Doucement mais sûrement !

Comment la Chine a changé son modèle de propriété intellectuelle, mais pas de la manière dont nous l’attendions.

Depuis longtemps, la Chine a la réputation d’être plus grand contrefacteur du monde. Quinze ans après avoir rejoint l’OMC, et s’être engagée à respecter l’accord ADPIC (Aspects des droits de propriété intellectuelle), elle essaie toujours d’améliorer son image.

Et la tâche n’est pas facile ! Au cours des dix dernières années, l’augmentation exponentielle des plateformes de commerce en ligne n’a contribué qu’à aggraver la situation. Une fois de plus, l’entreprise chinoise Alibaba a été mise sur la liste américaine des entreprises vendant des produits de contrefaçon. Le nombre de contrefaçons et de piratages signalés en Chine est particulièrement élevé et beaucoup de marques internationales estiment que 95 % des marchandises portant leur marque sont des contrefaçons. Réaliser une évaluation approfondie de la violation présumée de la propriété intellectuelle serait un travail sans fin, mais l’envergure de ce problème exige de prendre des dispositions urgentes.

L’Union Européenne a souvent pressé la Chine d’intensifier ses efforts dans la lutte contre la contrefaçon. En décembre dernier, la commission législative des affaires du Congrès National Chinois a publié une première version de loi portant sur le e-commerce pour commentaires du public. Une telle réforme législative est incontestablement la bienvenue, cependant ce premier texte paraît insuffisant pour traiter le cœur du problème.

Les autorités publiques doivent inciter et soutenir pleinement les coopérations commerciales, car il s’agit du meilleur moyen de développer des règles précises pour régir les procédures de notification et de retrait automatique de produits de contrefaçon ainsi que les systèmes de filtre. De plus, des initiatives de traçabilité des flux monétaires devraient être mises en place en partenariat avec les acteurs clés du système notamment le secteur de la publicité, les prestataires de service de paiement, ou encore les sociétés de transport de marchandises.

Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, qui qualifie d’ailleurs la contrefaçon de « cancer » de son entreprise, a récemment posté sur le réseau social chinois Weibo une lettre ouverte aux représentants du Congrès National Chinois et de la Conférence Consultative Politique du Peuple Chinois (CPPCC) où il appelle à des sanctions plus lourdes pour combattre les produits de contrefaçon. Sa compagnie a régulièrement intensifié les mesures  contre les contrefacteurs, notamment en exploitant les « big datas » et de l’intelligence artificielle pour remonter la piste des contrefaçons, en retirant des centaines de millions de produits chaque année et en engageant des procédures judiciaires contre les contrefacteurs. Compte-tenu de l’enjeu, ces actions restent insuffisantes, certains disent d’ailleurs que ce ne sont que des paroles en l’air sans véritable engagement concret. Cependant, les acteurs chinois concernés se font de plus en plus entendre et s’engagent dans cet immense défi, nous pouvons donc attendre avec espoir que des mesures concrètes et efficaces soient réellement prises.

Personne ne peut nier que la Chine a réalisé ces dix dernières années des progrès remarquables en matière de protection de la propriété intellectuelle. Ainsi, la proportion d’articles contrefaits venant de Chine, saisis par l’Union Européenne est passée de 74% sur la période allant de 2010 à 2014 à 41% en 2015. Un tel progrès confirme que le Congrès National Chinois est dorénavant un fervent partisan de la propriété intellectuelle. La Chine va et devra continuer à intensifier ses efforts pour développer une politique de respect de la propriété intellectuelle efficace, loyale, transparente et basée sur des pratiques exemplaires.  La communauté internationale doit pour sa part continuer à encourager et soutenir la Chine dans cette direction afin d’accélérer le processus.

La bonne nouvelle, c’est donc que la Chine croit en la propriété intellectuelle, la mauvaise qu’elle y croit tellement qu’elle s’assure que ces entreprises prennent la tête du peloton. La Chine est ainsi devenue le premier pays en nombre de brevets déposés ces dernières années. Pour la seule année 2015, 1.1 million de demandes de brevets et 2.8 millions de demandes de marques ont été déposées (viennent ensuite les Etats-Unis avec respectivement 0.6 et 0.5 millions de dépôt). Ce n’est plus un secret que les entreprises chinoises s’imposent comme des marques mondialement reconnues et développent des technologies de pointe et des modèles commerciaux efficaces.

Les acquisitions d’entreprises européennes par des entreprises chinoises, visant notamment à récupérer de lucratifs droits de propriété intellectuelle ont aussi connu une hausse importante. Les IDE (investissements directs à l’étranger) de la Chine en Europe ont atteint un montant record de 20 milliards d’euros l’année dernière, un chiffre qui devrait augmenter tant que les entreprises chinoises continuent leur politique de développement international. La propriété intellectuelle est donc un outil commercial utilisé par les entreprises chinoises pour protéger leurs investissements et leurs innovations au même titre que les entreprises européennes protègent les leurs.

Par conséquent, nous pouvons de façon réaliste anticiper une baisse des contrefaçons venant de la Chine (les contrefacteurs se déplaçant progressivement vers d’autres régions, avec une forte tendance pour l’Asie du Sud-Est). A mesure que les sociétés chinoises continuent de monter les échelons, toujours plus vite, elles sont toujours plus innovantes avec des approches toujours plus stratégiques les rendant de plus en plus compétitives par rapport aux industries européennes, ce qui les amènera à obtenir des marchés et des contrats de licences dans de nombreux secteurs. Il n’a donc jamais été aussi pertinent de construire des partenariats locaux. Doucement et prudemment, mais sûrement !

Article initialement publié dans le magazine « Off-The-Wall » de la chambre du Benelux en Chine (www.bencham.org)

Par Benoit Misonne

Bénéficiant de 15 ans d’expérience en République Populaire de Chine, Benoit Misonne est aujourd’hui nommé par l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) pour mener avec  une équipe d’experts en PI la plus grande coopération internationale de l’Union Européenne dans la région (www.ipkey.org).