Le cas clé USB : record de dommages et intérêts par Pékin

La Cour de Propriété Intellectuelle de Pékin établit de nouveaux records en matière d’indemnisation des victimes de contrefaçon, et condamne au paiement de la somme de 50 millions de RMB les auteurs d’une violation des droits de propriété intellectuelle.

A rebours de l’idée habituelle selon laquelle les juges chinois sont peu enclins à accorder des dommages et intérêts fondés sur la valeur réelle du préjudice subi, la Cour spécialisée dans les affaires de propriété intellectuelle de Pékin a rendu, le 18 novembre 2016, une décision qui confirme certaines tendances jurisprudentielles en la matière.

L’affaire met en présence la société Watchdata une société chinoise basée à Pékin, et spécialisée dans la fabrication et la distribution de moyens de paiement sécurisés, et la société Hengbao une société chinoise de taille moyenne, proposant également des moyens de paiement sécurisés de même nature.

Watchdata est titulaire d’un brevet portant sur des clés USB destinées à des usagers souhaitant réaliser en ligne une transaction sécurisée avec leur banque. Les revendications du brevet portent respectivement sur la clé USB elle-même et sur la méthode d’authentification de l’usager effectuant la transaction.

brevet clé usb watchdata

Watchdata a considéré que la société Hengbao, ainsi qu’une quinzaine de banques chinoises impliquées dans la distribution des produits fournis par Hengbao, contrefaisaient les revendications de son brevet, et a assigné tout ce beau monde devant la Cour de propriété intellectuelle de Pékin.

Les juges de la Cour de Pékin ont donné raison à Watchdata en qualifiant d’articles contrefaisants les clés USB elles-mêmes mises sur le marché par la société Hengbao et par les banques considérées ici comme des distributeurs, mais également la méthode d’identification proprement dite utilisée par les programmes installés en dur dans ces clés sécurisées.

L’intérêt de la décision ne porte pas selon nous sur ces premières conclusions, qui bien que contestées par les défendeurs, ne présentent a priori pas de particularités jurisprudentielles, mais bien plutôt sur la détermination et sur le montant des dommages et intérêts accordés à la Société Watchdata au détriment des contrefacteurs in solidum.

On s’arrêtera tout d’abord sur le montant de la somme octroyée au demandeur. La Cour a retenu le montant record de 49 000 000 RMB soit l’équivalent de 6,8 M€, ce qui constitue une sorte de record en la matière, à comparer aux 80 000 RMB (11 000€) attribués en moyenne dans ce genre d’affaire ces dernières années. Ce montant est en effet le montant le plus élevé accordé depuis la création de la Cour de Pékin spécialisé en propriété intellectuelle. Nous avions déjà constaté, il y a quelques mois, que la Cour de Pékin s’inscrivait dans la tendance générale d’augmentation des dommages et intérêts en Chine (voir notre article « Dommages et intérêts en brevets : un exemple de la Cour de Pékin »), le cas présent ici montre bien plus qu’une tendance, les montants octroyés sont frappants.

Quant au mode de calcul, on retiendra que le tribunal a pris en compte les éléments de preuves fournis par les accusés et fondés sur le montant des ventes et des profits réalisés par ces derniers. Ce calcul considère la mise sur le marché de plus de 4,8 millions de clés USB, assortie d’une estimation du bénéfice raisonnable pour chacune de ces ventes.

Plus intéressant encore, est le cas de trois des banques mises en accusation qui, ayant refusé de fournir ces informations, se sont vues opposer une interprétation de l’article 75 de la loi du 21/12/2001 qui prévoit que, dans ces circonstances, ce sont les éléments de preuves fournis par le demandeur à l’action qui s’imposent. Peut-être ont-elles estimé que les informations accumulées par Watchdata à leur encontre leur étaient plus favorables que la fourniture aux juges des preuves de leur agissement réels. Cette prise en compte des preuves fournies par le titulaire (à défaut du supposé contrefacteur) semble être une nouvelle tendance qui se confirme, puisque c’est le raisonnement qui a été appliqué dans la décision antérieure mentionnée plus haut.

Dernière originalité en la matière et pour la première fois dans ce genre de litige commercial, la tribunal a décidé de défrayer la société Watchdata pour les frais engagés dans cette affaire sur la base de la valorisation du temps passé par elle et par ses avocats dont l’assistance a été considérée comme nécessaire pour faire valoir ses droits, ainsi que sur la difficulté du cas, soit une somme de 1 000 000 RMB, équivalent à environ 135 000€, un montant également remarquable en Chine.

Cette décision s’inscrit donc dans la ligne des décisions antérieures dans lesquelles de manière constante et régulière les tribunaux chinois affichent leur détermination à renforcer le respect des droits de propriété intellectuelles aux yeux des acteurs étrangers comme du public chinois lui-même. Une décision qui devrait rassurer à coup sûr les brevetés soucieux de faire valoir leurs droits en Chine.

Et le Doyen Su Chi de conclure, « l’augmentation des dommages et intérêts est la seule façon de refléter la valeur de la propriété intellectuelle ».

 

Article rédigé par Georges REYNAUD du Cabinet LLRllr_new