Déclaration de Jack Ma sur les contrefaçons – la réaction de l’UNIFAB

L’information est loin d’être passée inaperçue : lors d’un discours prononcé le 15 juin dernier, Jack Ma, fondateur du géant chinois du commerce électronique Alibaba, a déclaré à la presse internationale que « les produits de contrefaçon sont aujourd’hui de meilleure qualité que les vrais produits », avant d’ajouter qu’ils sont « produits par les mêmes usines, issus des mêmes matières premières, mais n’utilisent pas le nom de la marque ».

Ces propos aux allures provocatrices ont été prononcés en réponse aux accusations de longue date, selon lesquelles Alibaba tolèrerait la vente de produits de contrefaçon sur sa plateforme de vente en ligne Taobao. Sans grande surprise, elles ont provoqué un tollé chez les associations de lutte contre la contrefaçon, et parmi elles, l’UNIFAB (Union des Fabricants) qui regroupe les entreprises françaises engagées contre la contrefaçon. En effet, alors même que les dirigeants d’Alibaba n’ont de cesse de répéter, ces derniers mois, des discours soulignant leur coopération en matière de lutte contre la contrefaçon, ces récents propos posent des interrogations quant à leur réelle volonté de s’investir dans la lutte contre le terrible marché de la contrefaçon en ligne.

Avec son autorisation, nous reproduisons ci-dessous le communiqué de presse publié par l’UNIFAB à la suite des déclarations de Jack Ma.

L’UNIFAB CONDAMNE FERMEMENT LES RECENTES DECLARATIONS D’ALIBABA SUR LA CONTREFAÇON

L’Union des Fabricants (Unifab), association française de lutte anti-contrefaçon qui fédère 200 entreprises issues de tous les secteurs d’activité, condamne des récentes déclarations de Jack Ma, président de l’une des plus grosses plateformes d’ e-commerce, Alibaba, à l’encontre des produits de contrefaçons.

Alors que, depuis de nombreux mois, Alibaba tient un discours donnant l’impression de souhaiter lutter efficacement contre la contrefaçon, notamment dans le cadre d’un dialogue constructif entamé avec l’Unifab, dont l’objectif est de trouver une solution efficace et proactive pour lutter au mieux contre les faux produits présents sur ses sites, cette déclaration suscite l’interrogation sur les réelles convictions du géant du commerce en ligne, et mêle la surprise au doute.

Pourtant des mesures réalistes, et d’ailleurs existantes sur d’autres plateformes, ont été préconisées telles que, par exemple, la mise en place de filtres dédiés à repérer et stopper les annonces frauduleuses ou encore une meilleure collaboration avec les entreprises titulaires de droits.

Les déclarations de Jack Ma, qui indique à la presse internationale que « Le problème est que les produits contrefaisants sont aujourd’hui de meilleure qualité et à un meilleur prix que les produits authentiques qui proviennent des vraies maisons… », que « Les produits proviennent exactement des mêmes usines, leur fabrication est réalisée à partir des mêmes matières premières… » et enfin que « Alibaba est le meilleur dans le monde, quand il s’agit de lutter contre la vente de contrefaçons », vont à l’encontre d’une coopération efficace dans la mesure où ces propos sont mensongers, voire calomnieux.

Il est essentiel de rappeler que les produits de contrefaçons sont illicites, qu’ils sont très souvent fabriqués dans des conditions déplorables avec des matériaux de piètre qualité, qu’ils trompent les consommateurs et peuvent être dangereux pour leur santé et leur sécurité, qu’ils portent préjudice aux économies nationales et aux efforts collectifs de développement durable, et, que leur production est souvent tenue aux mains des réseaux criminels, plus particulièrement des réseaux terroristes, comme le prouve le rapport publié par l’Unifab en janvier dernier (www.unifab.com/images/Rapport-A-Terrorisme-2015_FR.pdf).

Des chiffres, publiés officiellement par l’administration chinoise SAIC, mettent en lumière que, sur certains sites de vente en ligne en Chine, la contrefaçon dépasserait 60% des produits proposés au consommateur. Ce sujet est donc aujourd’hui une préoccupation majeure pour tous les titulaires de droit car Alibaba demeure le plus gros distributeur de faux produits en ligne.

« Je veux croire qu’Alibaba a à cœur de lutter contre ce fléau qui représente une réelle menace économique, de santé et de sécurité publique et j’encourage ses porte-paroles à manipuler précautionneusement les outils de communication. Il est essentiel de poursuivre nos efforts communs et nos discussions pour trouver la meilleure solution collaborative et endiguer la présence de faux produits sur leurs sites afin de garantir confiance et sécurité aux consommateurs.», déclare Christian Peugeot, président de l’Unifab.

Richard Yung, Sénateur des Français à l’étranger et Président du Comité National Anti-Contrefaçon (CNAC), a également réagi face à ces déclarations : « Les propos irresponsables tenus par Jack MA, qui s’apparentent à une provocation, justifient la suspension de l’adhésion d’Alibaba à la Coalition Internationale Anti-Contrefaçon (IACC). En minimisant l’impact de la contrefaçon, M. MA tente de se dédouaner de toute responsabilité, je l’appelle à rompre avec son discours ambigu et à traduire en actions concrètes son engagement en faveur de la lutte anti-contrefaçon ».

« Les dégâts dérivants de la contrefaçon sont désormais bien clair et au-delà des dommages déjà important pour l’industrie. On parle ici du futur économique et notamment de la possibilité pour les jeunes de se réaliser à travers des emplois qui seront de plus en plus liés au progrès et donc à la propriété intellectuelle. L’industrie, qui aujourd’hui souffre de la contrefaçon, pourrait ne plus exister demain. Une déclaration comparant le faux et le vrai en les mettant au même niveau est tout simplement hors de propos et ne s’inscrit pas dans la droite ligne des efforts de chacun pour protéger et défendre les produits authentiques. On doit, comme nous le faisons quotidiennement, garder un niveau d’attention élevé afin d’éviter que des idées comme celles exprimées par Jack Ma n’affaiblissent cette forme criminelle de délit », déclare Mario Peserico, président de l’Indicam, association italienne de lutte anti-contrefaçon qui regroupe plus de 150 adhérents de tous secteurs d’activité.

« Le processus d’innovation, la création de milliers d’emplois, le paiement des taxes, les exportations, la contribution aux échanges de marchandises à travers le monde… ne représentent qu’une partie de l’apport global que les marques déposées sont pour la société et l’économie. Cette valeur positive est détruite par ceux qui vendent de faux produits, en ne pensant seulement qu’à leur propre profit et peu importe s’ils mettent la vie des consommateurs en danger », déclare Rosa Lladro, présidente de l’Andema, association espagnole de lutte anti-contrefaçon.

Comme l’indique l’UNIFAB dans son communiqué, la contrefaçon a des conséquences dramatiques pour l’ensemble des acteurs de notre économie, des entreprises titulaires des droits de marque aux consommateurs, en passant par les fournisseurs et les distributeurs de vente. Nous nous rangeons à l’avis de l’UNIFAB et considérons que la justification apportée par Jack Ma selon laquelle, au-delà des problèmes de propriété intellectuelle, nous assistons actuellement à un basculement du modèle économique qui « détruit » les marques traditionnelles et révolutionne le monde entier, n’est pas réaliste, ni acceptable.

Tentative de rattrapage par Jack Ma une semaine après :

Face aux vives réactions suscitées par ses déclarations, Jack Ma revient finalement sur ses propos, dans un article publié ce 22 juin sur le site du Wall Street Journal. Il y déclare en particulier :

« Ce que j’ai dit la semaine dernière était que ces [nouvelles] tendances risquent de remettre en question le « business model » de certaines marques établies. C’est une réalité.

Je veux que vous sachiez quelle est ma position sur ce sujet : les produits de contrefaçon sont absolument inacceptables, et les marques et leur propriété intellectuelle doivent être protégées. Alibaba est uniquement intéressé dans le soutien auprès des fabricants qui innovent et investissent dans leurs propres marques. Nous avons une tolérance zéro envers ceux qui violent la propriété intellectuelle des autres. »

Jack Ma développe par ailleurs quelques lignes sur les moyens mis en oeuvre par Alibaba pour lutter contre la contrefaçon sur la plateforme, insistant sur sa volonté de lutter contre la contrefaçon et de collaborer avec les marques.

Certes, ce rattrapage est quelque peu rassurant après la déclaration tellement surprenante de la semaine dernière. Un rattrapage qui permet à Jack Ma de sauver la face, mais qui n’empêchera probablement pas d’effacer totalement les paroles prononcées, tant elles illustrent un double jeu souvent reproché à Alibaba, consistant à annoncer en surface une lutte sérieuse contre une contrefaçon, laquelle représente dans le fond un marché substantiel pour Alibaba.

Notre équipe de rédaction travaille actuellement sur un nouvel article visant à éclairer nos lecteurs sur les problèmes actuels liés à la vente de produits de contrefaçon en ligne ainsi que les différentes mesures appliquées ou à l’étude pour lutter contre ce fléau.