Quels dommages et intérêts lors d’une contrefaçon de brevet en Chine ?

La question nous est souvent posée concernant le montant des dommages et intérêts en cas de contrefaçon de brevet avérée par un tribunal en Chine. Voici quelques indications sur le sujet.

De manière générale, la Chine a la réputation d’allouer des dommages et intérêts d’un montant relativement faible. La moyenne est en effet de l’ordre de 80k RMB (11k €) par affaire, toutefois ce faible montant est fortement lié au manque de preuves utilisables par les tribunaux pour déterminer le montant des dommages et intérêts. Ainsi si l’on parvient à fournir des preuves pertinentes, l’obtention de montants conséquents est possible.

Au cours du  PIAC en septembre 2015, des juges des nouvelles Cours spécialisées en propriété intellectuelle, notamment un juge de la Cour de Canton, M. Tan, ont présenté les facteurs les plus significatifs pour les juges chinois pour déterminer les dommages et intérêts. Nous vous proposons ci-dessous une synthèse. Rappelons que trois nouveaux tribunaux spécialisés en propriété intellectuelle ont été créés en 2014 à Pékin, Shanghai et Canton.

Nous pouvons regrouper les 13 facteurs mentionnés par le juge en différentes catégories.

I – Dommages et intérêts liés au brevet concerné

  1. le type de brevet contrefait

Dans le cas où aucune preuve n’est fournie, ce qui est le cas de 80% des affaires, le montant de référence est plus élevé pour un brevet d’invention (« invention patent »), un peu moins pour un modèle d’utilité (« utility model patent ») et plus bas pour un brevet de dessin (« design patent »). En fait, cela peut s’expliquer par l’exigence d’activité inventive pour ces différents types de brevets.

Nous pouvons par ailleurs relever que pour un même type de brevet, le niveau d’activité inventive est également considéré. Plus le brevet est inventif, plus il est protégé en cas de litige et plus les dommages et intérêts peuvent augmenter.

  1. la valeur du brevet contrefait

Typiquement, le prix/profit du produit breveté et/ou contrefait est un facteur important. Par exemple, le breveté devrait fournir le plus possible de preuves pour justifier le taux de profit réalisé sur son propre produit breveté, ou bien sur celui du marché en se basant sur un rapport faisant autorité.

En revanche, le taux d’éventuelles licences n’est pas beaucoup pris en compte en pratique, notamment dans le cas où le titulaire du brevet est le responsable de la société qui concède la licence. De plus, relevons que l’enregistrement du contrat de licence auprès du SIPO (Office Chinois des Brevets) ne constitue pas une condition suffisante ni nécessaire pour que le juge prenne en compte le taux de licence dans l’évaluation des dommages et intérêts.

Il en ressort qu’il est préférable que le licencié fournisse des informations sur son produit pour démontrer une véritable application sur le marché plutôt que des preuves de licences concédées.

II – Dommages et intérêts liés à la contrefaçon

  1. le type de contrefaçon

Généralement, les dommages et intérêts sont plus élevés pour les fabricants que pour les distributeurs.

Pour les offres en vente (seules), le montant décidé est souvent relativement faible, compris entre 10k à 20k RMB.

  1. la durée de contrefaçon

La durée de la contrefaçon est un facteur crucial dans la détermination des dommages et intérêts. Par exemple, si une contrefaçon d’un brevet d’invention dure 1 an, le montant minimum s’élève à 100k RMB. Dans le cas où le taux de profit est plus élevé, même s’il n’y pas d’autres facteurs, le montant pourrait atteindre 200-300k RMB, voire 500k.

Pour démontrer la durée de la contrefaçon, une solution est que le breveté achète plusieurs fois le produit contrefait. Un corollaire de cela est que le breveté, dès qu’il a connaissance d’actes de contrefaçon en Chine, devrait le plus rapidement possible constituer des preuves officielles et régulières de ces actes (constats notariés en général), permettant de les dater sans tarder. Il devrait par exemple acheter le produit argué de contrefaçon dès le début, puis plusieurs mois voire plusieurs années après (dans le cas de plusieurs instances) après, même si l’assignation a eu lieu entre-temps.

  1. la quantité des produits contrefaits

C’est une preuve particulièrement difficile d’accès pour le plaignant lors d’une action en contrefaçon en Chine, et également pour la Cour, parce que les données comptables officielles récupérées peuvent être fausses ou moins importantes que dans la réalité. Tout particulièrement en Chine, il n’est pas rare que les entreprises aient une comptabilité floue, touchée par de la fraude pour éviter le paiement de taxes de sorte que, sans preuves suffisantes, les tribunaux ne peuvent pas allouer de montants importants.

Relevons que, dans le cas où le plaignant ne dispose pas de chiffres accessibles, il est recommandé dans tous les cas de fournir des éléments pour estimer la quantité de produits contrefaisants, par exemple en faisant une estimation se basant sur le nombre d’ouvriers et leur productivité.

  1. le marché du produit contrefait

Il est clair que, plus le marché est petit, plus le volume de vente est réduit, et les dommages et intérêts sont en conséquence réduits.

III – Dommages et intérêts liés au contrefacteur

  1. mauvaise foi du contrefacteur

Les juges attribuent un montant de dommages et intérêts plus élevé pour une contrefaçon intentionnelle, en particulier dans le cas d’une contrefaçon répétitive.

Dans un exemple donné par le juge, le brevet contrefait était un modèle d’utilité dont le niveau d’activité inventive était considéré comme pas très élevé, le montant alloué avait été de 50k RMB dans le premier procès. Le contrefacteur n’a pas cessé de contrefaire, le deuxième procès s’est lancé et le montant alloué devrait doubler.

  1. l’échelle d’activité du contrefacteur

Il est envisageable de déduire l’étendue de la contrefaçon et plus précisément l’activité du contrefacteur, au moyen de sa surface d’exploitation, de la localisation de ses points de vente (par exemple selon s’ils sont dans un lieu très visible tel qu’un centre ville ou s’ils sont en banlieue), le nombre d’employés, son capital social, etc.

  1. le lieu de contrefaçon

Une contrefaçon apparaissant dans un salon célèbre (par exemple la Foire de Canton) produit des conséquences plus importantes et montre l’intention de développer une activité conséquente, d’où des dommages et intérêts plus élevés.

     11/12. l’attitude du défendeur

Le montant des dommages et intérêts peut augmenter dans le cas où le défendeur ne comparaît pas à la Cour, ou fait traîner la procédure de façon malveillante.

IV – Autres facteurs de calcul des dommages et intérêts

  1. les frais d’avocats raisonnables

Les juges peuvent décider de faire prendre en charge les frais d’avocats du breveté par le contrefacteur allégué. Toutefois le montant remboursé pour les frais d’avocat est souvent relativement limité. Ce montant dépend également du type de brevet. Pour un brevet de dessin et modèle (« design patent »), le remboursement de frais d’avocat octroyé par la Cour varie généralement entre 10k et 30k RMB. Pour un brevet d’invention, avec plus de difficultés techniques, ces frais sont en général plus importants.

  1. décision antérieure

Pour un même brevet, le montant des dommages et intérêts donné dans une décision antérieure pourrait faire référence pour un autre juge. Notons que le plaignant est en charge de fournir la preuve d’une telle décision antérieure.

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En conclusion, nous pouvons constater que l’évaluation des dommages et intérêts dépend d’un certain nombre de facteurs, donc si un breveté veut optimiser le montant octroyé, il devrait fournir à la Cour des éléments concernant le plus grand nombre possible de facteurs ci-dessus.

En pratique, notons que s’il n’est pas possible pour la Cour de déterminer les dommages et les intérêts préalablement, la détermination du montant se fait à l’étape du débat lors de l’audience. Les deux parties énoncent les facteurs à prendre en considération et débattent sur ce point. Le juge décide ensuite si les facteurs considérés sont crédibles ou pas. Ainsi, les deux parties ont une idée du montant donné lors de l’audience.

Par ailleurs, nous pouvons relever que la Cour de Canton (Guanzhou), notamment, a une politique d’augmentation des montants des dommages et intérêts dans les cas de contrefaçon de brevets.

Rappelons enfin que si la 4ème Loi des Brevets, en préparation depuis plusieurs années, entre en vigueur en Chine, des dommages et intérêts punitifs devraient pouvoir être appliqués, tenant compte de la mauvaise foi du contrefacteur et permettant de multiplier le montant des dommages par 2 ou 3.

Article rédigé par Jing ZHAO, Clémence VALLÉE-THIOLLIER

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