le GUI litigieux ne constitue pas une violation de droits de propriété intellectuelle. Pour arriver à une telle décision, elle estime qu’un logiciel incluant un GUI, mais qui n’est pas préinstallé sur un terminal ne peut faire l’objet d’une protection de brevet. Cette décision, loin de répondre aux incertitudes qui existaient depuis la mise à place de cette protection des GUI en Chine, pose de nouvelles questions.

Dans le cadre de cet article, nous passerons en revue l’argumentaire des parties, puis nous analyserons la décision de la cour et vous fournirons certaines de nos réflexions sur l’issue de ce jugement.

Les arguments du demandeur Qihoo 360

L’un des arguments principaux de Qihoo 360 concerne le fait que la mise à disposition d’un dispositif physique contenant le GUI n’est pas une condition obligatoire à la brevetabilité du GUI. Pour ce faire, le demandeur explique que les directives d’examen des brevets de dessin doivent être interprétées différemment dans des affaires de protection de GUI. Il rappelle que la particularité de ce brevet réside dans le fait qu’il est nécessaire de représenter, sur les dessins de dépôt, le support sur lequel l’interface graphique sera perçue par les utilisateurs. Sans cela, l’interface graphique ne serait pas brevetable. Qihoo 360 explique que cette condition ne signifie pas pour autant que le support doit être physique, il est d’avis que ce support peut être constitué par un produit immatériel tel qu’un logiciel. Par ailleurs, la société explique que, même si la Cour n’est pas d’accord avec ce raisonnement, la qualification de contrefaçon par fourniture de moyens (ou contrefaçon indirecte) doit au moins être retenue à l’encontre de Jiangmin.

Rappelons que pour que la qualification de contrefaçon directe s’applique, les logiciels doivent être fournis aux utilisateurs par Jiangmin, alors que pour que la qualification de contrefaçon par fourniture de moyens soit retenue, les logiciels doivent être téléchargés par les utilisateurs, ces utilisateurs étant donc les contrefacteurs directs, alors que Jiangmin leur fournit les moyens de commettre cette contrefaçon, de sorte qu’il contribue à la violation et doit donc également être reconnu coupable de contrefaçon.

Les arguments du défendeur Jiangmin

La société Jiangmin s’est défendue en revendiquant les points suivants :

Elle explique au contraire que la protection de brevet de dessins s’applique uniquement aux produits physiques équipés de GUI. Etant donné qu’elle ne fournit qu’un logiciel avec GUI, sans dispositif physique, elle estime que la qualification de contrefaçon, directe ou indirecte, ne s’applique pas.

Elle complète son argumentaire en arguant du fait que les conditions de nouveauté et d’activité inventive ne sont pas non plus remplies, que les logiciels impliqués sont fournis gratuitement aux utilisateurs, et donc qu’aucun profit n’a été réalisé. Enfin, elle explique que son nom est clairement marqué dans l’interface graphique, afin de ne pas induire les utilisateurs en erreur.

Le jugement de la Cour spécialisée en PI de Pékin

La cour a entendu l’affaire et a décidé que le défendeur n’avait commis ni contrefaçon directe, ni contrefaçon par fourniture de moyens.

Absence de contrefaçon directe

Concernant la qualification de contrefaçon directe, la cour répond de la façon suivante aux arguments du demandeur.
Tout d’abord, elle explique qu’il n’existe pas de règle spéciale pour qualifier la contrefaçon concernant un brevet de dessin de GUI. Par conséquent, les règles générales de qualification de brevet de dessins s’appliquent à cette affaire.
Par la suite, elle indique qu’afin de déterminer si la protection du brevet s’applique ou non, il faut vérifier que deux conditions existent :

  • Le produit suspecté de contrefaçon et le produit incorporant le GUI breveté doivent être identiques ou similaires ;
  • Le GUI suspecté de contrefaçon et le GUI breveté doivent également être identiques ou similaires.

La Cour répond également au demandeur en expliquant que, si l’existence ou non d’un dispositif physique est, comme le propose le demandeur, n’a pas d’effet sur la protection, cela signifie implicitement que la portée de la protection de GUI est seulement liée à l’apparence du design et indépendante d’un produit physique, ce qui est contraire aux dispositions de la loi actuelle. La cour n’est donc pas d’accord avec ce raisonnement.

Elle conclut que, même si les interfaces graphiques sont similaires, il n’y a pas de produits similaires, le logiciel concerné ne relève donc pas de la protection de brevet de dessin, et ainsi la qualification de contrefaçon ne peut être établie.

Absence de contrefaçon indirecte

Concernant la qualification de contrefaçon indirecte, la Cour ne la retient pas non plus, pour les raisons suivantes.

Tout d’abord, l’une des conditions préalables à la qualification de contrefaçon par fourniture de moyens est que l’utilisateur doit avoir mis directement en œuvre le brevet concerné, en fabriquant, vendant ou offrant à la vente le produit contenant le GUI incriminé. Le téléchargement d’un logiciel sur un ordinateur ne suffit pas à constituer un comportement de fabrication, de vente ou d’offre de vente d’un dispositif physique, donc l’utilisateur ne peut être reconnu coupable de contrefaçon.

La cour explique également que, bien qu’il y ait effectivement la possibilité pour un utilisateur de vendre ou d’offrir à la vente un terminal sur lequel les logiciels concernés sont préinstallés, le demandeur n’a pas présenté la preuve qu’il existe une telle action, donc la qualification de contrefaçon ne peut pas non plus être retenue pour ce motif.

Enfin, étant donné que la contrefaçon directe des brevets n’est pas retenue, même si les logiciels concernés peuvent être considérés comme une partie d’un produit physique, la fourniture des logiciels concernés ne constitue pas une violation indirecte.

Nous allons suivre la réaction de Qihoo 360, qui pourrait décider de faire appel de cette décision.

Par ailleurs, il convient de noter que, concernant les demandes d’invalidation de brevets qui avaient été déposées par Jiangmin dans le cadre de sa stratégie de défense, le site internet de l’Office chinois des brevets (SIPO) nous apprend que la Commission de révision a également rendu ses décisions, jugeant que deux des brevets de l’interface graphique sont invalides.

Que penser de ce jugement de la Cour de Pékin ?

Les conclusions de la Cour, qui décide que, malgré la similarité des designs GUI, la qualification de contrefaçon ne peut être retenue, nous semblent décevantes. Le débat principal ici était de savoir si la protection conférée par un brevet GUI portait sur un logiciel ou sur un dispositif physique contenant un logiciel. La cour considère que la protection porte sur le dispositif physique et que, bien que le logiciel a été plagié, ni Jiangmin ni les utilisateurs ne portent atteinte aux brevets de dessin GUI. Ce raisonnement a pour conséquence de réduire considérablement l’étendue de protection des GUI par le brevet et de rendre difficile l’application de la protection des GUI par le brevet de dessins.

Nous sommes d’avis que, pour permettre une protection efficace des GUI par le brevet de dessins, des modifications de la loi devront être faites, afin de prévoir des règles spéciales pour ce type de brevet de dessins. A l’heure actuelle, la grande majorité des logiciels informatiques et des logiciels de téléphonie mobile auront des difficultés à obtenir une protection par le biais de leur design GUI.

Sur la base de ce jugement, dans quelles situations la protection peut-elle trouver à s’appliquer ? Nous voyons quand même au moins deux possibilités. La première concernerait des fabricants et vendeurs de terminaux, par exemple un fabricant d’ordinateurs portable ou de téléphones mobiles sur lesquels le logiciel incluant le GUI serait préinstallé.
La protection pourrait aussi s’appliquer dans le cadre d’un salon ou sur un lieu de vente, si le fournisseur de logiciels utilise ou fait une démonstration d’une telle interface graphique sur son propre stand ou son propre écran d’ordinateur. Cela paraît pourtant bien insuffisant par rapport aux besoins de protection des interfaces graphiques en Chine.

Sur bien des points, cette décision ne répond pas à nos attentes. Nous pensions également qu’elle apporterait des clarifications suite à la première action de GUI (cf. notre article précédent), concernant notamment l’indemnisation des violations de brevet GUI et l’admission de preuves collectées sur Internet. Ce n’est pas le cas puisque la cour rejette les demandes de Qihoo 360. Elle marque surtout une restriction importante au régime de protection des design GUI par le brevet de dessins, et à l’harmonisation que nous pensions en cours avec les systèmes étrangers sur ce sujet.

Article rédigé par Xin YUAN