Dans une affaire récente, un tribunal de Shenzhen a statué qu’une œuvre générée par intelligence artificielle pouvait être protégeable par le droit d’auteur.

Les œuvres générées par intelligence artificielle sont-elles protégeables par le droit d’auteur ?

Un tribunal de Shenzhen prend position sur cette question sensible

intelligence artificielle
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C’est une question qui fait l’objet de nombreux débats dans le monde et la Chine ne fait pas exception. En effet, traditionnellement, seules les œuvres créées par des personnes peuvent être protégées par le droit d’auteur. Selon les règles internationales et chinoises relatives à la protection du droit d’auteur les créations doivent être originales et résulter d’une activité intellectuelle humaine. Ainsi, lorsqu’une œuvre a été générée par une machine et non par un humain, la question de sa protection par le droit d’auteur peut être légitimement posée.

Vous vous souvenez sûrement de cette affaire qui avait défrayé la chronique il y a quelques années concernant le droit d’auteur des « selfies » pris par un singe avec un appareil photo appartenant à un photographe. Le photographe avait tenté de revendiquer la propriété des photographies et l’association People for the Ethical Treatment of Animals (PETA) l’avait poursuivi afin d’obtenir que la titularité du copyright soit attribuée au singe. En fin de compte, l’Office du droit d’auteur des Etats-Unis saisi de cette question avait décidé que la photographie appartenait au domaine public, car le droit d’auteur nécessite une participation humaine. Si on suit ce même raisonnement, les machines, comme les singes, ne peuvent pas être titulaire du droit d’auteur sur une œuvre. Relevons tout de même qu’une œuvre réalisée avec l’aide d’un humain reste éligible au droit d’auteur.

Dans une affaire très récente, un tribunal de Shenzhen a statué dans le sens contraire et a décidé qu’une œuvre générée par intelligence artificielle pouvait être protégeable par le droit d’auteur. Il s’agit d’une décision sans précédent dans le monde. Revenons rapidement sur les faits de cette affaire. Depuis plusieurs années, la société Tencent publie des articles produits par un robot dénommé Dreamwriter. Ce robot est un système d’écriture automatisé basé sur les algorithmes créés par Tencent. Les articles incluaient donc la mention suivante « automatically written by Tencent Robot Dreamwriter ». En 2018, une plateforme en ligne opérée par la société Shanghai Yingxun Technology a copié l’un de ces articles sur son site internet. Tencent a donc agi en justice contre cette société pour violation de son droit d’auteur. Le tribunal de Shenzhen lui a donné raison en décidant que l’articulation et l’expression de l’article en question présentaient une certaine originalité et que par conséquent l’article remplissait les conditions pour entrer dans la catégorie des œuvres écrites, et était qualifié pour obtenir la protection du droit d’auteur. Il a estimé au passage que les droits revenaient à l’entreprise qui a produit cette intelligence artificielle, en l’espèce à Tencent. Le défendeur a été condamné à retirer l’article de son site et à payer une amende.

Dans un contexte où les technologies liées à l’intelligence artificielle se développent à une vitesse fulgurante et s’appliquent à un nombre grandissant de secteurs – et notamment au secteur artistique, les législateurs et les tribunaux sont poussés à prendre position sur cette question essentielle. C’est donc une décision qui fera jurisprudence en Chine et même si elle a l’avantage d’unifier les normes de protection et fournir des orientations claires aux acteurs de l’industrie, elle n’en est pas moins contestée par certains experts qui estiment qu’elle vide le droit d’auteur de son sens et s’inquiètent des éventuelles dérives d’une telle position. En effet, cette décision pose de nombreuses questions, la première étant de savoir où tracer désormais la limite de la protection.

Article rédigé par Audrey DRUMMOND